Restaurants, chantiers, les lieux d'occupation n'ont pas été choisis au hasard. Le plus emblématique, c'est peut-être la maison du nettoyage de Villejuif où une centaine de grévistes se sont rassemblés. Tout un symbole, puisque le bâtiment abrite la Fédération nationale des entreprises de propreté, qui emploie un maximum de travailleurs immigrés : 15.000 structures spécialisées dans le nettoyage y sont représentées.
Dès 8 heures ce matin, les sans-papiers se sont regroupés dans un hall. Assis par terre en groupes, ils discutent ou se reposent. Accoudé contre un mur, Moussa Keita décrit ce qu'il appelle une vie de galère : «Ne pas avoir de papiers, c'est comme ne pas avoir de vie. On est obligé de tout accepter comme boulot. Et surtout, l'employeur peut faire ce qu'il veut avec nous. Parfois, c'est comme de l'esclavage.» Comme lui, la plupart des grévistes sont des Africains arrivés en France depuis plusieurs années. Ils enchaînent les petits boulots dans l'espoir d'être régularisé. «Le pire, c'est la peur», renchérit son voisin Ibrahim Diara : «Je sais que je ne peux pas être comme les autres qui sont nés ici. Mais je demande juste un feu vert pour travailler, sinon c'est pas une vie.»
Faire pression. C'est pour dénoncer ce statut particulier des sans-papiers qui travaillent que la CGT mène cette action. L'opération est préparée depuis une semaine dans la plus grande discrétion. Les grévistes, qui seraient près de 250, ont eu pour consigne de ne pas parler au téléphone. Après une réunion dimanche, ils ont reçu des textos lundi pour leur indiquer le lieu où se rendre. Dans certains endroits, de simples piquets ont été installés, dans d'autres, ce sont des occupations physiques, comme à Villejuif, mais dans le calme. «Quand je suis arrivée, j'étais vraiment surprise», s'exclame une salariée de la maison du nettoyage. «Mais ils ne nous bloquent pas, ils nous laissent travailler. Et puis ils font valoir leur droits.»
C'est justement pour alerter l'opinion publique que cette action «coup de poing» a été mise en place. L'objectif est aussi d'interpeller les entreprises pour qu'elles fassent pression sur le ministère. «On a des intérêts communs avec elles», ne cesse de marteler Caroline Aubry, responsable immigration de la CGT Ile-de-France. «Ils ont besoin de main-d'œuvre.»
En tension. Néanmoins, la CGT et les sans-papiers tiennent à souligner que les employeurs savent qui ils embauchent. «90% des patrons sont au courant», affirme Mady Yena, porte-parole des sans-papiers. «Mais que voulez-vous, là où je travaille, c'est avec des fourneaux. Il n'y a pas un blanc. Je suis pas raciste, mais aucun Français ne veut faire ça.» Ménages ou travaux physiques, les emplois occupés par les sans-papiers concernent des branches d'activités dites en tension, c'est-à-dire en pleine croissance et qui manquent de main d'œuvre.
Ce matin à Villejuif, une délégation a été reçue par la présidente de la Fédération des entreprises de propreté, Carole Sintès, qui reconnaît que «c'est un problème qui nous préoccupe. Mais ce sont des situations complexes. Certains salariés sont de très bons professionnels mais une entreprise ne peut pas se mettre hors la loi.» Demain, un conseil d'administration de la fédération est prévue au cours duquel le problème sera abordé.
Peur. La CGT espère étendre la mobilisation. A Villejuif, les sans-papiers s'organisent peu à peu, collectent de l'argent pour la nourriture. Ils projettent de continuer jusqu'au bout, quitte à dormir dans le hall. «De toute manière, on va voire ma tête à la télé, alors demain je suis viré», déclare Mady Yena, le porte-parole. «Et après-demain je suis peut-être expulsé.»
Comme lui, les sans-papiers ont laissé leur travail pour faire grève aujourd'hui. Des décisions courageuses. «Mais on en a marre d'occuper des églises et d'avoir peur, déclare l'un des grévistes Hamidou Boigiullé. D'ailleurs, on ne devrait pas car on cotise, on contribue à la société française. Aujourd'hui, il faut montrer notre colère.»
(Source : Libération)
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