C'était en juin dernier. Après avoir martelé durant toute sa campagne que «la victime vaut mieux que le délinquant», Nicolas Sarkozy voulait marquer le début de son quinquennat par un surcroît d'attention envers les familles frappées par le crime. Les services de l'Elysée avaient pris connaissance par la presse de la disparition, puis du meurtre particulièrement atroce d'une jeune femme durant la campagne présidentielle. Le père avait écrit au Ministre de l'Intérieur de l'époque, François Baroin, qui lui avait répondu par écrit. Mais, une fois élu, comme dans le cas du père du petit Enis, le Président a tenu à recevoir les parents de la victime.
Durant l'entretien, le père, âgé de plus de 55 ans, avoua éprouver quelque difficulté à se motiver pour aller travailler, sans lui demander aucune faveur. Apprenant qu'il est salarié par une concession de Renault, le Président interpelle sur le champ sa secrétaire d'un bien sonore «Faites moi appeler Carlos». Il s'agissait bien sûr de Carlos Ghosn, le PDG du groupe Renault. Le Président se faisait fort d'obtenir de lui qu'il «fasse cadeau» des quelques trimestres qui restaient à accomplir au père de la victime avant de prendre sa retraite. Il promit d'ailleurs à ce dernier, électeur sarcomateux ébloui par ce mélange de compassion et de puissance, que «son ami Carlos» accèderait à sa demande. Trois mois plus tard, l'homme pointe toujours tous les matins dans son entreprise : personne, ni Renault ni la Présidence, n'a souhaité payer les 16.000 € de cotisation qui lui manquaient pour sa retraite.
Cette triste histoire est une nouvelle illustration de la gouvernance émotionnelle. Ainsi le même Président qui proclame partout la nécessité de travailler plus pour gagner plus, qui a approuvé la suppression des systèmes de préretraite dispendieux pour l'Etat et la société, qui s'apprête à revenir sur les régimes spéciaux de retraite, prétend pouvoir offrir lui-même à l'un de ses «sujets» ce que les lois de la République ne sauraient lui accorder. «Prétend» est bien le mot puisqu'en fin de compte, le Président, tout puissant soit-il, n'est pas parvenu à tenir une promesse qui ne concernait pourtant qu'un seul Français.
(Source : Marianne)
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