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Heures sup’ défiscalisées : Le rapport parlementaire qui accable

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Complexe, coûteux pour les finances publiques, inégalitaire, peu rémunérateur, le dispositif des heures supplémentaires détaxées a créé un fort effet d’aubaine, bon nombre d’heures effectuées mais non déclarées avant la réforme ayant bénéficié des allégements fiscaux et sociaux. Quatre ans après sa mise en œuvre, un rapport parlementaire dresse un bilan sévère du dispositif. Mais si le gouvernement entend le modifier, ce n’est qu’à la marge.

Texte emblématique de la présidence Sarkozy, la loi TEPA (Travail, emploi, pouvoir d’achat) du 21 août 2007, censée «redonner sa place au travail comme valeur et outil d’amélioration du pouvoir d’achat», prend l’eau de toutes parts. Le bouclier fiscal ? Supprimé. La déduction fiscale des intérêts d’emprunt immobilier ? Supprimée. Les heures supplémentaires détaxées ? Revues et corrigées, sans changement pour les salariés mais dans un sens moins avantageux, une fois n’est pas coutume, pour les employeurs.

Le gouvernement propose en effet de réintégrer les heures supplémentaires dans le calcul des allégements de cotisations sociales patronales. Cette mesure, un petit coup de rabot (600 millions d’euros de recettes supplémentaires attendues pour la Sécurité sociale) sur le montant dispendieux des allégements (plus de 20 milliards d’euros par an), figure au projet de loi de financement 2012 de la Sécurité sociale. Matignon a souligné qu’il suivait la recommandation formulée par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) dans un rapport d’octobre 2010. Sauf que le CPO allait jusqu’à évoquer «la suppression totale» de la détaxation des heures supplémentaires, au motif que «l’efficience du dispositif semble très limitée, le gain en PIB étant en tout état de cause inférieur au coût de la mesure».

EN FINIR AVEC LES 35 HEURES

Un constat d’inefficience confirmé par un rapport d’information, publié le 30 juin dernier, réalisé au nom du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques. Les rapporteurs – les députés Jean-Pierre Gorges (UMP) et Jean Mallot (PS) – ont évalué dans le détail l’efficacité de la mesure à l’aune de ses buts initiaux, «ce qui s’est révélé plus complexe que le rappel du célèbre slogan travailler plus pour gagner plus», ironisent les rapporteurs.

Pour rappel, les buts initiaux consistaient à «déverrouiller» le «carcan » des 35 heures, «un dispositif congénitalement malfaisant», aux yeux de Jean-Pierre Gorges, pour augmenter le volume des heures travaillées, donner un surcroît de pouvoir d’achat aux salariés et ainsi stimuler la demande, donc un surcroît de croissance et une amélioration du niveau de l’emploi. Paradoxe de la réforme : elle a conduit à «institutionnaliser» la durée légale du travail de 35 heures.

LE «GAGNER PLUS»

D’après M. Sarkozy, alors candidat à la présidentielle, «en travaillant quatre heures de plus par semaine, un salarié rémunéré au Smic gagnera immédiatement 165 euros net de plus par mois». En fait, selon le rapport, le gain moyen mensuel a été de 42 euros. Gains qui n’ont profité ni aux non-salariés, ni aux chômeurs, ni aux cadres au forfait, ni aux salariés n’effectuant pas d’heures supplémentaires, et peu aux salariés à temps partiel.

Par définition, la mesure ne bénéficie «plein pot» qu’aux foyers imposables. Or, environ un tiers des foyers déclarant des heures supplémentaires ne le sont pas et ne peuvent par conséquent bénéficier de la mesure fiscale, alors même que leurs revenus sont bas. Par ailleurs, il n’est pas exclu que le dispositif ait pesé sur les négociations salariales à l’avantage des employeurs.

LE «TRAVAILLER PLUS»

Le rapport fait état d’une évaluation rendue difficile par l’absence de mesure fiable du nombre d’heures supplémentaires avant le 1er octobre 2007. Il n’y avait aucune incitation, ni obligation à déclarer les heures supplémentaires, le rapport faisant état d’«une zone grise du droit du travail, relevant d’accords informels entre les salariés et leur encadrement». De nombreux employeurs versaient des «primes» et des «bonus» en guise de paiement des heures supplémentaires non déclarées.

