Humaniste et engagé, ce Marseillais de 55 ans a choisi de consacrer son existence à la lutte contre l'injustice sociale. À l'origine de la CGT-Chômeurs en 1988, Charles Hoareau est une figure emblématique de la lutte des privés d'emploi. Il a mené de nombreux combats en faveur des précaires et des démunis (sans papiers, mal logés...) et fut porte-parole des chômeurs "Recalculés" de Marseille en 2003/2004.
Depuis deux ans, il soutient les salariés d'ADOMA (ex-Sonacotra, logeur "social") en conflit avec leur employeur et baladés par la justice, ce qui lui a valu une inculpation.
RAPPEL DES FAITS
Concernant ton combat contre l'entreprise ADOMA, peux-tu nous dire quelles suites tu vas lui donner ?
Charles Hoareau : Sur la question d'ADOMA, le combat est loin d'être terminé. Je ne sais pas ce que je vais faire pour le procès parce que je ne suis pas seul dans l'histoire, mais j'ai en tête qu'ils [les patrons d'ADOMA] avaient la volonté de me mettre en cabane, une nouvelle fois j'allais dire, et qu'ils n'y sont pas arrivés. Du coup, la mobilisation a fait ressortir l'ensemble de l'affaire et l'a mise au grand jour. On vient d'apprendre vendredi soir, et c'est une exclusivité pour Actuchomage, que les deux régies de quartiers (qui, au nom du "social", avaient mis tout le monde dehors et qui, depuis deux ans, au nom du "social", ne paient plus leurs salariés et refusent d'appliquer les décisions de justice) viennent d'être mises en redressement judiciaire par le tribunal. Elles sont mises en demeure de payer les filles et les gars d'ici le 27 octobre, faute de quoi elles seront liquidées.
Ce qui inverse sacrément le rapport de force. Finalement, on va peut-être réussir à leur faire comprendre que le droit du travail, cela se respecte. Et plus encore quand on "fait dans le social"... Voilà pour le conflit ADOMA.
Mais le problème RSA, lui, reste entier. J'ai lu ce qu'a écrit Actuchomage à ce sujet. J'ai d'ailleurs moi-même publié un article sur Rouge Midi avec un tableau. Contrairement à ce que l'on nous fait croire, le RSA ne va pas faire gagner de l'argent aux gens ! Il va en faire perdre énormément à beaucoup d'autres. Le tableau montre bien qu'une personne seule avec un enfant perd à peu près 200 € par mois (de mémoire), lorsqu'elle prend un travail à plein temps, par rapport au dispositif qui existait avant. Avec le RSA, ils suppriment la prime pour l'emploi au niveau national et d'autres aides. Et sur le plan local, les aides et droits qui étaient liés au RMI risquent de disparaître.
Que penses-tu de l'état des luttes et de leurs convergences ? Que se passe-t-il dans ton coin, dans les Bouches du Rhône ?
Charles Hoareau : Sur les luttes et leurs convergences, on est dans une situation très compliquée. Y compris dans la stratégie syndicale nationale qui n'est pas très lisible et qui interroge à l'intérieur même de la CGT. Il y a débat chez nous sur comment mener les luttes. Est-ce qu'on était forcé, au soir du 19 mars, de dire qu'on attendait le 1er mai pour se rassembler à nouveau ? Ce n'est pas l'opinion majoritaire dans mon département, loin s'en faut. Je crois qu'on a laissé passer une occasion historique d'emballer la machine. Je ne dis pas qu'il fallait partir sur une grêve illimitée, au matin du 20 mars. Ceux qui disent cela sont dans le rêve.
Je m'occupe aujourd'hui du secteur du nettoyage. J'ai bien vu que très peu de salariés de ce secteur étaient en grêve le 19 mars. Si on voulait emballer la machine le 20 mars, il fallait trouver des formes de lutte adaptées, en tenant compte des spécificités de cette activité. Mais il fallait quand même donner un signe fort au plan national, ce qui n'a pas été fait.
Dans notre coin, je ne suis plus en charge des chômeurs. Je m'occupe des salariés "riches" du nettoyage, comme on a pu le voir avec ADOMA, et des "très riches" que sont les agents de sécurité (sourire malicieux), ceux qu'on appelle les vigiles. Au plan politique, je continue à developper mon activité dans les quartiers nord de Marseille qui sont "très riches" eux aussi, comme on le sait.
On est en train de voir avec des associations de quartiers, des partis politiques et le comité CGT Chômeurs, si on peut monter un collectif. Peu importe le nom que nous lui donnerons, mais on va essayer de constituer un LKP métropolitain, c'est-à-dire essayer de rassembler des organisations aux vocations diverses autour de revendications communes.
Lesquelles ?
