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Accueil Social, économie et politique La généralisation du sous-emploi précaire a ses limites

La généralisation du sous-emploi précaire a ses limites

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Plus que jamais depuis le début de la crise, les offres pour des emplois minables prolifèrent. Et, plus ça va, moins les chômeurs les acceptent. Le bout de l'impasse est-il proche ? Comment cela va-t-il finir ?

On l'a vu à l'occasion de la dernière Enquête BMO de Pôle Emploi : malgré une main d'œuvre disponible de plus en plus abondante, une partie des entreprises interrogées persiste à se plaindre de "difficultés de recrutement", invoquant "l’inadéquation des profils" des candidats éventuels aux postes proposés par manque de diplôme(s), d'expérience, de formation… ou de motivation.

Leur mauvaise foi est d'autant plus flagrante que les besoins en main d'œuvre recensés pour 2011 concernent, à une écrasante majorité, des emplois peu qualifiés, précaires, et mal payés. François Langlet, directeur de la rédaction de La Tribune, ne s'y est pas trompé dans sa chronique éco du 6 avril sur BFM-TV.

Le lendemain, sur son blog, le journaliste économique Jean-François Couvrat a pertinemment décrypté l'imposture de ces recrutements soi-disant "difficiles" : basés sur des "intentions d'embauches" hypothétiques, l'épouvantail des "offres d'emplois non pourvues" a ainsi occupé les titres des journaux, suggérant qu'il y a toujours du travail en France, mais qu'une grande partie de nos 10% de chômeurs sont des fainéants qui refusent de se lever tôt.

Quantité sans qualité n'est que travestissement de la vérité

L'affaire rebondit avec cet excellent article de La Voix Éco intitulé «Des "petits boulots" en veux-tu en voilà !» où, à son niveau, le directeur régional du Pôle Emploi Nord Pas-de-Calais, Karim Khetib, contribue à démonter les conclusions simplistes tirées de cette enquête.

En effet, si la mauvaise qualité des emplois qui seraient à pourvoir en 2011 dans les bassins de Sambre-Avesnois, Lens, Roubaix-Tourcoing et Calais, n'est plus à démontrer et si leur nombre — dont la progression paraît "encourageante" — demeure très insuffisant, il note que l'Enquête BMO s'obstine à éluder le volume d'heures attachées à ces "projets de recrutement". Outre l'absence de perspectives d'insertion professionnelle qu'ils recèlent, la plupart se traduisant par des emplois dégradés — à temps partiel voire très partiel, en horaires fractionnés, saisonniers, précaires… —, certains s'assimilent à "des boulots de vacances pour étudiants" qui "ne permettent pas de faire vivre une famille".

«Le chercheur d'emploi a besoin d'un certain revenu, il y a des postes qu'il ne peut pas accepter», reconnaît Karim Khetib. Conclusion, ces bassins où les employeurs peinent à recruter sont aussi les plus touchés par le chômage : tel est le paradoxe, qui s'explique aisément.

Primo, les cartes sont brouillées

De François Langlet à Karim Khetib en passant par Jean-François Couvrat, le constat est le même : cette "offre de recrutement" fort peu attrayante se heurte à une main-d'œuvre disponible qui semble la dédaigner, soit parce que les candidats qualifiés ne se sentent pas concernés et l'ignorent; soit — qu'ils soient qualifiés ou non — parce qu'ils refusent de travailler à perte.

François Langlet le soulignait dans sa chronique : depuis vingt ans, l'emploi supposé "peu qualifié" est largement subventionné — des milliards consacrés aux "allègements généraux" dits "pour l'emploi" appliqués de façon dégressive de 1 à 1,6 Smic; sans oublier les centaines de millions injectés dans les contrats "aidés" ou "de professionnalisation"… —, ce qui instille dans l'esprit des employeurs un «signal prix» stimulant une généralisation des petits salaires. C'est pourquoi, en France, le salaire médian pour les emplois à temps plein dans le secteur privé ne dépasse pas 1.600 €/mois. Pire : 25% des salariés gagnent moins de 750 €/mois. Or, parmi tous ces gens, on trouve énormément d'individus qualifiés/diplômés/expérimentés qui, rémunérés comme s'ils ne l'étaient pas, subissent un déclassement aussi répandu qu'injustifié.

Secundo, on est dans un cercle vicieux

Les bassins où les employeurs peinent à recruter sont aussi les plus touchés par le chômage, nous dit-on. C'est le serpent qui se mord la queue ! Pour sortir de ce paradoxe, il suffirait que ces employeurs décident de proposer des emplois de meilleure qualité, sinon mieux payés : non seulement ils trouveraient preneurs, mais cela relancerait l'activité économique par la demande intérieure.

