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Travail associatif, l'envers du décor : précarité, flexibilité, bénévolisation

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Incité à prendre en charge les politiques publiques d’action sociale autrefois dévolues à l’Etat, le secteur associatif se transforme malgré lui en lieu d’expérimentation de la flexibilisation du travail.

Fragilité de l’idéal. Dans l’imaginaire collectif, travailler dans le monde associatif est le lieu rêvé pour se réaliser, exercer une activité qui fait sens et s’épanouir. Pourtant, loin de l’idéal, les conditions de travail y sont plus dégradées qu’ailleurs et le monde associatif est devenu le terreau d’une nouvelle précarité. De petites structures, partiellement professionnelles, se voient confier par l’Etat la charge de ses politiques d’action sociale sans pour autant bénéficier des financements pérennes dont disposait auparavant le service public.

Le monde associatif a bénéficié d’une extraordinaire croissance salariale ces trente dernières années qui en a fait le principal employeur de l’économie sociale et solidaire. Selon le fichier SIRENE de l’Insee, le nombre d’emplois salariés dans les associations relevant de la loi de 1901 est passé de 660.000 en 1980 à 1,9 millions en 2009.

Malgré ses 14 millions de bénévoles, le constat s’impose : ces dernières années, par le biais de ses 172.000 associations ayant recours à des salariés, le secteur est devenu un véritable marché du travail. Les jeunes, profitant de la manne d’emplois proposée par les associations-employeuses, se tournent vers un ensemble de formations spécifiques se développant aussi bien dans les universités que dans les écoles de commerce, comme l’Essec. Une nouvelle génération de travailleurs se bouscule dans les réseaux associatifs et sur les sites spécialisés de recrutement.

À l’image du service public autrefois, désormais fermé aux jeunes avec la règle de non-renouvellement d’un fonctionnaire sur deux, le marché du travail associatif semble un lieu où il est encore possible d'œuvrer avec du sens, une dimension éthique et un souci des autres. Or, cet univers trop encensé n’arrive pas encore à se mobiliser contre ses «mauvaises pratiques» et les raisons structurelles qui les suscitent.

Précarité. Les associations, gouvernées sur un mode démocratique, ont pour objectif premier de satisfaire l’objet social défini par leurs adhérents. Contrairement aux entreprises capitalistes, leur objectif n’est pas la recherche du profit ou la rétribution des actionnaires : elles défendent l’intérêt général. Encensées par la gauche qui fait des associations les hérauts d’un monde meilleur, on ne devrait que se réjouir du formidable dynamisme du monde associatif du point de vue de la création d’emplois.

Pourtant, loin de l’idéal, la réalité fait défaut à l’utopie. Depuis quelques années, des sociologues pointent du doigt une particularité du secteur : dans ce marché du travail très féminisé, c’est le salariat «atypique» qui est typique (CDD, contrats aidés, temps partiels, stagiaires, service civique volontaire et bénévoles, utilisés comme de véritables variables d’ajustement par des associations incapables de les embaucher pour remplir leurs missions). Les salariés du monde associatif sont fortement marqués par la précarité, c’est-à-dire par la discontinuité associée à la carence du revenu, ou à la carence des protections.

Comparé au secteur privé et public, ce que certains présentent comme "le tiers secteur de l’économie" est d’avantage marqué par de fortes disparités en termes de conditions de travail – par exemple en ce qui concerne l’application des conventions collectives – et d’emploi. La présence de près de 45% de formes d’emplois "atypiques" au sens du Code du travail souligne une dérive marquée du monde associatif vers la précarité de l’emploi. [...]

«Externalité positive». Travailler dans le monde associatif, c’est sacrifier plus souvent ses soirées et ses week-ends. Comme l’explique le sociologue Matthieu Hély (CNRS), «travailler de façon habituelle ou ponctuelle le samedi, le dimanche ou en soirée, sont des attributs qui caractérisent plus particulièrement des rythmes de travail hors normes». Plus que dans l’administration, mais aussi davantage que sur le marché de l’emploi privé, les salariés associatifs sont à l’avant-garde de la flexibilité.

Pourtant, si le travail en soirée (entre 20h et minuit) et le week-end fait l’objet d’une compensation salariale importante et très significative pour l’ensemble des salariés, les travailleurs associatifs font exception. Dans l’entreprise associative, les horaires hors normes sont «normaux». C’est-à-dire qu’ils ne font pas l’objet d’une compensation salariale alors même que celle-ci serait tout à fait légitime sur le marché du travail traditionnel.

L’observation des pratiques de rémunération dans le monde associatif conforte sa singularité et révèle même l’une des particularités les plus frappantes de ce secteur : à emploi égal, si le statut peut être différent, le salaire perçu diffère sensiblement de ce qu’il pourrait être dans le cadre d’une entreprise privée à but lucratif. Matthieu Hély, reprenant l’enquête Insee menée en 2000 et 2001 par deux économistes, Diego Legros et Mathieu Narcy, souligne «qu’à catégorie professionnelle équivalente, travailler pour une association entraîne une baisse de la rémunération perçue d’environ 18%» pour des personnes travaillant à temps plein.

Le différentiel observé résulte de la disposition des travailleurs à accepter un salaire certes réduit, mais compensé par le fait que leur activité est source «d’externalités positives». Autrement dit, le fait de servir un projet à but non lucratif apporte une satisfaction morale au travailleur qui justifierait une rémunération plus faible que ce à quoi il pourrait prétendre ailleurs. La contribution des individus au bien commun serait une compensation en profits symboliques qui rendrait acceptable une rémunération plus faible. Cette idée soulignerait que le salaire ne constituerait pas le critère principal de la reconnaissance professionnelle et que d’autres éléments, comme la satisfaction morale d’accomplir un projet d’utilité sociale, viendraient compenser une rémunération plus faible, voire aucune. [...]

Bénévolisation du travail. Être employé dans le cadre d’une entreprise associative implique souvent de collaborer avec des bénévoles. La frontière est parfois floue entre employeurs travaillant gratuitement, bénévoles et salariés du monde associatif. Cette spécificité entraîne une banalisation des heures supplémentaires et une injonction à s’engager sans compter son temps.

Au nom de «l’esprit associatif», une part de travail bénévole «va de soi», est irrémédiablement et implicitement prescrite. Cette non-valorisation du travail par une rémunération pourtant due fait penser à ce que la sociologue Maud Simonet appelle une «bénévolisation du travail» : «Au nom de la citoyenneté, on crée des statuts qui dérogent au droit du travail, comme avec les volontariats civils et associatifs ou récemment le service civique entré en vigueur l’an dernier».

Ce phénomène s’explique en partie par le processus amenant à l’embauche du salarié. Généralement, les travailleurs d’une association sont d’abord les bénévoles; ce n’est que dans un second temps que vient l’embauche, quand les bénévoles ne peuvent plus répondre à la charge de travail. Les postes salariés sont destinés à remplacer ou seconder les bénévoles, ce qui peut facilement entraîner une confusion par la suite entre statut de salarié et bénévole.

[...] Faux choix professionnel. Les jeunes individus à l’habitus plus solidaire se voient fermer les portes du service public, aux valeurs plus altruistes que celles proposées par le marché privé d’avantage à la recherche de plus-values que de l’intérêt général. Avec le chômage de masse, le développement de l’économie sociale et solidaire profite ainsi de la présence de «surnuméraires», «d’inutiles au monde».

=> Lire tout l'article de Simon Cottin-Marx

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Mis à jour ( Mardi, 13 Mars 2012 14:08 )  

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