Après des mois de négociations, plusieurs syndicats et le Medef ont trouvé mercredi soir un terrain d'entente pour réduire le déficit des retraites complémentaires (Agirc, et Arrco pour les cadres), grevées par un trou de 5 milliards d'euros cette année et dont le déficit risquait d'atteindre 10 milliards en 2017 si rien n'était fait. Les principales mesures de cet accord sont une hausse des cotisations pour les salariés et les employeurs, mais surtout la “désindexation” des pensions. À compter du 1er avril, les retraites complémentaires versées seront ainsi moins revalorisées que l'inflation (+0,5% pour l'Agirc et +0,8% pour les autres, alors que l'inflation est de +1,75%). Ce qui, très concrètement, signifie une baisse du pouvoir d'achat pour 11 millions de retraités. La mesure sera reconduite en 2014 et en 2015.
«L'effort demandé est historique», assurent Les Échos (pour qui l'indexation des salaires ou des pensions de retraite sur l'inflation est un «luxe insoutenable»). Il pourrait surtout constituer un précédent.
Pour faire des économies, le gouvernement envisage d'appliquer la même recette aux régimes de retraite de base. Cette proposition figure en tout cas dans le document d'orientation envoyé à la «Commission pour l'avenir des retraites», tout juste installée, qui fera en juin des propositions pour une nouvelle réforme. «Ce serait la première fois qu'un gouvernement baisse le montant des pensions de base versées aux retraités actuels», explique Gérard Cornilleau de l'OFCE, le centre de recherches en économie de Sciences-Po.
Serait-ce pour autant un tournant ? Pas si sûr. En fait, cette politique existe depuis longtemps, mais sous des formes un peu moins visibles.
Dans le passé, les gouvernements précédents ne se sont ainsi pas privés de baisser sans le dire le montant des pensions en modifiant leurs règles de calcul. Et les partenaires sociaux qui gèrent les retraites complémentaires n'ont pas hésité à renchérir continûment la valeur du point qui sert à leur calcul. «Le système de retraites français est si complexe que ceux qui le gèrent peuvent subrepticement faire varier certains paramètres sans pour autant afficher clairement une baisse du niveau des retraites», poursuit le chercheur.
Le début de ce mouvement date de la réforme Balladur de 1993. Le premier ministre (de droite) de François Mitterrand modifie alors en profondeur les règles de calcul et les modalités d'indexation des retraites. Les pensions sont désormais calculées et revalorisées sur les prix, et non plus sur les salaires qui progressent plus vite. «Les retraités ont eu des pensions plus faibles que si les règles n'avaient pas changé», résume Gérard Cornilleau. En 2008, la Caisse nationale d'assurance-vieillesse a calculé qu'un retraité ayant cessé de travailler en 2003 a perdu 12% de la pension qu'il aurait perçue sans cette réforme. Et l'effet est logiquement plus marqué encore pour les générations suivantes. «De toutes les réformes des retraites, celle-ci fut sans doute la plus cynique», estime Gérard Cornilleau.
Le mouvement n'est pas démenti par la réforme Fillon de 2003, qui allonge la durée de cotisation nécessaire pour toucher une retraite à taux plein. Résultat, «les réformes de 1993 et 2003 ont eu pour conséquence de diminuer le niveau de vie des retraités dès la liquidation», explique une étude de la CNAV de 2009.
Un des régimes de retraite les plus durs d'Europe
Dans son dernier rapport paru en janvier 2013, le Conseil d'orientation des retraites (COR) montre ainsi que le taux de remplacement — le rapport entre le montant de la retraite et le salaire de fin de carrière — du régime général a diminué de 49% à 47% entre la génération née en 1934, qui n'a pas été concernée par la réforme de 1993, et celle née huit ans plus tard. Même si, pour cette dernière, une meilleure couverture par les régimes complémentaires a compensé la baisse.
Pour l'heure, les statisticiens ne disposent pas de chiffres fiables sur l'évolution depuis 2008. Mais de toute évidence, le mouvement de grignotage progressif des retraites s'est poursuivi. Et ce n'est qu'un début. «Il faut s’attendre à une baisse de rendement du système par répartition au fil des générations», prévenait le COR en 2011, évoquant une «dégradation déjà programmée». «Les retraites en niveau absolu pourraient progresser d’environ 50% d’ici 2050 sous l’effet des gains de productivité», indiquait-il alors. En revanche, le «niveau relatif» des pensions — le rapport entre la pension moyenne des retraités et le revenu d’activité moyen net des actifs —, lui, ne devrait cesser de décrocher après 2020.
Autrement dit, le montant des retraites devrait (en moyenne) progresser… mais beaucoup moins que les salaires. D'autant que les plus jeunes sont touchés par une entrée plus tardive dans la vie active, avec un salaire d'embauche qui a diminué de moitié depuis trente ans. La génération née en 1980 devra ainsi travailler deux ans de plus pour obtenir le même taux de remplacement que celle née en 1960.
Les estimations les plus récentes du COR, parues fin février, confirment l'hypothèse. Entre la génération née en 1950 qui a pris (à 60 ans) sa retraite en 2010, et la génération 1990 qui partira à la retraite à 62 ans minimum (voire beaucoup plus en réalité…), le taux de remplacement diminuerait dans tous les cas dans le privé : de 56% à 51% pour un cadre n'ayant pas connu d'interruption ou de chômage, de 75% à 69% pour un non-cadre à carrière continue, de 83% à 82% pour un non-cadre ayant connu le chômage, et de 74% à 69% pour une femme avec deux enfants. Il resterait quasi stable dans le public.
S'il ne veut pas donner l'impression de matraquer les retraités, et encore moins les futurs retraités alors qu'il a fait de la jeunesse sa priorité, le gouvernement devra donc manier l'outil désindexation avec la plus grande prudence. «La désindexation des retraites n'est pas tenable sur le long terme avec des retraités dont le niveau de vie baisse chaque année», estime Gérard Cornilleau. D'autant que les retraités vont aussi être mis à contribution pour financer la future réforme de la dépendance.
La désindexation pourrait donc ne pas concerner tous les retraités ou n'être que temporaire, le temps de redresser les finances publiques. Ou cumulée à d'autres mesures comme une éventuelle hausse des cotisations, voire une hausse de la durée de cotisation requise pour obtenir une retraite à taux plein. Mais, là encore, la marge de manœuvre politique est faible : la durée de cotisation requise pour obtenir une retraite à taux plein est déjà de 41,5 ans depuis 2011. Cumulée à l'âge légal à 62 ans, héritage de la réforme Sarkozy de 2010 que l'exécutif ne compte pas remettre en cause, elle fait déjà du régime de retraite français un des plus durs d'Europe.
(Source : Mediapart)
La réforme sur les retraites dont on va débattre en France est déjà publiée dans les documents officiels de l'UE
Nos "partenaires sociaux" et nos parlementaires sont-ils informés de l'inutilité totale de ce débat dans le contexte actuel ?
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