Au premier rang européen pour la rémunération de ses dirigeants d’entreprise, la France n’est qu’en 14e position pour le salaire médian. Le nombre de salariés rémunérés au SMIC a atteint près de 3 millions de personnes en 2005, soit 16,8% de la population active, un record historique. Gérard Larcher, ministre délégué à l’Emploi, va annoncer ce matin le montant de l’augmentation prévue le 1er juillet. Ira-t-il au-delà de la simple application de la loi, qui prévoit une «progression mécanique» de 2,5 % ? Le SMIC est conçu comme un salaire minimum qui doit être suffisant pour mener une «existence normale et digne»...
Dans la réalité, ce n’est plus le cas. Martine et Bruno en savent quelque chose. Tous deux salariés à plein temps, les deux salaires du couple ne suffisent pas à faire vivre la famille. «Quand toutes les dépenses incompressibles sont payées, c’est simple, il ne reste rien», témoigne Martine, qui, obligée de compter sou par sou, récite par coeur son budget, «toujours dans le rouge».
200 euros par mois pour manger
Ils n’ont jamais été au chômage, où alors pendant de très courtes périodes, entre deux emplois. Ils ont passé les 35 ans mais n’ont connu que le SMIC. Alors, à force de contracter des crédits, parfois pour rembourser les crédits précédents, ils se sont endettés - trop -, sont passés en commission et doivent aujourd’hui rembourser 400 euros par mois. Le loyer de leur HLM, situé dans la banlieue de Toulouse, augmente chaque année, au point d’atteindre aujourd’hui 620 euros. Martine égrène ensuite l’électricité et l’eau, postes budgétaires sur lesquels elle économise, la taxe d’habitation, la mutuelle, la pension alimentaire à verser pour le grand garçon, né d’un premier mariage, l’essence et l’assurance des deux voitures, obligatoires pour se rendre au travail, accompagner la fille à l’école, la petit dernier chez la nourrice, nounou qu’il faut aussi rémunérer.
Et les repas ? Sa gorge se noue. «200 euros pour le mois, pas plus, c’est ce qui reste. Parfois je saute un repas. Il faut nourrir les enfants...» Quant aux loisirs, ils sont tout bonnement interdits. Elle s’autorise de temps en temps à acheter un jouet pas cher. Quand elle ramène un peu de pourboire, elle paye un McDo à ses enfants. Jamais un livre acheté n’entre à la maison. Jamais un jour de vacances ne vient consoler cette vie de galère, sauf quand elle parvient à aménager une semaine à Paris chez son père. Les enfants, eux, s’évadent avec les grands-parents, justement. Pas sûr que, plus tard, Martine et Bruno parviennent à faire de même pour leurs propres petits-enfants.
La France se smicardise. Le nombre de salariés rémunérés à ce niveau à doublé depuis 1993, date de la mise en place des allégements de cotisations patronales sur les bas salaires. L’ascenseur social est en panne. Les inégalités se creusent. Digne et révoltée, désabusée aussi, Martine est lucide. Elle subit cette réalité sans l’accepter. Et ronge son frein : «J’en ai vraiment marre. En vérité, je n’en peux plus. Je tiens pour mes enfants...»
«Trop riches» pour les aides sociales
Tous deux sont salariés dans le secteur des services, Martine dans une maison de retraite privée, Bruno dans une entreprise de nettoyage industriel. Les horaires sont tellement flexibles que le couple peine à trouver le temps de souffler en famille. Elle, elle travaille en journée, fait le ménage de 8 heures à 16h30, est de service un week-end sur deux, n’hésite jamais à aider les résidents, pour 1.025 euros net par mois, soit le SMIC plus 18 euros de prime par dimanche travaillé. «Pour ce que je fais, je ne suis pas assez payée, c’est clair», assure-t-elle.
Lui, depuis trois mois il procède au nettoyage des avions, commence à minuit, rentre à huit heures du matin. Ses deux premiers salaires sont restés loin des 1.000 euros. Pour les augmenter, il doit aussi travailler le week-end. Malgré cela, Martine et Bruno sont «trop riches» pour les aides sociales. Depuis les 3 ans du petit, les allocations familiales se sont réduites à 116 euros. Le couple ne bénéficie pas de l’aide personnalisée au logement. L’incompréhension est grande. «Je travaille, et au bout il n’y a rien», s’insurge Martine. Alors, porter le SMIC à 1.500 euros, elle est forcement d’accord. «Ça mettrait du beurre dans les épinards», souffle-t-elle, tout en ajoutant, en baissant la voix : «Malheureusement, on sait que rien ne va changer...»
(Source : L'Humanité)
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