Il y a plus d’un an maintenant, Actuchomage a été parmi les premiers à dénoncer les mauvais coups portés aux salariés, et aux ouvriers en particulier.
Nous sentions bien que «la crise» allait fournir au patronat un prétexte inespéré et imparable aux restructurations industrielles radicales conduisant à des licenciements massifs. C’est ainsi que, depuis un an, des centaines de milliers d’emplois ont été détruits (souvent délocalisés discrètement) afin que les entreprises conservent leur niveau de rentabilité et assurent la rémunération… de leurs actionnaires.
Dès décembre 2008, nous pronostiquions 1 million de chômeurs supplémentaires en 2009. Même si le chiffre officiel du chômage en France (la catégorie A) ne confirme pas notre prévision, nous savons pertinemment que nous l’atteindrons en fin d’année. Car les truchements statistiques ne manquent pas pour minimiser le nombre de nouveaux inscrits à Pôle Emploi, en catégories A, B et C (+ 44.900 en septembre).
Ainsi, en un an, le nombre de chômeurs de catégorie D a fait un bond de 250% ! Tous les salariés licenciés qui signent une CRP (Convention de reclassement personnalisé) relèvent de cette catégorie dont on ne parle quasiment jamais. Comme par enchantement, ils n’apparaissent donc pas dans les chiffres officiels du chômage. Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.
Et en voici un autre justement : Ces chômeurs de nos départements d’outre-mer qui, eux aussi, «ne méritent pas» d’apparaître dans les stats fournies mensuellement… On continue ?
Depuis 1 an, nous assistons impuissants à un véritable tsunami, passé quasiment inaperçu dans les médias, excepté quand quelques salariés en colère séquestrent leur patron pour exiger des indemnités de licenciement plus «confortables» ou menacent de faire sauter leur usine.
En dehors de ces coups d’éclat médiatisés, le drame vécu par des centaines de milliers de salariés n’a suscité aucune mobilisation d’envergure… jusqu’au 22 octobre dernier où la CGT appelait, seule, à une manifestation nationale en faveur de l’emploi et pour une vraie politique de réindustrialisation. Il n'était que temps !
Évidemment, nous avons saisi l’occasion pour rencontrer Bernard Thibault.
Si les propos du Secrétaire général de la CGT restent combatifs, c’est avant tout un sentiment d’impuissance qui s’en dégage.
• Impuissance à s’opposer aux 20.000 licenciements mensuels dans l’industrie et aux 300.000 emplois menacés à brève échéance.
• Impuissance à organiser (et donc à défendre) ceux qui ont été licenciés.
• Impuissance à fédérer les autres syndicats sur des mobilisations unitaires (autres que des promenades de santé dans la rue).
• Impuissance à répondre parfois aux aspirations et exaspérations de «la base».
À chacune de nos questions, Bernard Thibault évoque le prochain congrès de la CGT… qui en débattra.
Pour autant, nous avons obtenu un engagement : La présence de la CGT le 5 décembre, jour de la manifestation annuelle des Chômeurs et Précaires. Ceci n’est pas surprise puisque c’est le SEUL SYNDICAT à disposer d’une représentation officielle des sans-emplois (la CGT Chômeurs Rebelles), impliquée dans d’importants engagements comme la bataille des Recalculés de l’Assédic en 2003/2004 (800.000 chômeurs concernés et réintégrés dans leurs droits).
==> Ci-dessous quelques extraits de l'interview de Bernard Thibault, recueillie lors de la manifestation du 22 octobre pour la défense de l'emploi et pour la réindustrialisation :
Actuchomage : Quels sont les enjeux de cette manifestation ?
Bernard Thibault : C'est une manifestation nationale pour permettre à tous les secteurs industriels, à tous les salariés, de clamer l'urgence de la situation. Car il n'y a pas de changement de politique en la matière. On a des discours sur la réforme du capitalisme, sur une nouvelle économie, mais les boites continuent à fonctionner sur les mêmes paramètres : La rentabilité financière qui est le dogme à partir duquel on licencie, on restructure, on perd des compétences, on perd des outils industriels. Il y a urgence et on veut des changements à cet égard !
Dans le secteur de l'industrie, on continue à supprimer 20.000 emplois par mois. Nous pensons que plus de 300.000 emplois sont menacés à brève échéance. Et cette mobilisation vise justement à renverser cette spirale infernale de suppression d'emplois.
Actuchomage : Une fois licenciés ou en fin de CDD, ces nouveaux chômeurs ne sont plus défendus. Comment les syndicats intègrent cette réalité ?
B. T. : C'est un sujet en discussion, en réflexion, dans notre syndicat pour le prochain congrès de la CGT (qui se déroulera le 6 décembre). Nous ne sommes pas aujourd'hui en capacité d'organiser ceux qui ont été virés de leur entreprise. Il faut aussi qu'avec les chômeurs, les précaires, le syndicat trouve les moyens de s'organiser.
Une chose est sûre, si on est dispersé, si on est tout seul, on ne peut pas agir avec efficacité. Il faut absolument trouver des formes d'organisation appropriées avec les chômeurs et les précaires eux-mêmes.
Actuchomage : Le 5 décembre, justement, ils vont manifester à Paris. La CGT sera-t-elle présente ?
B. T. : Oui, la CGT sera présente le 5 décembre. C'est même la veille du congrès, donc il y aura beaucoup de choses en même temps. Mais nous serons-là le 5 !
Actuchomage : Une partie de votre base critique la direction, notamment l’absence de signe fort au lendemain du 19 mars et votre position concernant «les Conti». Comment éviter que se creuse le fossé entre la base et la direction ?
B. T. : Ça tombe bien puisqu'il y a le congrès de la CGT qui est justement l'occasion pour les militants et les adhérents de débattre de la situation, sur ce qu'il convient de faire, sur les stratégies syndicales et sur les objectifs. L'essentiel est que le débat soit constructif et qu'il ne soit pas destructeur.
Actuchomage : Et les convergences avec les autres syndicats ?
B. T. : On y travaille. Et quand elles ne se produisent pas, eh bien la CGT prend ses responsabilités.
Actuchomage : En conclusion, que voulez-vous dire à nos lecteurs ?
B. T. : Même si c'est difficile, il faut que nous ayons confiance dans la mesure où on est sûr d'une chose : Si on ne lutte pas, la situation va se dégrader. Tout ce que l'on risque, si on lutte ensemble, c'est éventuellement d'obtenir des succès. Donc, ne soyons pas résignés !
Interview réalisée par Pili Serra
Texte introductif : YB
Et voir l’interview de Bernard Thibault sur Dailymotion :
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