La parution de Travail féminin : retour à l’ordre aux éditions Antipodes vient rappeler combien le droit à l’emploi des femmes, pour évident qu’il nous paraisse aujourd’hui, peut faire l’objet de fortes offensives en période de récession économique.
L’auteure du livre, Céline Schoeni, nous offre une magnifique analyse des mesures prises à l’encontre du travail salarié féminin dans le secteur public durant les années 1930 en Suisse et en France. Dans ces deux pays, ce sont les femmes fonctionnaires, mariées et hautement qualifiées, qui ont été au cœur de la croisade. En Suisse, la charge s’est surtout focalisée sur les institutrices mariées et les employées dans les administrations cantonales et communales. En France, c’est davantage le personnel féminin de l’administration centrale, dans les ministères, qui a été visé. Bien que l’analyse se concentre sur deux pays, l’ensemble des pays occidentalisés industrialisés connaît un processus similaire.
Comme le démontre avec force cette étude historique, c’est tout un dispositif — légal, normatif, pratique — de gestion sexuée du personnel de la fonction publique qui a été mis en place afin de décourager le travail salarié des femmes.
Quelles sont les conséquences de la réglementation restrictive du travail féminin dans ce secteur d’activité ? En premier lieu, l’offensive engendre la dégradation et la précarisation des conditions de travail des femmes fonctionnaires. Ces dernières se maintiennent sur le marché du travail, mais leur salaire est diminué. Ensuite, les campagnes contre le travail salarié féminin amorcent une dynamique de retrait des femmes du marché du travail. En Suisse, la part des femmes parmi la population active chute entre 1930 et 1940. Enfin, les mesures renforcent la division du travail et la hiérarchie entre les sexes : aux hommes le travail productif, vecteur de richesse nationale; aux femmes l’éducation des enfants et le travail ménager non rémunéré. L’ensemble des discours qui sont tenus à cette époque encense les figures de l’homme pourvoyeur du revenu du ménage et de la femme au foyer. Cette conception des rôles fortement différenciés selon le sexe se retrouve dans la plupart des assurances sociales qui se mettent en place dans l’immédiat après-guerre. Est ainsi instituée la dépendance des femmes à l’égard des hommes pour celles qui sont mariées, à l’égard de l’Etat pour celles qui vivent seules et dont l’activité rémunérée ne leur permet pas de boucler leurs fins de mois.
D’aucuns penseront que le droit des femmes à l’emploi est pleinement acquis aujourd’hui et qu’un processus du même type que celui qui caractérise les années 1930 ne saurait ressurgir. Il n’en est rien. La récente crise économique confirme l’existence d’une dynamique similaire, selon le rapport établi en 2009 par le Bureau International du Travail intitulé “Tendances mondiales de l’emploi des femmes”. Les turbulences économiques actuelles risquent bien d’exacerber les inégalités entre les femmes et les hommes dans l’univers du travail rémunéré.
Certes, l’égalité en matière de droit à l’emploi est formellement acquise depuis les années 1980, mais l’égalité dans les faits demeure un défi majeur. Pour les femmes, le travail rémunéré n’est toujours pas envisagé ni perçu comme un droit acquis, mais comme un droit d’usage. Autrement dit, l’activité salariée féminine est encore souvent considérée comme éventuelle, subordonnée à d’autres tâches, l’éducation des enfants en particulier. En témoigne la fréquence de la notion de «choix» pour parler de l’emploi féminin. Ne dit-on pas des femmes qu’elles choisissent d’exercer une activité à temps partiel ? Pour les hommes, il en va tout autrement. L’emploi est un droit acquis qui se traduit concrètement, pour ces derniers, par l’obligation de vendre leur force sur le marché du travail. Et quand on parle du travail salarié masculin, rares sont les personnes qui utilisent la notion de «choix».
(Source : Le Courrier)
NDLR : Très récemment, la CGT rappelait qu'en France, si la loi sur l'égalité salariale entre hommes et femmes était respectée, le gain pour la Sécurité sociale s'élèverait à 35 milliards d'euros.
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