Or, depuis des lustres, les employeurs ont été encouragés à dévaloriser le travail, parce qu'on leur a seriné qu'il fallait baisser son coût pour être compétitifs et qu'on les a subventionnés dans cette optique. A leurs yeux, le chômage n'est pas un fléau mais une aubaine, et
plus la main d'œuvre disponible est importante, plus ils persistent à proposer des emplois merdiques (tout en continuant à se plaindre de ne pas attirer les foules…). Cette attitude, entretenue par un discours dominant qui clame que les chômeurs devraient accepter des jobs de plus en plus pourris au nom du "C'est mieux que rien" et sous couvert de leur éviter "la désocialisation", semble malheureusement impossible à modifier.

Tertio, le travail paie autant sinon moins que l'assistance

La quantité et la qualité des emplois étant de plus en plus médiocre, nombre de chômeurs finissent par comprendre qu'un retour à l'emploi ne signera pas la fin de leur galère. Certains, très échaudés, ont même perdu l'illusion consistant à croire que le travail serait encore une source d'enrichissement.

Afin d'obliger les individus à se plier à cette incroyable ignominie, comme il n'est pas question de niveler par le haut, il faut aller plus avant dans la régression. En parallèle à une déprédation constante de l'emploi salarié, nos gouvernants se sont régulièrement attaqués aux derniers remparts qui empêcheraient les individus de renoncer à leur dignité en acceptant n'importe quoi : le salaire minimum (qui existe toujours, mais pour combien de temps ?) et notre système de protection sociale, en permanence objets de mesures drastiques visant à les anéantir.

Jusqu'à présent existait un relatif équilibre entre le bénéfice prodigué par les aides sociales et celui prodigué par l'activité salariée : grâce à un savant dosage s'appuyant sur des seuils de revenu à ne pas franchir, le travail était théoriquement censé rester plus attractif que l’«assistanat». Or aujourd'hui, les entreprises étant de plus en plus «assistées» pour offrir des emplois indignes, il devient criant que travailler n'est plus avantageux et que le bénéfice qu'on en peut en tirer s'avère inférieur ou égal à celui des aides sociales.

Cette course au moins-disant social est en train d'atteindre ses limites : un constat qui n'a pas non plus échappé à l'UMP. Puisque le travail paie autant sinon moins que l'assistance, pourquoi ne pas toucher le fond ? Après tout, ou ça passe, ou ça casse. Demander aux patrons de renouer un peu avec la décence étant inconcevable, il est donc envisagé de corriger ce dangereux déséquilibre à la hussarde, en imposant le travail gratuit aux chômeurs et aux allocataires du RSA.

Sauf qu'il y a une limite à tout, y compris l'inacceptable. A force de tirer sur la corde, elle finira par rompre.

Une seule alternative : le sabotage !

«A mauvaise paye, mauvais travail», prônait en 1897 le syndicaliste Emile Pouget. Une maxime que trop de salariés se sont hélas abstenus d'appliquer tandis qu'au contraire les mieux payés, y compris au plus haut de l'échelle, l'adoptaient sans vergogne.

Ils veulent convoquer les chômeurs de longue durée et les contraindre à accepter des CUI ou des contrats de professionnalisation au Smic ? Comme disaient les travailleurs soviétiques : «S'ils font semblant de nous payer, faisons semblant de travailler !»

Ils veulent faire travailler gratuitement les chômeurs allocataires du RSA ? «A zéro paye, zéro travail» : faire acte de présence suffira. Ils veulent faire de nous des mules ? Alors, on va faire les ânes (et l'âne qui refuse d'avancer réduit son propriétaire à l'impuissance)…

Comme les chômeurs ne peuvent pas faire grève et sont à la merci des plus viles expérimentations économiques et sociales, il leur reste cette forme de lutte silencieuse et discrète qu'est la résistance passive, en riposte à toutes ces agressions. Manipuler, contourner, faire semblant ou saboter est à la portée de tout individu ayant d'un minimum d'aplomb et d'intelligence.

Ils font semblant d'agir contre le chômage en tentant de nous réduire en esclavage ? Faisons semblant d'accepter ce marché de dupes en le grippant. Leur pouvoir de nuisance est sans limite ? Le nôtre aussi car, ne l'oublions pas, l'inertie est une force : l'âne récalcitrant l'a toujours su. Prenons modèle sur lui.

SH

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Mis à jour ( Jeudi, 10 Mai 2012 12:44 )  

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