À lire ou à entendre les arguments avancés par les divers protagonistes de ce projet, tout cela ne serait finalement qu’une simple évolution des modes de prélèvements fiscaux. Pour aller dans ce sens, il est même tiré argument du fait que 73% des foyers fiscaux sont aujourd’hui prélevés automatiquement. Sauf que le prélèvement automatique relève actuellement d’un libre choix du contribuable, que ce dernier peut remettre en cause chaque année.
Que recoupe au fond l’enjeu de l’installation de la retenue à la source ? Trois grands types de remarques peuvent être formulés :
1 - Malgré l’affirmation du Parti socialiste selon laquelle l’ensemble des revenus serait soumis à cette retenue, la réalité est tout autre. Seul l’impôt sur le revenu est concerné et, en son sein, seuls les revenus salariaux pourront être soumis à ce type de prélèvement. À partir du moment où les collecteurs de l’impôt seraient les entreprises et les caisses de retraite, il est aisément compréhensible que tous les revenus non connus et non maîtrisés par ces deux collecteurs n’entreraient pas dans le champ de cette retenue. Il s’agit essentiellement des revenus d’activités non salariales, des revenus financiers mais aussi de la taxe foncière. Par contre à l’évidence, la taxe d’habitation (TH) et la redevance audiovisuelle, dont le fichier est connecté avec celui de l’impôt sur le revenu (système IR-TH) tout comme la CSG, pourraient tout à fait être concernées.
2 - La retenue à la source pousse à une simplification de l’impôt sur le revenu et, en ce sens, à la suppression de divers éléments permettant une meilleure prise en compte de la capacité contributive réelle des citoyens. Ainsi, on comprend mieux quels sont les objectifs réels de la loi de finances 2006 en entérinant une réduction du nombre de tranches du barème (plus que 5 taux) et l’intégration de l’abattement de 20% dans le premier taux du barème. La retenue à la source est un moyen de bloquer toute évolution en sens opposé. Elle est aussi, quoi qu’en disent ses partisans, une épée de Damoclès suspendue au-dessus du principe du quotient familial.
Les entreprises et caisses de retraite devraient avoir accès aux données personnelles du contribuable pour calculer le nombre de parts, ce qui pour l’heure n’est pas permis. Une solution médiane pourrait être trouvée en faisant effectuer puis transmettre ce calcul par l’administration fiscale. Dans le climat ambiant imprégné du libéralisme le plus débridé, il serait ô combien plus commode d’en finir avec l’idée même du quotient familial. Cette perspective a été évoquée à maintes reprises depuis le rapport du conseil des impôts de 1990. Jusqu’ici elle n’a jamais abouti, mais, en ce domaine comme en de nombreux autres, tout n’a pas encore été vu.
3 - Au-delà du fait que les entreprises et caisses de retraite ne se contenteraient vraisemblablement pas d’accueillir cette mission de recouvrement sans défraiement - le coût de la gestion de l’impôt sur le revenu n’a-t-il pas déjà été évalué à 1,5 milliard d’euros par Bercy ? -, on ne peut éviter de se demander pourquoi ces collecteurs reverseraient rubis sur l’ongle les montants d’impôt ainsi collectés. On connaît la fraude pratiquée en matière de TVA dont les entreprises sont collectrices. Par quel miracle un tel comportement ne se retrouverait-il pas vis-à-vis de l’impôt sur le revenu ? Sur un plan plus général mais aussi plus stratégique, la retenue à la source, en introduisant une sorte de distanciation supplémentaire entre le citoyen et l’impôt, n’offre-t-elle pas le moyen de faire évoluer à la fois le poids et le contenu des prélèvements sur les ménages d’une façon moins perceptible, plus indolore ? La fiscalité locale, particulièrement la taxe d’habitation, n’entrerait-elle pas dans un tel schéma au moment où les budgets des collectivités sont exsangues ? Et le financement de la protection sociale ne serait-il pas en ligne de mire avec une augmentation de la CSG qui ouvrirait la voie à une fiscalisation de ce système ?
Enfin, la mise en place de la retenue à la source est annoncée sur l’air d’économies des crédits de fonctionnement du budget de l’État. Pas moins de 1.500 emplois seraient menacés au prétexte que ce mode de prélèvement ferait disparaître des tâches dans les centres des impôts et les trésoreries. N’est-ce pas déjà le refrain distillé cette année avec la mise en place de la déclaration pré remplie ? Or de telles prévisions ne reposent sur rien de très sérieux ni de très objectif. Car, déclaration préremplie ou pas, retenue à la source ou non, le travail de prise en charge, d’analyse et de contrôle, reste le même. Ce ne sont pas les personnels des finances qui remplissent les feuilles d’impôt ! Avec la retenue à la source, leur mission pourrait même se renforcer de l’obligation d’assurer les liaisons et le suivi de l’action des nouveaux collecteurs de l’impôt. Pour autant les pouvoirs publics veulent se saisir de l’occasion pour lancer une nouvelle campagne de propagande visant à préparer les esprits à accepter de prochaines coupes dans les effectifs de fonctionnaires des administrations financières.
La retenue à la source est finalement tout autre chose qu’un simple gadget technique. Elle pose des questions de fond qui tiennent au contenu même de la fiscalité mise en oeuvre dans notre pays et au mode de gestion des missions de l’État. Prendre en compte l’intérêt général implique une fiscalité transparente, appliquée avec justice et efficacité, donc reposant sur des principes et des modalités pouvant être accessibles et maîtrisés par l’ensemble des citoyens.
(Source : L'Humanité)
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