Toujours est-il que depuis 2007, la durée hebdomadaire moyenne de travail n’a augmenté que de 0,5% en trois ans (de 39,2 heures en 2007 à 39,4 en 2009) et que le nombre annuel d’heures effectuées n’a pas connu de hausse significative. Les rapporteurs soulignent d’ailleurs qu’au cours des vingt-trois auditions réalisées – dont celle de la confédération FO –, personne n’a pu démontrer que le dispositif avait suscité des heures supplémentaires exclusivement imputables à la mesure.

Cette stabilité révèle bien les effets d’aubaine et d’optimisation. Autrement dit : le dispositif subventionne des heures supplémentaires qui, de toute façon, auraient été réalisées. Ce risque d’effet d’aubaine était d’ailleurs identifié dans l’exposé des motifs du projet de loi TEPA : «Des dispositions sont bien entendu prévues pour prévenir les effets d’optimisation afin d’éviter l’artifice consistant à limiter ou réduire la durée du travail pour faire fictivement apparaître des heures supplémentaires ou complémentaires.» Dans les faits, précise le rapport, les inspecteurs du travail et du recouvrement, accaparés par d’autres tâches de contrôle jugées prioritaires, ne peuvent vérifier que ces conditions ont été respectées.

LES INTÉRIMAIRES SACRIFIÉS

Le recours aux heures supplémentaires a bien réduit le recours aux embauches, notamment de personnels intérimaires. En 2008, en pleine crise, des entreprises ont renvoyé intérimaires et CDD tout en faisant faire des heures supplémentaires aux salariés en place. Pour preuve, la stabilité du volume des heures supplémentaires à 727 millions en 2008 (l’équivalent de 466.000 emplois à temps plein), au plus fort de la crise, contre 730 millions en 2007.

UN CHOC FINANCIER

La mesure relative aux heures supplémentaires est la plus emblématique de la loi TEPA car elle est supposée avoir un effet massif. Elle concerne le plus de bénéficiaires potentiels (par rapport au bouclier fiscal) et représente l’effort le plus important en terme de dépenses publiques. Bercy expliquait en 2007, sur son site internet, que le projet de loi visait à créer «un choc de confiance». Ce sera un choc financier : plus de 4,5 milliards d’euros par an.

Cette dépense, «peu efficace» aux yeux des rapporteurs, aurait «augmenté le PIB de 0,15% mais en aurait coûté 0,23%». Financée par un surcroît de dette publique – dont les intérêts correspondant à la dépense annuelle atteignent environ 140 millions d’euros –, cette dépense «ne manquera pas d’alourdir les prélèvements obligatoires futurs».

L’HEURE SUP’ MOINS CHÈRE QU’UNE HEURE NORMALE

Le choix de subventionner les contributions dues par l’employeur au titre de la rémunération de l’heure supplémentaire suscite des interrogations. Cette heure supplémentaire est en effet l’heure où la marge de l’entreprise est généralement maximale. Ce qui revient à ce qu’une heure normale coûte plus cher qu’une heure supplémentaire. «Dans un contexte de sous-emploi persistant, plutôt que de subventionner la “dernière heure”, ne conviendrait-il pas de faciliter l’embauche de salariés supplémentaires, la “première heure”?», suggère le rapport.

Malgré cet état des lieux accablant, les rapporteurs ne préconisent pas la suppression du dispositif. Ils s’en expliquent ainsi : «Dans certaines branches ou entreprises, les rémunérations des salariés ne progressent que très peu en volume et il leur est difficile d’obtenir des revalorisations.» Autrement dit, les heures supplémentaires détaxées sont un palliatif à la disette salariale. «L’intérêt de la mesure renvoie moins à une solution aux éventuels problèmes posés par la réduction du temps de travail qu’à l’insuffisante rémunération nette perçue par les salariés», insistent les rapporteurs.

Pas question toutefois de laisser le dispositif en l’état, «compte tenu du coût de la mesure pour l’État, de son caractère peu efficient, des inégalités qu’elle suscite et de l’état dégradé des finances publiques». Le rapport recommande la suppression de la déduction forfaitaire sur les cotisations patronales (700 millions d’euros de recettes attendues) et la réintégration des heures supplémentaires au calcul du montant des allégements généraux sur les bas salaires (600 millions). «Cette mesure, dont l’enjeu financier s’élève à près de 1,3 milliard d’euros, permettra de mettre fin aux effets d’aubaine les plus marqués.» Mais le gouvernement n’a retenu que la seconde recommandation.

