Midi et demi, ce mardi. Une centaine de salariés du groupe Publicis et des militants de Génération Précaire et du très caustique collectif «Sauvons les riches !» se sont donné rendez-vous devant le siège du groupe phare de communication sur l’avenue des Champs-Elysées, malgré la pluie, pour dénoncer le bonus de 16 millions d’euros qui doit être versé à son PDG.
C’est à l’initiative du syndicat Info’Com-CGT qu’a été organisée cette «cocktail-party» pour «fêter dignement» le bonus mirobolant de Maurice Lévy, alors que le contexte de crise est régulièrement invoqué pour justifier la rigueur imposée ces dernières années à la masse de ses salariés. Loin de la grisaille sociale et salariale qui règne sur le pays, les faux grands patrons de «Sauvons les riches !» s’étaient mis sur leur trente-et-un pour célébrer la réussite de leur congénère de Publicis sous une pluie de confettis et de serpentins de toutes les couleurs, autour du buffet de rigueur : champagne et cacahuètes. Champagne pour les grands dirigeants réunis à quelques encablures du Fouquet’s; cacahuètes, encore et toujours, pour les salariés.
Une vraie gronde sociale
Mais sous les chapeaux pointus et les confettis, c’est bien l’indignation qui couve. Les intervenants se succèdent à la tribune, qui énumèrent les exemples et mesures de «modération salariale» ou de recours intempestif à des travailleurs précaires et étudiants stagiaires, ainsi que leur corollaire de bonus extravagants, sous les vivats ironiques de l’assistance.
Une jeune militante de Génération Précaire évoque par exemple le mandat de M. Lévy au comité d’honneur de Planet Finance, organisation de lutte contre la pauvreté par la micro-finance, qui recourt à la force de travail de nombreux étudiants stagiaires payés 400 € par mois pour des missions de un à deux ans, qui pourraient tout aussi bien être effectuées par des CDI. Et la militante d’ajouter : «C’est un peu leurs bonnes œuvres, mais même quand on fait une bonne œuvre, on ne peut pas s’empêcher d’exploiter !» Les militants de Génération Précaire avaient enfilé un masque blanc pour protester en particulier contre l'emploi de nombreux stagiaires par l'agence de publicité (35% du personnel). Le collectif avance qu’avec ces 16 millions d'euros, Publicis pourrait embaucher 70 consultants en CDI sur une période de 10 ans, «en les rémunérant au salaire médian de 1.500 euros par mois».
D’autres évoquent le double discours de ce grand patron, qui s’était prononcé dans une tribune publiée dans Le Monde en août dernier pour une «contribution exceptionnelle des plus riches, des plus favorisés, des nantis» à «l’effort de solidarité» et de redressement des comptes publics — suivie, quelques jours plus tard, d’un appel cosigné avec quinze autres grandes fortunes et publié dans Le Nouvel Observateur sous le titre «Taxez-nous !» —, et avait même annoncé en novembre renoncer à la part fixe de sa rémunération (soit 900.000 euros). Alors, simple diversion que cet appel à une taxation exceptionnelle au moment où l’idée d’une taxation très forte des plus hauts revenus, voire d’un salaire maximum, fait son chemin dans la campagne présidentielle ?
Pour Christian Le Franc, secrétaire général adjoint d’Info’Com-CGT, il est permis d’y voir «une annonce uniquement à destination de la sphère médiatique, un effet d’annonce sans suite». Celui-ci ajoute d’ailleurs : «On était un peu étonnés nous-mêmes…» «Il faut vraiment être hyper mégalo pour penser que la performance du groupe tient à un seul homme», a de son côté critiqué Julien Bayou, conseiller régional Europe Ecologie Les Verts, membre de Génération Précaire et «Sauvons les riches !».
16 millions, ça ferait 3.200 euros par salarié
Alors que l’assistance scande, au pied du siège de Publicis, «Maurice, descend, ton salaire est indécent !», Christian Le Franc résume ainsi les attentes des participants : «Qu’ils fassent un geste… Non pas un geste cynique comme celui-là, mais enfin un geste pour les salariés. Alors que les salaires sont bloqués depuis trois ans, on nous annonce des bonus pareils. On espère une redistribution des 16 millions vers les salariés». Qui sont tout de même 5.000 dans la filiale française du groupe. Une telle redistribution, «ce serait de l’ordre du symbole. Et les symboles, les salariés aiment ça».
Surtout, c’est un symbole que peu s’attendent à obtenir. Gilbert Bougréau, 72 ans et retraité après quinze ans de mandat de délégué syndical CGT à Publicis, évoque l’expérience qu’il a eue du «dialogue social» tel que le conçoit le troisième groupe de communication au monde. Licencié quatre fois, il a chaque fois fait plier son employeur devant les tribunaux et l’Inspection du travail. La dernière fois, c’est même devant le ministère du Travail que son employeur s’est porté pour faire casser la décision de l’Inspection du travail… En vain. «Et après que j’ai obtenu la rupture judiciaire de mon contrat, ils ont fait refaire la serrure de mon bureau ! Clairement, ils n’en veulent pas, du dialogue syndical. Moi je n’ai pas eu d’augmentation en quinze ans ! Bon moi ça se comprend, je les faisais suer… Mais les autres, ils n’ont pas eu d’augmentation depuis trois ans… Six ans, pour certains !»
Cependant, malgré le pessimisme de certains, la mobilisation semble faire bouger les lignes. En effet, peu après 13 heures, l’on apprenait que le délégué aux Ressources humaines du groupe, Benoît Roger-Vasselin, acceptait de recevoir une délégation de six représentants du personnel. Un peu plus tard, l’un d’eux annonce sous les applaudissements que les dirigeants sont prêts à ouvrir des négociations, et ont même «convenu que les pressions exercées sur les salariés pour signer la pétition de soutien à Maurice Lévy représentaient une faute inexcusable». Les participants se donnent donc rendez-vous dans une semaine pour affiner leurs revendications et se coordonner… beaucoup étant absents pour les vacances de Pâques.
(Source : L'Humanité)
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