Camille [1], 28 ans, chômeuse de longue durée abonnée aux petits boulots précaires bien que titulaire d'un BTS de communication, a déniché sur pole-emploi.fr un CUI-CAE d'assistante de production. Elle a immédiatement candidaté. Eligible au dispositif et fort motivée, elle a décroché le job.
Non que ces 20 heures hebdomadaires payées au Smic lui suffisaient pour vivre... Mais, en cette période de vaches maigres, le poste semblait particulièrement intéressant : œuvrer pour une association qui organise depuis 2002 un festival littéraire et théâtral. C'était aussi l'occasion d'acquérir de l'expérience dans le domaine ô combien prestigieux (et fermé) de la culture et du spectacle.
Gare à la modulation horaire !
Son contrat, co-signé par Pôle Emploi, a été conclu pour la période du 1er juin au 30 novembre. Mais son employeur, souhaitant faire jouer la possible «modulation» des horaires, lui a proposé de concentrer entre le 1er juin et le 19 août — période de préparation puis de déroulement du festival — les 520 heures de travail qui devaient à l'origine s'étaler sur six mois. Camille, pleine de bonne volonté, a naïvement accepté, n'imaginant pas une seconde ce que cela pouvait induire pour sa santé.
Elle s'est dépensée sans compter jusqu'à 15 heures par jour, enchaînant des semaines de 60 à 80 heures sans journée de repos, au gré des besoins du festival et de ses nombreuses manifestations (tout ça pour 627 € par mois). Un soir de juillet, épuisée, lessivée, rentrant chez elle en voiture (30 km de nuit), elle a évité de justesse un accident de la route. Elle a tenté, en vain, d'alerter son employeur qui est resté inflexible sur la dangerosité liée à son état de fatigue, prétextant que l'absence de tout congé «était prévue au départ» !
Connaître ses droits
Jusqu'à cet incident, Camille travaillait avec enthousiasme et ne pensait pas que cet arrangement était totalement illégal (en effet, pourquoi le mettre en doute puisque Pôle Emploi l'avait conventionné ?). Mais l'odieuse indifférence de son employeur l'a poussée à se rendre finalement chez son médecin pour demander un arrêt de travail. Qu'elle a obtenu sans mal et mis à profit non seulement pour se reposer, mais se renseigner sur ses droits. Et voici ce qu'elle a découvert :
• Sauf dérogation, il est interdit de faire travailler quelqu'un plus de 10 heures par jour et 48 heures par semaine, cette règle étant valable pour les salariés recrutés à temps plein.
Quant au CUI-CAE, destiné à l'insertion professionnelle de publics en difficulté et majoritairement conclu à temps partiel, il diffère d'un contrat de travail ordinaire : si la durée du travail peut varier d'une semaine ou d'un mois sur l'autre, elle ne doit pas dépasser les 35 heures hebdomadaires et laisser constante la rémunération mensuelle.
• Sauf dérogation, il est interdit de faire travailler un même salarié à temps plein plus de 6 jours d'affilée.
Tout salarié doit bénéficier d'un repos hebdomadaire d'une durée minimale de 24 heures consécutives, auquel il faut ajouter l'obligation de repos quotidien de 11 heures consécutives.
• Dans le cadre du CUI-CAE, est obligatoire une action de formation en lien avec «la réalisation du projet professionnel» du salarié afin de favoriser sa réinsertion dans l'emploi. Or, bien évidemment et comme dans plus de 60% des cas, Camille n'en a pas vu la couleur (c'est même plutôt elle qui, de son initiative, apportait des innovations à son poste) !
• Sauf préavis de licenciement, il est interdit d'être salarié en effectuant 0 heures/mois. Or depuis le 19 août, le festival étant terminé, l'employeur de Camille n'a plus besoin d'elle alors que son CUI prend fin le 30 novembre, date jusqu'à laquelle il doit continuer à lui verser sa maigre pitance. A moins de décrocher un CDI ou un CDD de plus de 6 mois, sinon se lancer dans une prise d'acte, Camille n'a pas le droit de le rompre.
Trop, c'est trop !
Forte de ce constat et pour tous ces motifs, Camille a saisi les Prud'hommes afin de mettre un coup d'arrêt aux agissements de cet employeur indélicat qui n'en est pas à son premier fait : Camille a découvert qu'il avait procédé de la même manière l'année précédente avec une autre personne qui n'avait pas osé se rebeller. Dans ce contexte, Camille aurait du être recrutée en contrat saisonnier ou en CDD, voire en tant qu'intermittente du spectacle, et la législation du travail respectée. L'audience en référé a eu lieu cette semaine. Verdict le 10 septembre.
Hélas, il n'est pas dans les attributions d'un référé de rompre un contrat. Pour ce faire, Camille va d'abord saisir Pôle Emploi pour lui signaler les faits et demander la résiliation rapide de son CUI. A Pôle Emploi, les patrons de cet acabit sont qualifiés de «bouffeurs de primes» (ils se régalent des dispositifs spécifiques imaginés par l'Etat vache-à-lait afin d'économiser sur leur masse salariale) et sont — en théorie — blacklistés.
Si Pôle Emploi résilie le CUI, l'employeur de Camille ainsi épinglé devra rembourser toutes les aides perçues. Demeure une zone d'ombre sur les rémunérations dues jusqu'à fin novembre : on ne sait pas s'il aura obligation de tout lui verser d'un coup, ou si leur versement sera interrompu. Quoiqu'il arrive, Camille a engagé la procédure de jugement sur le fond où elle sera soutenue par un conseiller CGT et un avocat, puisqu'elle a droit à l'aide juridictionnelle. Elle espère une sanction exemplaire et des dommages-intérêts.
Nous remercions Camille pour son précieux témoignage qui évitera peut-être à d'autres de se faire piéger, et lui souhaitons bon courage. Bien évidemment, nous ne manquerons pas de vous tenir au courant de l'issue de son affaire.
SH
[1] Le prénom a été changé.
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