Pourquoi êtes-vous opposée à un service civique obligatoire (SCO) ?
Même si nous sommes d'accord avec l'idée qu'il faut recréer des lieux et des méthodes d'éducation à la citoyenneté pour les jeunes, ce n'est pas la solution. La réponse ne peut être ni radicale ni massive. Si on ne naît pas citoyen, on peut encore moins ordonner à quelqu'un de le devenir. Le principe d'obligation rejoint le discours sécuritaire ambiant. On en revient à une forme de paternalisme de l'Etat, qui se présente comme un bon père de famille sachant ce dont ses enfants ont besoin pour retrouver le sens civique.
Le service militaire était obligatoire...
Il visait à la défense de la nation. Le monde évolue, les notions de rites de passage sont dépassées. Nous ne sommes pas dans une société tribale. D'ailleurs, la comparaison systématique avec l'ancien service national entretient une confusion. Car pour le moment, et cela est regrettable, il n'y a pas de débat démocratique sur la question d'un service civique obligatoire, mais une campagne et une mobilisation politiques importantes, qui va de la droite à la gauche, en faveur du SCO. Des sondages montrent que plus de 90% des jeunes y sont favorables. Cependant, s'il est certain que les jeunes ont soif de servir, de justice sociale, je ne pense pas qu'ils désirent avoir plus d'obligations. En tout cas, ce point mériterait que la question du sondage soit reformulée.
Les promoteurs du SCO avancent que ce service permettrait aux associations de bénéficier d'un renfort important alors qu'elles manquent de moyens. Qu'en pensez-vous ?
C'est un argument grave car il instrumentalise la générosité des jeunes. De plus, la loi de 1901 pose le principe de la liberté d'association, qui est antinomique avec le SCO. La liberté individuelle doit être respectée pour permettre également aux personnes de s'approprier les valeurs républicaines que l'obligation d'un service civique voudrait inculquer, et faire vivre ces dernières au-delà de la durée du service.
Cependant, le SCO permettrait au moins aux jeunes chômeurs de percevoir une indemnité…
Mais ils touchent aussi une indemnité avec le volontariat. Un statut de volontariat civil de cohésion sociale et de solidarité (VCCSS) a été créé avec la réforme du service national. Le problème est qu'il n'a pas décollé. Mais il s'agit d'un dispositif nouveau, qui a besoin de temps et de moyens pour être connu et mis en place. En fait, si l'on simplifie à l'extrême, les partisans du SCO avancent, en écho à l'explosion des banlieues, qu'il y a urgence à agir. Mais face à des problématiques aussi complexes, il y a danger à vouloir répondre de façon aussi massive. Certains jeunes se retrouveront dans des associations qu'ils n'auront pas vraiment choisies. Certes, ils auront en principe un choix à faire. Mais ils se heurteront au principe de réalité car un jeune peu qualifié disposera d'un choix limité. Alors que dans le volontariat, on prend le temps d'examiner, avec chaque jeune, ce qu'il souhaite faire et ce qu'il peut faire.
Les associations auront cependant le choix d'accepter ou de refuser d'accueillir des jeunes en SCO.
Mais comment refuser ? L'accueil est notre vocation.
Comment pensez-vous que sera financé le SCO ?
Le coût du SCO est énorme, il devra donc être rentabilisé. La réponse est la fourniture de cette main-d'oeuvre pas chère, avec un statut de sous-emploi. Et progressivement, le SCO, avec son réservoir de jeunes disponibles chaque année, remplacera, à terme, certains postes de salariés partant à la retraite. Au final, la professionnalisation de secteurs, comme l'aide aux personnes, va en souffrir.
Les partisans du SCO parlent de service rendu à la société...
Quand un service rendu devient obligatoire, je ne vois pas d'autre appellation possible que le travail. C'est une forme de travail forcé, contraire à la Convention européenne des droits de l'homme.
De votre côté, que proposez-vous pour restaurer la citoyenneté ?
Les partisans du SCO estiment que laisser le choix aux jeunes de s'engager dans le volontariat revient à faire de la citoyenneté une option. Je ne suis pas de cet avis. Cela implique en réalité de mettre en place des moyens et des méthodes qui favorisent la réappropriation, par les citoyens, de la capacité de réflexion, d'initiative et d'innovation collective. Pour cela, il faut aider les jeunes à réinvestir le terrain politique en mettant à leur disposition des relais d'information sur les associations, les organismes de lutte contre les discriminations, sur l'aide aux personnes âgées ou défavorisées... Tout cela n'est pas fait aujourd'hui.
* Myriam ALDERTON est présidente de l'AEDVC - Association pour l'étude et le développement du volontariat civil.
(Source : Le Monde de l'Education du 27.06.06)
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