Pour vous mettre en appétit, voici un extrait de son entretien pour ARTICLE XI.
(...) C’est frappant : on nous montre en permanence les vaincus, les victimes, qu’ils soient salariés en colère, licenciés économiques, etc… Mais il n’y a jamais personne pour dire que ce qui leur est pris profite à d’autres. Il y a pourtant un lien d’évidence, très logique, que les médias et les politiques s’emploient à rendre complexe. Ce n’est rien d’autre qu’un vaste enfumage.
Un exemple : au moment de l’annonce du plan Power 8 chez Airbus et de ses 10.000 licenciements, personne n’a dit qu’il s’agissait de délocaliser pour que Lagardère gagne davantage d’argent. Par contre, on a entendu qu’il fallait se caler sur Boeing ou que c’était un contre-coup de l’Euro. C’était des mensonges autant qu’une manière d’habiller les mots de coton, de départir la réalité de sa violence. C’est pour ça qu’il faut le dire et le redire : ce qui va en plus aux actionnaires est pris aux salariés. Toujours.
(...) Cet affrontement du capital et du travail est tellement habillé de mots et d’euphémismes que les victimes de la guerre des classes ne voient plus la massue qui s’abat sur elles et se cherchent d’autres responsables. Je cite Patrick Lehingue, professeur de sciences politiques à Amiens, qui explique qu’il «n’y a pas 40 façons, pour les gens, de classer en juste/injuste. Soit c’est le riche contre le pauvre […], soit c’est le dedans contre le dehors, les Français contre les étrangers, les jeunes contre les vieux». A partir du moment où la gauche abandonne le conflit principal, celui des classes, ce sont les conflits secondaires qui sont réanimés. Et la droite en joue à merveille, par exemple en opposant à propos de la question des retraites jeunes et vieux, salariés du public contre ceux du privé.
Chronologiquement, cette substitution des responsables se vérifie parfaitement : en 1983 Mitterrand abandonne la dialectique de classe, en 84 Le Pen se taille la vedette à la télé et cartonne à plus de 10% des voix aux élections européennes. Il y a un lien évident de cause à effet : les gens ne se disent plus qu’ils sont au chômage à cause des patrons, mais à cause de l’arabe qui bosse en bas de chez eux…
Le livre a été publié alors même qu’éclatait la crise financière. Elle conforte ton constat ?
Bien sûr. Pendant la crise, la guerre des classes continue. Alors même qu’il injecte des centaines de milliards d’euros pour sauver les banques, le gouvernement procède en catimini au déremboursement de médicaments pour économiser quelques millions. C’est la même chose pour le travail le dimanche. On va utiliser la crise pour justifier les réformes, ce qui va contribuer à alimenter la guerre des classes.
=> TOUTE L'INTERVIEW à lire absolument...
La guerre des classes par François RUFFIN - Fayard - 252 p - 19 €
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