Charles Hoareau : Par exemple, les expulsions locatives. Le comité chômeurs était un peu seul à se battre. J'étais même carrément seul ! Mais on a réussi à éviter deux expulsions. Donc, il peut y avoir des revendications d'actualité sur lesquelles nous pouvons lutter ensemble.
Un autre exemple : Tout le monde parle d'écologie et de taxe carbone en ce moment. On pourrait se battre de façon unitaire pour que les bailleurs soient obligés de faire des travaux d'isolation dans les logements HLM, notamment dans ceux de plus de 25 ans. On sait qu'ils consomment quatre fois plus d'énergie que les logements récents. Ces travaux permettraient aux gens, au lieu d'être taxés, de faire des économies de chauffage.
Car, contrairement à ce que dit Sarkozy ou d'autres qui le soutiennent, sur ce plan, il y a personne qui gaspille de l'essence par plaisir. Je ne connais personne qui, le soir, laisse son moteur tourner jusqu'au lendemain en se disant “C'est bien ! Comme ça, je gaspille mon essence”.
Et quelles sont les convergences possibles avec les chômeurs qui sont les premières victimes de la casse sociale ?
Charles Hoareau : En principe, je ne m'occupe plus des chômeurs et des précaires. Je ne m'occupe que des "riches" (clin d'œil). J'ai arrêté de m'en occuper car je devenais trop vieux (sourire). J'ai été 17 ans dirigeant du mouvement. Il fallait passer la main, ce qui a été fait avec une femme qui s'était engagée dans le combat des "Recalculés" en 2003/2004.
Mais ce sont des combats qu'on ne peut pas lâcher comme ça. J'ai une opinion forgée par le mouvement des "Recalculés" en 2003/2004 : Sur ce conflit, on a démontré que les quatre organisations de chômeurs pouvaient marcher dans l'unité. J'ai le souvenir d'une belle confiance réciproque. Je rédigeais des communiqués communs que je transmettais aux autres associations. Ils me disaient : "C'est bon, envoie à la presse", sans même regarder. On travaillait main dans la main. Si on l'a fait une fois, on peut le refaire !
Il y a ces marches régionales sur le chômage qui se préparent. Je ne sais pas ce que cela va donner, mais il faut absolument que les premières victimes du chômage soient en tête du mouvement. Au fond, tous les grandes luttes que les chômeurs ont menées (comme la prime de Noël ou la bataille des "Recalculés", deux combats emblématiques), ça a marché parce que les premiers concernés ont mené la bataille.
Si ce sont des associations qui viennent avec des démarches idéologiques, même animées de bonne volonté, ça ne marchera pas. Il faut vraiment partir des quartiers, des cités populaires et des premiers concernés.
Et comment mobiliser les chômeurs ? Comment les faire s'engager ? Qu'est-ce qui pourrait les faire sortir de leur silence ?
Charles Hoareau : Le RSA ! L'application du RSA, ça va faire du mal à beaucoup de gens.
Le 22 octobre, la CGT appelle à une manif sur la réindustrialisation. Bon, on peut considérer qu'elle a un peu tardé à réagir. Mais là, ça vaut le coup que les chômeurs s'en mêlent car ils sont les premiers concernés par la réindustrialisation. Cela suppose que les syndicats et les associations de chômeurs aient des mots d'ordre adaptés afin de permettre aux gens de se sentir concernés et acteurs de cette mobilisation. Mais ce n'est pas forcément facile à faire (sourire).
Et dans tes quartiers nord de Marseille, que sens-tu émerger ?
Charles Hoareau : Il y a une aggravation de la situation. J'ai l'impression d'être un pompier avec un verre d'eau. Ça fait un long moment que j'ai cette impression, sauf que le feu est de plus en plus gros et le verre de plus en plus petit.
Face à cette dégradation, ce qui grandit, ce n'est pas la colère organisée dans les associations existantes, mais une absence de signaux forts à l'adresse de cette population. Et si ces signaux ne viennent pas, ça va pêter fort, n'importe comment et pas forcément avec des objectifs progressifs.
Pour le moment, il y a beaucoup de fatalisme, mais on sent poindre une conscientisation de plus en plus forte. Je le vois dans la jeunesse où il y a une capacité d'analyse très fine et très pointue sur ce que l'on vit, sans forcément de réponse politique appropriée. Les politiques n'ont pas pour l'instant de réponses : Quand on voit que le RSA, à part au PC, a fait quasiment l'unanimité.
Ici, on envisage d'engager des batailles juridiques contre le RSA. Qu'en penses-tu ?
Charles Hoareau : Je suis pour qu'on attaque le Président du Conseil général et qu'on le condamne à vivre un an avec le RSA (rire).
Il faut attaquer s'il y a des failles juridiques. Je suis d'accord pour le faire et je peux même vous trouver des avocats assez "barjots" pour ça...
Propos recueillis (et filmés) par Pili SERRA
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