On peut être brillant physicien et écrire des bourdes. Serge Galam vient d’en donner une brillante – si l’on ose dire – démonstration, dans Le Monde du 7 février, en soutenant que Galilée avait été l’objet d’un procès en hérésie pour avoir soutenu que la Terre était ronde. C’était évidemment pour avoir soutenu (et démontré) que notre planète tournait autour du soleil, et n’était pas au centre de l’univers. Que celui qui ne s’est jamais trompé lui jette la première pierre ! Pour avoir encore le rouge au front pour des bourdes du même ordre, je m’en garderai bien. Sauf que le problème n’est pas là.
L’affirmation erronée était destinée à montrer qu’il existe des antécédents célèbres où un homme seul peut avoir raison contre tous et que, dans le domaine scientifique, ce n’est pas la loi du nombre qui compte, mais la rigueur de l’analyse. Car Serge Galam conteste les conclusions du rapport des experts du GIEC (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) faisant de l’homme le responsable d’un changement climatique qui, à ses yeux, est loin d’être prouvé. N’étant pas spécialiste du climat, je n’aurai pas l’outrecuidance de me prononcer sur le fond de cette contestation. Mais elle m’en rappelle d’autres, sur le même sujet. En 2002, André Fourçans – un économiste d’orientation libérale – avait commis un essai intitulé "Effet de serre : le grand mensonge ?". Il y soutenait, en gros, que l’effet de serre était loin d’être prouvé, qu’il n’y avait pas d’urgence et que la hausse des prix des énergies fossiles couplée à un mécanisme de permis d’émission échangeables internationalement devrait régler le problème, si problème il y avait. Pas de panique, surtout : «Une action trop rapide et trop intense impliquerait une facture prohibitive.» Et les propositions de Bush (incitations fiscales, effort de recherche) paraissaient à notre auteur bien plus raisonnables que le protocole de Kyoto, inefficace et coûteux, quitte à «agir plus sévèrement si la situation se détériorait dans les décennies futures».
Pourquoi donc des gens intelligents prennent-ils le contre-pied de l’opinion communément admise, alors même qu’ils ne sont pas spécialistes du domaine controversé ? Pour se distinguer, et avoir leur petite heure de gloriole ? Je ne le crois pas, pas plus que je ne crois qu’il s’agisse d’une façon d’affirmer que toutes les opinions sont recevables et que, en économie notamment, peu, sinon aucune, n’est scientifiquement prouvée. Je pense plutôt que, pour un libéral affirmé, reconnaître que le marché peut se tromper, qu’il n’est pas, toujours et partout, la réponse optimale, que les mécanismes de marché ne sont pas toujours les plus adaptés pour résoudre un problème, est aussi inconcevable que, pour un croyant, admettre que le Dieu auquel il croit peut se tromper. Alors toutes les autres hypothèses, quelle que soit leur plausibilité, valent mieux.
En veut-on une autre illustration ? Il est très mode aujourd’hui de dénoncer les rentes produites par l’absence ou l’insuffisance de concurrence. Là nicheraient les sources d’improductivité et d’injustice qui paralysent la France. C’est possible et, si je ne crois pas à l’omnipotence du marché, je ne crois pas davantage qu’il soit le diable. Mais alors, il faut aller jusqu’au bout et dire haut et fort que la rente foncière engendrée par l’urbanisation et les effets d’agglomération est, de très loin, la plus importante de toutes les rentes. En France, elle renchérit de quelques centaines de milliards chaque année le prix du foncier bâti ou bâtissable. Et cela sans que les propriétaires du sol aient fait quoi que ce soit pour mériter cet enrichissement qui tombe du ciel. Cette rente, tirant vers le haut les prix du foncier, provoque aussi la hausse du prix du logement, des loyers, des fonds de commerce et de tout ce qui se vend dans les boutiques, car elles l’incorporent à leurs prix. Si bien que la rente foncière, non contente de contribuer à expulser les locataires à faibles revenus vers les banlieues éloignées, finit par être payée par tous les consommateurs. Curieusement, les économistes contempteurs de rentes dénoncent volontiers les licences des taxis et les commissions d’urbanisme commercial, mais ils ne s’intéressent jamais à la rente foncière, cent à mille fois plus coûteuse pour une collectivité. Très belle stratégie d’évitement.
Quand il s’agit de biens publics (bénéfiques à tous), d’effets externes (générateurs de coûts ou d’avantages pour des tiers) ou de biens non renouvelables (l’offre ne pouvant être accrue par l’homme), le mécanisme des prix ne permet pas de guider les acteurs vers la meilleure solution pour tous. Pour les libéraux, le reconnaître s’apparente à une abjuration. Il est sans doute bon que chacun de nous ait des convictions, mais pourquoi faudrait-il qu’elles deviennent des œillères ?
Denis CLERC pour Alternatives Economiques
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