Du fait de leur succession, deux émissions lumineuses de Là-bas si j'y suis, diffusées la semaine dernière sur France Inter et traitant de sujets différents en apparence, nous permettent de comprendre, du Bengladesh aux Cévennes, comment tout se tient à l'heure de la mondialisation.
D'abord, écoutez ce reportage qui rend hommage aux 112 ouvrières de Tazreen Fashion, usine textile située à quelques kilomètres de Dacca, la capitale du Bangladesh, qui ont péri le samedi soir du 24 novembre dans un incendie, juste un siècle après celui de l'usine de confection Triangle Shirtwaist à New York le 25 mars 1911 — 146 mort(e)s asphyxiées, brûlé(e)s ou défenestré(e)s, elles aussi enfermées dans leurs locaux par leurs patrons.
Poignant, et révoltant : Qui coud nos chemises ?
Le drame de la Triangle Shirtwaist avait provoqué une onde de choc sociale qui sensibilisa l'opinion américaine sur la nécessité d'en finir avec l'exploitation sauvage et de considérer les travailleurs non comme des esclaves, mais comme des êtres humains ayant des droits. Si aujourd'hui l'exploitation sauvage peut être combattue et condamnée dans les pays occidentaux, ce n'est toujours pas le cas dans d'autres parties du monde. Et le capitalisme, il adore ça.
A Dacca, ces ouvrières de Tazreen Fashion, jeunes femmes ou très jeunes filles, cousaient à pas d'heure et à vil prix pour Carrefour, Auchan, Ikea, Go Sport, H&M, Pimkie, C&A ou Walmart... Des vies pas plus chères que des vêtements. Au Bengladesh, la confection représente 45% de l'activité économique et 80% des exportations : c'est pourquoi le gouvernement n'est pas du tout regardant.
Qu'en conclure ? Que le capitalisme transnational, après avoir patiemment semé depuis quarante ans du chômage de masse et une précarisation de l'emploi dans les pays où il y a un code du travail afin de faire chuter les salaires — car oui, le chômage est voulu et organisé —, estimant cependant que ces régressions sociales, tant désirées pour décupler leurs profits, ne vont pas assez vite et qu'un retour en arrière de 100 ans lui serait davantage lucratif, le capitalisme transnational fait travailler pour rien et au mépris de leur vie des salarié(e)s dans des pays pauvres où il n'y a, justement, pas de code du travail. Et, comble du raffinement, la boucle est bouclée quand les populations appauvries des pays où il y a encore un code du travail, mais de moins en moins d'emplois, sont obligées d'acheter des produits bon marché, fabriqués dans ces pays pauvres où il n'y a pas de code du travail et où les syndicats sont interdits.
Le capitalisme se nourrit de régressions, qu'elles soient sociales… ou intellectuelles
Maintenant, revenons en France où la désindustrialisation, le chômage, l'emploi sous-payé et en miettes font partout des victimes, non pas condamnées à mourir brûlées dans un entrepôt mais à une lente mort sociale plus feutrée, plus "civilisée".
L'équipe de Là-bas si j'y suis a élaboré une photographie sonore de Sumène, petit village du Gard où il n'y a pas de Noirs et d'Arabes, mais de jeunes arrivants qui ont quitté les villes, faute d'emplois, pour continuer à vivre et créer. Ces néo-ruraux, considérés comme des "parasites" et des "assistés", sont les boucs-émissaires de certains locaux au cerveau pas fini, adeptes d'une "valeur travail" aussi fallacieuse qu'obsolète, qui se mettent à voter FN — alors que les Cévennes, c'était la terre de Raymond Aubrac — tout en ayant conscience qu'il n'y a plus de travail nulle part... Hallucinant, et navrant :
Mais d’où qu’y sort çui-là ! (partie 1)
Mais d’où qu’y sort çui-là ! (partie 2)
Comme le note un auditeur ayant laissé un message sur la boîte vocale de l'émission, le capitalisme se frotte les mains : pendant que les victimes de ses exactions se tapent dessus entre elles, il peut continuer à prospérer...
Merci à Daniel Mermet et à son équipe pour leur excellent travail !
SH
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