Certes, les professionnels aimables et consciencieux, les entreprises dont les tarifs rémunèrent la qualité, les services publics dévoués existent toujours. Mais, de plus en plus souvent, le consommateur doit faire face à des attentes interminables, des engagements non respectés, une conscience professionnelle en perdition, tandis que le moindre service autrefois gratuit devient payant.
Des phénomènes, parfois sans rapport les uns avec les autres, convergent pour créer ce sentiment de malaise. Du côté des petites entreprises, les artisans sont souvent débordés, parce qu'ils ne trouvent pas de personnel qualifié dans leurs professions ou sont réticents à embaucher. Quant aux grandes entreprises et aux services publics, l'usager est victime, en bout de chaîne, des nouvelles exigences - très élevées - de rentabilité des entreprises privées, tandis que le public s'aligne peu à peu sur les règles du privé. Recherche constante de gains de productivité, réductions de personnel, économies plus ou moins dissimulées sur la qualité du service rendu en découlent.
La nouvelle organisation de la SNCF illustre cette évolution. De la grille tarifaire entrée en vigueur le 7 octobre, destinée à remplir encore plus les trains, l'usager retient surtout complications et rigidités supplémentaires (malgré une présentation plus claire sur Internet), avec pour seule contrepartie des baisses de tarifs légères, et très hypothétiques. De même, la SNCF (public) ou Air France (privé) présentent comme un progrès l'automatisation de la billetterie et la généralisation du recours à Internet. C'est en partie vrai. Mais il s'agit surtout de transférer sur le client des tâches autrefois effectuées par un personnel de plus en plus restreint. La RATP suit le même chemin. Et tant pis pour les usagers, en particulier du troisième âge - pourtant de plus en plus nombreux -, inquiets, mal à l'aise avec les automates ou handicapés par des difficultés physiques. Sans parler de la généralisation des désormais fameux "Tapez 1..." au bout du téléphone.
Dans un tout autre registre, chacun constate que l'attachement au travail bien fait semble une valeur en perte de vitesse. Le glissement du centre de gravité des préoccupations vers le temps libre, la sphère privée et familiale, est en partie une réalité. Mais le manque d'investissement professionnel reflète souvent une révolte sourde, non dite, contre la dégradation des conditions de vie au travail, mise en lumière par l'augmentation des problèmes de stress professionnel. Dans le même temps, le creusement des inégalités, les exemples d'enrichissement sans scrupule et "en dormant", comme disait François Mitterrand, n'arrangent rien. Nicolas Sarkozy, qui articule autour de l'argent son message sur la réhabilitation de la «valeur-travail», pourrait souhaiter également que le travail du plus grand nombre rime aussi avec humanité et épanouissement.
De leur côté, les consommateurs ne sont pas exempts de contradictions : toujours les premiers à demander des prix moins élevés, ils font peser sur les entreprises une pression à la baisse qui se répercute sur la qualité et les rémunérations. Mais cela ne justifie pas les carences de la protection des consommateurs en France. Un particulier en litige avec une entreprise ou un commerçant de mauvaise volonté sait qu'il a, en gros, le choix entre deux attitudes : supporter son préjudice, ou se lancer dans des procédures longues, incertaines et coûteuses.
Ni prérogatives, ni moyens. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) du Ministère des Finances n'a ni les prérogatives ni les moyens humains pour jouer un rôle de police économique de proximité. Et personne ne le fait à sa place. Les organisations de consommateurs crient souvent dans le désert. Même si, à force d'obstination, elles parviennent parfois à arracher quelques concessions, comme pour les conditions contractuelles des opérateurs de téléphonie mobile.
Les pouvoirs publics se montrent en effet très timides face aux puissants lobbies qui refusent des droits accrus aux consommateurs. En janvier, un projet de loi autorisant les actions collectives devant les tribunaux, promis par le président Jacques Chirac depuis… 2005, était enfin inscrit à l'ordre du jour des députés. Il a été retiré in extremis. Du côté du Medef, le message est d'ailleurs clair : en juillet 2006 Laurence Parisot, la présidente de l'organisation patronale, affirmait que l'introduction d'une telle procédure serait "un coup assez dur porté aux entreprises". Un an après, elle soutenait que "penser la politique économique en mettant le consommateur au centre" avait conduit à "l'impasse". Certes, Mme Parisot se préoccupe de développer une politique de l'offre, autrement dit de stimuler la production nationale, pour faire reculer la part des importations dans la consommation. Ce qui, en soi, n'est pas critiquable. Mais il est symptomatique qu'elle présente la prise en compte de l'intérêt du consommateur comme un frein à une telle politique.
Au niveau européen, l'Union fait de la défense du consommateur l'un de ses chevaux de bataille. De fait, elle accomplit un travail utile quand, par exemple, elle impose aux activités économiques le respect de normes environnementales. Mais, par ailleurs, elle semble souvent prendre le problème à l'envers : intransigeante sur des points de détail, elle peut imprimer des grandes orientations qui paraissent étrangères aux intérêts des usagers. Ainsi l'ouverture du marché de l'électricité aux particuliers, imposée par Bruxelles et mise en œuvre selon des modalités aberrantes, se traduit-elle par un fiasco, signe d'un véritable boycott de la part des consommateurs. Friand de chantiers susceptibles de montrer à une opinion désabusée que le politique est de retour, M. Sarkozy a, sur tous ces terrains, une large palette de possibilités pour réduire la morosité publique. Et rendre un début de sourire à des citoyens aux prises avec une vie quotidienne que les nouvelles technologies devraient aider à simplifier, et qui est en fait de plus en plus compliquée. Le projet de loi sur la consommation adopté en conseil des ministres mercredi 31 octobre n'est qu'un premier petit pas.
Jean-Louis Andreani pour Le Monde
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