DES AIDES POUR RÉDUIRE LA DURÉE DU TRAVAIL, D’AUTRES POUR L’AUGMENTER

Le rapport va encore plus loin en envisageant «la suppression graduelle des aides publiques supposées accompagner l’application de la réduction de la durée du travail». Il fait remarquer que «près de dix ans après l’adoption des lois portant réduction du temps de travail, il serait légitime de considérer que les entreprises ont eu le temps de s’organiser pour absorber le réel surcoût correspondant, grâce à la modération salariale, la hausse de la productivité horaire et l’introduction de dispositifs innovants de modulation du temps de travail des salariés».

Non seulement les employeurs continuent de tirer profit des aides publiques liées à la réduction de la durée du travail (12 milliards d’euros par an), mais ils empochent un bonus au titre de l’augmentation de la durée du travail via les heures supplémentaires détaxées (4,5 milliards d’euros par an).

Compte tenu du coût financier pour l’État, les rapporteurs reprochent au gouvernement l’absence d’étude d’impact sur les effets, les conséquences et les coûts pour les finances publiques. Ils épinglent également le manque d’informations données aux parlementaires et l’absence de réactivité lors des retournements de conjoncture. «Ainsi, le déclenchement de la profonde récession intervenue en 2008-2009 aurait dû inciter le gouvernement à s’interroger sur le maintien en l’état du dispositif.»

UNE MISE EN GARDE PUBLIÉE APRÈS LE VOTE DE LA LOI

Le gouvernement avait pourtant fait plancher le Conseil d’analyse économique (CAE) en amont de la loi TEPA. Ce dernier avait remis au gouvernement son rapport en mars 2007, qui ne l’a publié que le 30 août 2007, soit plus d’une semaine après la promulgation de la loi TEPA...

«Ce délai de publication assez long doit-il être interprété à l’aune […] des conclusions du rapport assez défavorables […] quant à l’efficacité à attendre de la mesure ?», s’interrogent les deux parlementaires. Le rapport du CAE estimait en effet que la mesure était susceptible d’avoir «un effet négatif sur l’emploi, puisqu’elle incite à substituer des heures de travail aux hommes». Il jugeait également que «l’inconvénient majeur de ce type de mesure est qu’il risque de favoriser des comportements opportunistes», et craignait «un dérapage» des finances publiques.

DES ALERTES NON SUIVIES D’EFFETS

Par la suite, un rapport d’information, publié en juin 2008, a dressé un premier bilan des heures supplémentaires détaxées. «Le dispositif est source d’importants effets d’aubaine et se révèle coûteux au regard de sa faible efficacité et des faibles gains de pouvoir d’achat moyen qu’il offre aux salariés.»

Le rapport faisait également des recommandations concernant les exonérations de cotisations sociales : elles devraient être évaluées au préalable, soumises à un objectif de coût et systématiquement réévaluées après trois ans d’application. Plus récemment, le 28 août dernier, l’Inspection générale des finances venait confirmer le manque d’efficience de la défiscalisation des heures supplémentaires, faisant valoir que leur recours est très sensible à la conjoncture. Comme le reconnaissait le ministre du Travail, Xavier Bertrand, dans les colonnes du Figaro du 26 août : «Pour l’employeur, l’élément déclencheur, ce ne sont pas les exonérations, c’est le fait d’avoir un surcroît de travail» !

Dans ce cas, pourquoi persister ?

POINTS DE REPÈRE

Nature du dispositif : Les heures supplémentaires sont exonérées de toute cotisation sociale – salariale et patronale – et de tout impôt. Elles sont majorées de 25% dans toutes les entreprises, soit le régime qui prévalait avant 2002.

Volume d’heures supplémentaires. En 2007 : 730 millions. En 2008 : 727 millions. En 2009 : 670 millions. En 2010 : 700 millions.

Salariés concernés : Le dispositif a bénéficié à 9,2 millions de salariés en 2009 sur un total de 23,6 millions.

Portrait-type du bénéficiaire : Il s’agit d’un homme, plutôt qualifié, dans un emploi stable, à la rémunération médiane (soit 1.600 euros mensuels), travaillant dans la métallurgie et surtout dans le secteur de l’hôtellerie-restauration.

Gain moyen par salarié : Environ 500 euros par an.

Coût public : Plus de 4,5 milliards d’euros par an.


Stéphane Fortin - FO Hebdo N°3010 (décembre 2011)

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Mis à jour ( Mardi, 17 Juillet 2012 18:00 )  

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