«Si d’autres pays y arrivent, je ne vois pas pourquoi nous n’y arriveront pas», Nicolas Sarkozy a coutume de marteler cette antienne. Parmi les objectifs de son quinquennat, le locataire de l’Elysée a fixé celui-ci : en 2012, la France devra parvenir au plein emploi. Soit un taux de 5% de chômeur. Autrement dit une visée proche du chômage frictionnel ou incompressible à l’instar des Etats-Unis (4,9% de chômeurs en janvier) ou, mieux, du Japon et ses 3,5% de chômeurs. Sans parler de la Norvège qui affiche un taux de chômage de 1,8%, rente pétrolière oblige.
Cet objectif du plein emploi, la ministre de l’Economie l’a encore réaffirmé la semaine dernière, lors de la publication des chiffres de l’ANPE. Ils ont montré une nouvelle décrue en 2007 : au 31 décembre, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits dans la catégorie 1 est descendu sous la barre des 1,9 million. Sur un an, la baisse est de 9,3%. Selon l'INSEE, au troisième trimestre 2007, le taux de chômage était de 7,9% en France. La réforme en cours des contrats de travail, censée fluidifier le marché du travail et favoriser les embauches, et la fusion ANPE-Unedic, supposée faciliter le retour à l’emploi, permettraient d’accélérer le rythme. La France tiendrait donc le bon bout.
Sauf que… les chiffres du taux de chômage font l’objet d’une controverse récurrente. Notamment sur la réalité de cette décrue. Il s’agit d’une baisse en trompe l’œil, accusent des associations de chômeurs et des syndicalistes de l’INSEE, de la DARES et de l’ANPE réunis en un collectif : Les autres chiffres du chômage (ACDC). Pour une large part, cette baisse tient à des bidouillages statistiques, dénoncent-ils. Mais le cœur du problème n’est pas là. «Pour nous, cette question du taux de chômage, si elle est la plus médiatisée, n’est pas la plus fondamentale», insistent-ils. Le taux de chômage est au contraire l’arbre qui cache la forêt. «L’essentiel des changements du marché de l’emploi se joue ailleurs, dans le développement continu et insidieux de la précarité», interpellent ces trouble-fêtes. Tout ce que le Bureau International du Travail (BIT) englobe sous la notion «d’emploi inadéquat». C’est à dire un emploi qui ne permet pas de vivre décemment, de prévoir l’avenir, de préserver ses compétences et sa santé.
ACDC a fait ses calculs. A partir des données fournies de 1990 à 2005 par les Enquêtes Emploi de l’INSEE, le collectif a observé que la proportion d’emplois inadéquats «n’a cessé d’augmenter». De 25% de la population active, elle est passée à 41% en 2005 et concerne 11,4 millions de personnes. Sur la période, «la qualité des emplois s’est donc continûment dégradée», épingle le collectif. Les chiffres de cette évolution donnent en effet le tournis.
En 2005, 3,8 millions de salariés percevaient un bas salaire. Par convention est appelé «bas salaire» une rémunération inférieure aux deux tiers du salaire médian. Ce qui donne en France moins de 818 € par mois pour 14% de la population active. Depuis 1990, cette proportion a progressé de plus de 23%. Les femmes sont les premières concernées, tout particulièrement dans des secteurs comme la grande distribution. Justement, les salariés des hypermarchés se sont fait entendre, vendredi dernier. L’appel à la grève a été suivi par 4,5% d’entre eux, selon la fédération du commerce et de la distribution (FCD). Ce qui, de son propre aveu, est «exceptionnel» pour le secteur.
En 2005, 2,7 millions de salariés, soit 10% de la population active, étaient en contrat précaire : CDD, intérim, contrat saisonnier, stage, emploi aidé. Depuis 1990, la progression dépasse les 56%. Aujourd’hui, 3 embauches sur 4 se font en CDD. Cette même année, 5 millions de salariés, soit 18% de la population active, étaient comptabilisés en sous emploi de leurs qualifications et de leurs capacités. Depuis 1990, la progression a dépassé les 147%. Essentiellement dans l’hôtellerie et la restauration, le commerce, les services aux particuliers et aux entreprises. Vendeurs, vigiles, employés de restauration rapide, ce que l’on appelle justement les «fast-food jobs».
Le plein emploi, donc, mais à quel prix ? Non seulement «la focalisation médiatique et politique sur le taux de chômage rejette en arrière-plan le problème beaucoup plus vaste de la précarité», s’insurge le collectif ACDC, mais, pire encore, «elle aide à justifier des politiques qui aggravent encore la précarité au nom de la lutte contre le chômage», dénonce-t-il.
«Pour combattre le chômage dans les années 90, on s’est efforcé d’enrichir la croissance en emplois», rappelle Mathieu Lemoine, économiste à l’OFCE et spécialiste du marché du travail. Une économie crée des emplois quand son taux de croissance est supérieur à ses gains de productivité. «Enrichir la croissance en emploi» revient à casser cette équation. C’est tout le propos des politiques d’exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires développées depuis 1993. «Se fixer un objectif de 5% de chômage fait courir le risque de développer l’emploi précaire», prévient ainsi Mathieu Lemoine.
«A ce titre, il s’agit d’être vigilant quant à la réforme en cours de l’assurance chômage et la fusion ANPE-Unedic», suggère-t-il. Nicolas Sarkozy l’a rappelé, il souhaite des sanctions pour les chômeurs en cas de refus d’une offre valable d’emploi (OVE). Il reste aux partenaires sociaux à s’entendre sur le contenu de cette notion. Car, comme le craignent les syndicats, le risque est de voir les chômeurs obligés d’accepter des emplois très dégradés.
L’Allemagne en sait quelque chose. La baisse de son taux de chômage, spectaculaire, est en partie le résultat des lois Hartz, adoptées sous le gouvernement de Gerard Schröder (SPD). Ces dernières ont fortement réduit les allocations de chômage. Au bout d’un an, les demandeurs d’emploi n’ont plus, outre-Rhin, qu’une allocation forfaitaire du niveau du RMI. Dans le même temps, l’emploi précaire et le temps partiel subi y ont explosé. Conséquence : alors que l’Allemagne a enregistré en janvier son taux de chômage le plus faible depuis quinze ans (8,1%), la consommation des ménages est toujours en berne. C’est tout le problème des travailleurs pauvres.
(Source : L'Expansion)
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