[...] Deux jours de grève pour 50 euros
Sous l'impulsion de l'intersyndicale CGT, CFDT et SUD, la grève a été décidée lundi 7 mars dans l'après-midi. Le blocage de l'usine a commencé le lendemain à 4 heures du matin et s'est terminée le lendemain, aux alentours de 16 heures; soit deux jours de mobilisation. Les syndicats réclament 2,5% d'augmentation mensuelle, 50 € pour les bas salaires, quand la direction n'en propose que 1,75%.
Fabien Gillen, directeur des ressources humaines du site Valeo d'Amiens, accepte de descendre à l'accueil pour me parler. Il reste évasif. La poignée de mains est franche, l'homme un peu gêné, mais il n'en perd pas le sens de la communication officielle : «Il y aura toujours des revendications. Ce mouvement était minoritaire. Néanmoins, les négociations sont en cours et nos propositions nous paraissent adaptées au contexte. Veuillez maintenant rester à l'extérieur de l'usine car je ne dirais plus rien.»
Tandis qu'une technicienne parle «d'un peu plus d'une centaine de grévistes», un autre évoque «un peu moins de la moitié» sur les 870 employés que compte l'entreprise. Tout le monde s'accorde sur le fait que mercredi, il ne restait qu'une petite vingtaine de grévistes. Trop peu pour continuer et pour peser sur les décisions de la direction.
Deux jours de salaire : un sacrifice trop important
Près de l'entrée de l'usine, une jeune fille fume, son paquet de blondes à la main. Souriante, mais anxieuse. Elle est opératrice, en intérim. «Ouvrière de base, en bas de l'échelle quoi.» La grève, elle ne l'a pas suivie : «Je ne suis qu'intérimaire. En plus, Valeo-Abbeville, tout près d'ici, ferme, et leurs employés seront forcément reclassés ici. Je suis en sursis. Il faudra leur faire de la place.» Elle avoue pourtant du bout de lèvres avoir soutenu la grève : «Un jour de plus, et je pense que ça aurait pu leur faire mal. Mais attention, les grévistes n'empêchaient pas les non-grévistes de travailler.»
Un homme d'une quarantaine d'années, en quête d'un briquet, la rejoint. Lui a fait grève. S'il refuse de parler de lui, il assume ses choix : «La grève est le seul moyen de s'exprimer et de sauver notre pouvoir d'achat. On ne la fait pas de gaité de cœur. Deux jours de salaire, c'est énorme, vous ne vous rendez pas compte ! Malheureusement, c'est un mouvement collectif en apparence seulement. Chacun a des velléités personnelles, des revendications propres. Alors la solidarité s'effrite.» Deux jours de salaire, soit en moyenne 130 euros. Le sacrifice est trop important.
Après la crise de 2008, l'activité reprend chez Valeo. A tel point que les objectifs du groupe sont à la hausse. Pour les employés les moins qualifiés, l'arrivée annoncée de nouveaux investisseurs ne change rien ou presque. Il faudra sûrement continuer de se serrer la ceinture. Eric, un salarié de Valeo : «Prends l'essence, par exemple. On veut des primes au kilométrage. Les prix du carburant grimpent. On fait quoi, nous ? On nous propose 75 € sur l'année, soit un plein. Divisé par douze, le calcul est vite fait. On n'est pas loin du rien. Certains parmi ceux qui habitent loin n'ont même plus les moyens de mettre de l'essence.»
«Ils ne demandent pas grand-chose»
Un petit groupe d'hommes prend un café un peu plus loin, dans la cour d'entrée de l'usine. Hilare. «Journaliste ? Pour qui ? On n'a rien à dire. C'est un lieu de travail, pas un forum.» La grève n'est pas taboue mais c'est un sujet qu'on préfère éviter. Une semaine après, l'heure est au rattrapage du travail laissé en suspens durant 48 heures.
Un apprenti-technicien n'est pas contre «parler un peu», entre deux taffes de cigarette. La grève est finie, la tension redescendue d'un cran : «J'ai commencé tout en bas, donc forcément je comprends. Ils ne demandent que 40 ou 50 euros en plus, quelques primes et des chèques-carburant. Pas grand-chose en somme. Même certains cadres se sont montrés solidaires du mouvement en ne s'opposant pas au blocage.» Une femme, prévenue de ma présence, court à toute haleine pour couper court à l'entretien. «Que faites-vous ici ? C'est formellement interdit ! Sortez s'il vous plaît.»
Une augmentation acquise, celle du chômage
Direction le parking pour rencontrer Eric Lalot et David Briout, délégués CGT et agents de production. Ils se définissent eux-mêmes comme des meneurs placés sur la liste rouge du patronat. Et David tient d'emblée à tempérer l'idée d'une solidarité des cadres : «S'ils avaient voulu être solidaires, ils auraient fait grève. Ça aurait évité de recourir au blocage, et stoppé de fait la production.»
Pêle-mêle, il dresse un panorama des angoisses au sein de l'usine : «L'avenir est incertain. Bien sûr que les licenciements et les délocalisations, on y pense. Je laisse de côté les évolutions de carrières et de salaires, qui n'existent quasiment pas pour les ouvriers. Je préfère parler des conditions de vie qui se dégradent. Les salaires augmentent beaucoup moins vite que le coût de la vie quotidienne.»
Pour l'instant, il n'est pas question de restructuration pour Valeo-Amiens. Et si rien n'indique que la direction se pliera aux revendications syndicales, une chose est acquise : en 2011, il y a au moins eu une augmentation, celle du chômage, + 5,3% en Picardie.
(Source : Eco89)
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