Paul et Pauline gagnent 20.000 euros par mois et disposent d'un patrimoine taxable à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) de 3 millions d'euros. Leur ISF s'élevait jusqu'ici à 20.000 euros. Avec la réforme que vient d'annoncer le gouvernement, en 2011, ils ne paieront plus que 11.000 euros, et un peu moins de 7.000 en 2012.
Hélas, la même réforme a supprimé le bouclier fiscal. Grâce au Ciel et à leurs trois enfants, Paul et Pauline, qui figurent parmi les 5% de familles les plus aisées, ne sont pas concernés : leur impôt théorique sur le revenu est de 42.000 euros mais, par la magie de l'utilisation optimale de quelques niches fiscales (garde d'enfants à domicile, femme de ménage, investissements d'économie d'énergie, enfant étudiant, etc.), ils ne payent que 25.000 euros effectifs. En 2012, ils viennent de promettre à leurs enfants que toute la famille utiliserait les baisses d'impôts pour un séjour de vacances au Pérou. Commentaire de Paul : "Sans Sarko, j'aurais pas pu". Paul et Pauline ne se considèrent pas comme riches : ils estiment faire partie de la "classe moyenne".
François et Françoise, eux, savent qu'ils font partie des riches, mais ils n'aiment pas le dire. Leur revenu s'élève à 1,4 million d'euros par an (ce qui les place dans le 0,1% le plus aisé des ménages), leur patrimoine taxable à 15 millions. Avec trois enfants également, leur impôt sur le revenu s'élèvera cette année, comme l'an dernier, à 400.000 euros (théoriquement, ils auraient dû payer 500.000, mais avec quelques judicieux investissements en assurance-vie, dans le logement locatif et dans les DOM, ils ont pu réduire la note). Il faut y ajouter 170.000 euros d'ISF et 140.000 euros de CSG. Le bouclier fiscal leur a permis de récupérer 20.000 euros sur le tout en 2010. Commentaire de Françoise : "Avec tout ce qu'on a payé, c'est quand même bien le moins". L'an prochain, certes, ce sera la fin bouclier fiscal du Trésor. Mais Françoise, qui tient les comptes, a calculé que l'ISF passerait à 65.000 euros. "Ça compense", a-t-elle dit à François, ajoutant : "Et si on allait au Pérou avec les Paul pour fêter ça ?"
Commentaire de Jean-Francis Pécresse, dans Les Echos du 14 avril : "C'est la meilleure réforme possible", compte tenu des contraintes budgétaires et politiques. Certes, ajoute-t-il, il aurait mieux valu abolir l'ISF : cela aurait permis "de faire de la France une terre d'accueil pour ces entrepreneurs qui, y ayant bâti leur propre richesse, ont oeuvré au destin commun". En outre, ajoute-t-il, avec la suppression du bouclier fiscal, ces grandes fortunes "vont perdre leur protection contre la confiscation". Les riches ont mérité de la patrie, puisqu'ils ont créé de la richesse et "oeuvré au destin commun".
Et l'impôt sur le revenu, taxé à 25% effectifs du revenu déclaré, nous apprend Julie Solard de l'Insee (sans doute grâce à l'imposition forfaitaire d'une bonne partie des revenus du capital et à la multiplicité des niches fiscales), suffit bien. Au-delà, ce serait confiscatoire, compte tenu de leur apport irremplaçable. Car la France ne serait pas la France sans eux, leur labeur et leur génie.
Détaxons-les, ils le méritent. La réforme annoncée est un pas — petit, mais significatif — dans cette direction puisque, si la suppression du bouclier fiscal va rapporter 700 millions d'euros au fisc, la réforme de l'ISF économisera 950 millions aux contribuables à patrimoine élevé.
La crise et le déficit public obligent à augmenter les impôts ? Taxons les pauvres, pour les punir de n'avoir pas su devenir riches et de mettre ainsi des bâtons dans les roues du "destin commun". Ils sont nombreux, ça rapportera. S'ils partent vers des cieux plus cléments, bon débarras : attirer les riches et chasser les pauvres est un moyen imparable d'élever le revenu moyen. C'est bien la preuve que les pauvres nous plombent.
Denis Clerc - Alternatives Economiques
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