Le débat d'entre deux tours de la présidentielle en Finlande, un des rares pays européens à élire un président puissant au suffrage universel direct, est dominé par la question de la solidarité européenne. Même fortement attachés à l'euro, les Finlandais s'interrogent sur leur participation à l'aide aux pays européens endettés qui pourrait ébranler leur triple A. Déjà effective pour la Grèce ou l'Irlande, une aide éventuelle à l'Italie, voire un jour à la France, apparaît bien moins légitime. Si l'économie finlandaise bénéficie amplement du marché européen, la solidarité doit-elle s'étendre à des pays riches, mais incapables de maintenir leurs comptes publics ?
De fait, la Finlande, malgré un produit intérieur brut (PIB) par habitant un tiers supérieur à celui de l'Italie, n'est pas aussi riche que l'Italie. Par richesse, j'entends ici le patrimoine net disponible de l'Etat et de la population. Comment arriver à ce constat ?
Commençons par l'Etat. La dette publique brute atteint 120% du PIB en Italie et 50% en Finlande. Il convient de tenir compte des actifs relativement liquides de l'Etat pour mesurer une dette nette : stocks d'or, détention de participation dans des entreprises, fonds souverains, etc.
On ne retient pas le patrimoine non liquide de l'Etat : l'Italie ne vendra pas le Colisée. Le Fonds monétaire international (FMI) donne une estimation de cette dette publique nette. Le gap devient alors considérable : un déficit de 100% du PIB en Italie contre un excédent de 60% du PIB en Finlande. L'Etat finlandais serait donc riche, alors que l'italien est très endetté.
Passons aux particuliers. Chaque année le Crédit Suisse, dans son Global Wealth Report, propose des évaluations sérieuses du patrimoine des ménages dans de nombreux pays. Les chiffres sont spectaculaires. En 2011, le patrimoine net des ménages en Finlande pèse environ 280% du PIB, près de cinq fois celui de l'Etat. Mais, en Italie, ce chiffre atteint près de 590% du PIB. Les ménages italiens sont donc dans leur ensemble "disproportionnellement" riches.
En ajoutant dette nette de l'Etat et patrimoine net de la population, on obtient en quelque sorte le "patrimoine liquide net" du pays : soit environ 490% du PIB en Italie contre seulement 340% en Finlande, soit un peu moins de 130.000 euros par habitant en Italie et un peu plus de 120.000 en Finlande. On comprend mieux pourquoi des Finlandais veulent que ce soit avant tout les Italiens qui assument la dette de leur Etat...
Qu'en est-il de la France ? Elle ressemble bien plus à l'Italie qu'à la Finlande. La dette nette de l'Etat est de l'ordre de 80% du PIB et le patrimoine net de la population française de 510% du PIB. Au total, les Français sont encore plus riches que les Italiens avec environ 135.000 euros par tête en 2011. De quoi faire rêver les Allemands : le patrimoine net des particuliers et de l'Etat y est de 320% du PIB, très proche du ratio finnois, mais avec un PIB par habitant plus faible qui ne représente que 100.000 euros par tête.
Il se dessine donc deux Europe : celle des Etats riches avec des populations relativement humbles, et celle des Etats endettés avec des populations en moyenne riches. Nos voisins vertueux n'ont donc pas vraiment tort : avant d'en appeler à la solidarité européenne, la solution à la dégradation des finances publiques en Italie ou en France pourrait passer par des efforts nationaux.
Mais le constat ne doit pas s'arrêter là. Si la dette publique repose sur l'ensemble de la population, le patrimoine privé est inégalitairement réparti. Le Crédit Suisse estime ainsi que le cœur de clientèle des grandes banques genevoises est constitué du nombre de millionnaires adultes en dollars par pays (pour un couple, il faut avoir 2 millions). En 2011, selon les calculs de la banque suisse, la Finlande en compte 80.000, l'Allemagne 1,75 million, l'Italie 1,54 million… et la France, 2,61 millions ! Près de 9% des millionnaires de la planète se trouvent sur le territoire hexagonal. Voici enfin une bonne nouvelle dont le gouvernement fait peu de publicité ! Il serait donc légitime que l'effort soit prioritairement supporté par de si nombreux millionnaires. Un quart de leur patrimoine suffirait à diviser par deux la dette nette de l'Etat en France, ou de réduire la dette transalpine d'environ un tiers.
L'obstacle est alors politique. Les millionnaires représentent 5,5% des adultes en France et 3,2% en Italie, contre seulement 2,6% en Allemagne et 1,9% en Finlande. Comme les millionnaires sont plus souvent inscrits sur les listes électorales et participent plus aux scrutins électoraux, ils peuvent représenter un douzième des votants lors des prochaines élections organisées en France. Cela ne justifie-t-il pas une politique de préservation des gros patrimoines au détriment des finances publiques ?
(Source : Le Monde)
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