Pour certains, c'est le spectre du retour à l'Angleterre victorienne. D'autres hurlent à l'avènement du travail forcé à l'ère de la récession. Au lendemain des quatre jours de fêtes du jubilé royal, les inégalités criantes du royaume d'Elizabeth II ternissent un peu la communion nationale. Tandis que Sa Majesté fendait la Tamise entourée de sa famille sur une barge rouge et or décorée de fleurs au milieu de 1.000 bateaux, certains de ses sujets participaient à l'organisation de l'événement dans des conditions dignes du XIXe siècle.
Une trentaine de chômeurs de longue durée de Bristol, Bath et Plymouth ont été convoyés en bus à Londres la veille de la procession nautique pour y assurer des missions de sécurité sans être payés. Ils participaient à un dispositif de retour à la vie professionnelle [1] dans l'espoir d'un job durant les Jeux olympiques cet été, et ont appris qu'ils ne recevraient aucune rétribution qu'une fois arrivés à Londres [2]. À leurs côtés, une cinquantaine d'«apprentis» étaient rémunérés 2,80 livres soit 3,45 euros de l'heure.
«Nous avons quitté Bristol vers 23 heures samedi et sommes arrivés à Londres vers 3 heures du matin», confie l'un d'entre eux. À leur arrivée dans la capitale au milieu de la nuit, ils se sont vu proposer pour tout hébergement de coucher sous un pont. «Nous sommes tous descendus du bus et on nous a laissé attendre 20 minutes au bord de la route, puis on nous a emmenés sous le London Bridge où on nous a dit de nous installer pour la nuit. Il pleuvait et gelait», a raconté l'un de ces forçats du jubilé au Guardian, qui a révélé l'affaire. «Nous avons dû planter notre tente dans le noir. Londres était censé être une expérience inoubliable, elle s'est transformée en cauchemar. Nul n'est supposé être traité de la sorte, à dormir sous un pont et attendre avec désespoir un repas, surtout quand on travaille gratuitement».
Puis, à 5h30 du matin, les «volontaires» sont réveillés, équipés de bottes, de pantalons, de gilets fluorescents et de ponchos imperméables transparents. Ils assurent ensuite leur mission de gestion de la foule de plus d'un million de personnes durant quatorze heures, sans possibilité de se soulager. À l'issue de cette journée, ils sont emmenés en métro à l'ouest de Londres où on leur propose de camper sur un terrain détrempé.
Directrice générale de l'agence de sécurité Close Protection UK en charge de cette mission, Molly Prince s'est défendue : «Nous prenons le sort de nos employés et apprentis très au sérieux. Il est essentiel qu'ils soient évalués dans un environnement de travail réel pour achever leur formation». Elle impute leurs déboires à des «problèmes logistiques» : «Il s'agit de circonstances malheureuses, mais pas d'un manque de vigilance de la part de notre société»...
L'ex-vice-premier ministre travailliste Lord John Prescott a écrit à la ministre de l'Intérieur Theresa May pour lui demander de lancer une enquête. «Cela soulève de très importantes questions sur le recours à des sous-traitants privés pour mener des opérations de sécurité publique au lieu d'agents de police formés à cela», écrit-il, dénonçant cette affaire «lamentable».
(Source : Le Figaro)
[1] Il s'agit du “Work Programme”, qui oblige des privés d'emploi britanniques à travailler gratuitement jusqu'à 6 mois en contrepartie de leurs allocations. Déjà expérimenté depuis un moment, ce STO à l'anglaise n'a aucunement fait ses preuves puisque moins d'un chômeur sur quatre l'ayant suivi a décroché au final un vrai travail.
Au Royaume-Uni, le taux de chômage s'élève à 8,2% et touche officiellement 2,63 millions d'actifs. Des économistes tablent sur un pic à 2,82 millions de personnes au deuxième trimestre 2013 avec un taux de 8,8%.
[2] C'est à Londres qu'ils ont été informés qu'ils ne seraient pas payés. Leur employeur leur a fait du chantage : sous couvert de les tester, s'ils n'acceptaient pas de travailler gratuitement, leur candidature pour les Jeux Olympiques n'aurait pas été retenue.
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