Lundi à 13h30, dans la précipitation, la chaîne publique nous a sollicités afin de participer à un reportage sur le RSA pour son JT de 20H, suite à une guerre des chiffres lancée par La Tribune sur les «débuts laborieux» du dispositif dans sa version "chapeau" réservée aux travailleurs «modestes» (car il ne faut plus dire «pauvres», c'est un mot noir)...
Démarrage poussif, notamment attribué à sa «complexité» ainsi qu'à la «méfiance» des éventuels bénéficiaires, préférant renoncer à cette aumône frappée du sceau de l'assistanat qui les oblige à se soumettre à un fichage suspect et autres contrôles/obligations drastiques.
Après avoir aidé la journaliste de France 2, visiblement peu au fait de son sujet ni décidée sur l'angle à adopter, à se mettre en relation avec des personnes directement concernées pour enrichir son reportage, c'est donc sans illusion que je l'ai reçue avec ses deux co-équipiers — fort sympathiques au demeurant et eux-mêmes précaires — chez moi à 15h30. Nous avons tourné une interview traitant de l'aspect anxiogène et dissuasif du RSA : les questions intrusives du formulaire malgré sa récente modification, et l'amputation du RSA "socle" d'ex-RMistes (voire le blocage de dossiers avec suspension de tout versement) pour des demandeurs qui ont déclaré le montant de leurs quelques économies ou dont le statut est jugé trop «atypique». Autant de bourdes qui refroidissent.
Je savais par avance que mes propos seraient réduits à la portion congrue : une bonne heure de tournage pour 1 mn 30 de parole après montage, c'est un classique de la télévision. Mais en off, pour leur gouverne personnelle, je les ai tout de même informés de la teneur véritable du RSA : moins avantageux que les dispositifs d'intéressement antérieurs (montant du revenu d'activité désormais plafonné à 1,04 Smic, perte de droits connexes, ASF des mères célibataires désormais considérée comme ressource, etc...), ce RMI relooké est avant tout prétexte à un contrôle social accru.
France 2, à la niche !
Puis, au moment de partir, le téléphone portable de la journaliste sonne : c'est son rédacteur en chef qui lui annonce que, finalement, suite au communiqué de presse de Martin Hirsch démentant les allégations de La Tribune (un autosatisfecit bien compréhensible, puisque seulement 286.000 prestations ont été versées pour 815.000 dossiers déposés sur un objectif de 2 millions de travailleurs «modestes» soi-disant à toucher), le comité de rédaction a décidé de ne pas traiter ce thème plus avant... On notera que cette contre-performance, faussement positivée par le Haut commissaire, est en réalité un succès : réussir à dissuader les gens de bénéficier d'un droit du fait de sa complexité et des contreparties pour l'obtenir est une véritable prouesse administrative et politique. Il n'y a pas de petites économies : vive la sélection naturelle !
Pour la rédaction de France 2, ce que dit Martin Hirsch est parole d'évangile : ainsi évite-t-on de creuser les dessous du RSA, sujet «chaud» du moment. D'ailleurs, il en est de même pour le chômage et des dégâts de la crise... Mieux vaut, après l'incontournable psychose distillée autour du virus H1N1, montrer au bon peuple un électricien qui se présente chez ses clients en t-shirt rose après consultation d'un «conseiller en image», de quoi nous endormir et maintenir un semblant de paix sociale. A la place a donc été diffusé un reportage affligeant sur «le relooking de salariés financé par leur employeur» — ceci sur le budget formation de l'entreprise, une honte !!! —, la tarte à la crème de l'info à visionner ici => Cliquez sur le JT du 31 août - 21ème minute. Quelle télé publique de merde ! Dire que tout cela est financé par la redevance audiovisuelle...
S'étant démenés toute la journée pour ça, la journaliste et ses deux co-équipiers furent bien plus dégoûtés que moi, qui m'y attendait. En effet, France 2 nous avait déjà fait le coup en 2005... Je n'espérais rien de leur visite et, sincèrement, je les plains de travailler dans ces conditions (l'urgence, toujours l'urgence) : à France 2, on n'hésite pas à stresser et à faire cavaler son personnel tout en gaspillant l'argent public.
Conclusion : Preuve est faite que la rédaction de France 2 est à la botte du gouvernement. Pour que cela reste de la com’ 100% lénifiante, il faut éviter de donner la parole à la critique... C'est de la censure déguisée. Nous le redisons encore ici : Une insidieuse chape de plomb politique et médiatique sévit en France, qui menace sérieusement notre démocratie.
Evidemment, si d'aventure France 2 nous sollicite à nouveau, ils essuieront une fin de non recevoir.
Sophie HANCART
A lire ou à relire :
• Les cocus de l'irresponsabilité triomphante
A travers sa propre expérience, l'économiste Frédéric Lordon dissèque les mécanismes d'un verrouillage quasi total de toute pensée critique en France et dénonce «la servilité et l'état d'abaissement des journalistes des grands médias», qu'ils soient privés ou publics.
• Le Chômeur et les Médias : sujet ou objet ?
A travers notre expérience, comment le privé d'emploi est un «produit premier prix» qu'on prend et qu'on jette après usage. Une synthèse de quatre années de rapports avec ce petit monde et ses pratiques...
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