Un syndicaliste accepte d’évoquer, à visage découvert, les relations parfois incestueuses entre l’Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) et les syndicats de salariés. Jean-Claude Duret, 65 ans, ancien ingénieur chez Thomson (rebaptisé Thalès), a milité pendant quinze ans à la CFTC. Il n’entend pas démontrer que le patronat arrose systématiquement les syndicats pour leur arracher une signature, simplement narrer sa propre expérience.
La scène se passe en juin 1998, au siège parisien de l’UIMM. Les partenaires sociaux sont réunis pour renégocier la convention collective des cadres. Le patronat souhaite rogner leur régime de départ en retraite : à la différence des autres salariés, les cadres peuvent travailler jusqu’à 65 ans; si leurs employeurs veulent s’en débarrasser dès 60 ans, il doivent verser l’équivalent d’une indemnité de licenciement.
Jean-Claude Duret, membre de la délégation CFTC, ne voit pas pourquoi il devrait lâcher du lest. D’entrée, il est marqué par l’ambiance au QG de l’UIMM : «La CGC donne à Denis Gautier-Sauvagnac du “monsieur le président” long comme le bras. Seule la CGT gueule, pour la forme.» Assis à la table des négociations, son supérieur de la CFTC lui glisse : «Tu vas faire capoter la réunion si tu poses des questions. Te casse pas la tête, on signera quand même.»
Sauf que Duret est du genre tête brûlée. Après esclandre, il quitte brusquement la réunion, suivi par un type en costard, membre de la délégation de l’UIMM, qui lui pose cette question fâcheuse : «Quels sont vos besoins ?» Jean-Claude Duret s’indigne derechef, le type en costard ne se démonte pas : «Tout homme a son prix, un syndicaliste n’est pas incorruptible. Je vous serre la main, c’est pour la dernière fois.»
De fait, Duret ne sera pas convié par la CFTC aux réunions suivantes. Il y voit «la preuve que le patronat choisit ses partenaires syndicaux.» Dernier souvenir de cette mémorable journée : le soir, l’ensemble des délégués syndicaux se retrouvent au restaurant. Duret veut régler son addition. On lui rétorque : «T’inquiète, c’est payé par le patronat.» Interrogée hier par Libération, l’UIMM n’a pas souhaité réagir. Au sein de la CFTC, un ex-cadre confirme l’histoire. De surcroit, la centrale syndicale lui aurait fait miroiter une retraite aux petits oignons contre son silence...
La révision à la baisse de la convention collective des cadres a finalement été signée dans son dos. Deux ans plus tard, il s’agit de la ratifier entreprise par entreprise. Chez Renault, pilier de l’UIMM, le financement des syndicats par l’employeur fait alors jaser en interne : «Une fois de plus, on achète le silence et le bon vouloir des syndicats.» Chez Thomson, Duret entend faire de la résistance locale en tant que délégué CFTC. Il fait circuler une pétition exigeant la «suppression de l’accord UIMM», dénonçant le «chantage du patronat pour obtenir des syndicalistes dociles».
Après avoir suspendu ses subventions à la CFTC, la direction de Thomson obtiendra la tête de Duret. En août 2000, la Fédération de la métallurgie retire sa délégation aux syndicalistes maison, remplacés par des apparatchiks fédéraux. En octobre, la Fédération métallo de la CFTC présente à la direction de Thomson la liste de ses candidats aux élections professionnelles, précisant que «le nom de M. Duret n’y figure pas»… Un an plus tard, c’est la mise à la retraite d’office, Jean-Claude Duret étant victime directe de la révision au rabais de la convention collective, qu’il a combattue en vain. L’adversaire était-il trop fort ? Sa plainte pour discrimination syndicale vient d’être validée par la Cour de cassation. Il est désormais prêt à tout déballer devant les tribunaux.
(Source : Libération)
Rappel => UIMM : un «trésor de guerre» de 600 millions
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