Cela se passera devant le Conseil national de l'information statistique (CNIS) qui réunit syndicalistes, patronat, économistes, fonctionnaires du ministère de l'emploi… L'INSEE – qui est largement suspecté d'avoir reporté la publication du chiffre du chômage à l'après présidentielle pour la raison qu'il serait nettement moins bon que prévu et ne servirait pas le bilan de Dominique de Villepin – n'a, jusqu'ici, pas convaincu de sa bonne foi en invoquant des raisons d'ordre technique.
Trois fonctionnaires – deux administrateurs de l'INSEE, dont l'un a travaillé au ministère de l'emploi, et un salarié syndicaliste de l'ANPE – ont calculé que le taux de chômage ne serait en fait pas de 8,7% à la fin 2006 – un chiffre calculé à partir des données de l'ANPE – mais de près de 9,5%. Ce dernier chiffre représenterait les demandeurs d'emploi au sens du BIT, c'est-à-dire ceux qui, quand on les interroge, se déclarent à la recherche d'un emploi, qu'ils soient inscrits ou non à l'ANPE.
La correction serait donc de 0,8 point, ce qui représenterait quelques 200.000 demandeurs d'emplois en plus. Et atténuerait considérablement le recul du chômage dont peut se vanter le gouvernement : fin 2005, son taux, au sens BIT, était de 9,8%. Traditionnellement, le passage des estimations calculées à partir des données de l'ANPE au chiffre BIT, indépendant du mode de gestion administrative de l'emploi, donne lieu à une correction bien moins importante : elle est généralement comprise entre 0,1 et 0,3 point.
Les trois experts ont rédigé une note de 15 pages, envoyée anonymement par Internet à plusieurs économistes et que Le Monde s'est procuré. Signée Schi – pour schizophrène, "parce que nous sommes à la fois dedans et dehors" dans le système de la statistique française de l'emploi et critique à son égard, explique l'un des auteurs –, celle-ci retrace les modifications qui ont affecté le calcul du nombre de chômeurs inscrits à l'ANPE depuis juin 2005, c'est-à-dire depuis que Dominique de Villepin est à Matignon.
En l'occurrence, elles sont nombreuses. Certaines relèvent des partenaires sociaux et des réformes du système d'indemnisation des chômeurs qu'ils ont adoptées, avec notamment la mise en place de contrôles supplémentaires. Même si des décrets gouvernementaux en ont renforcé les effets, celles-ci expliquent une grande partie – sans doute près de la moitié – de la correction.
Une enquête du CNIS, en 2005, est à cet égard instructive. Elle établit que le nombre de sorties mensuelles a augmenté de plus de 30.000 à partir de juin 2005. Seul un quart de ces sorties résulte d'une reprise d'un contrat à durée indéterminée. Un cinquième d'entre elles correspond à un non renouvellement accidentel suivi d'une réinscription. Un quart est à mettre au compte d'un non-renouvellement de l'inscription, accidentel ou motivé (fin d'indemnisation), sans réinscription.
Pour le reste, la correction s'explique par la modification du mode de comptabilisation des chômeurs inscrits à l'ANPE. Ainsi – notamment dans la foulée du plan de cohésion sociale de Jean-Louis Borloo mais pas seulement – des demandeurs d'emploi se sont vus mettre hors des catégories phares pour les statistiques du chômage : les demandeurs d'emploi créateurs d'entreprise, ceux qui bénéficient de petits boulots aidés par l'Etat, ou encore les licenciés économiques signataires de conventions de reclassement personnalisé ou du contrat de transition professionnelle… Nombre de conjoncturistes s'étonnent depuis plusieurs mois des taux de chômage établis à partir des chiffres de l'ANPE. Certes, il y a des créations d'emplois mais, comme le reconnaissait lui-même le ministère de l'emploi en octobre 2006, dans une note au deuxième trimestre de cette même année, "le dynamisme estimé de l'emploi ne suffit pas à expliquer l'ampleur de la baisse du chômage".
(Source : Le Monde)
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