Je me prénomme Thomas, j’ai 25 ans, je vis à Strasbourg. Mardi soir, je fêtais mon anniversaire. J’avais tout préparé pour que ma soirée soit une belle fête. 25 ans, un quart de siècle, stagiaire dans plusieurs entreprises, 400 euros par mois, mais je m’en fiche : je bosse dans le secteur du web et je sais qu’un jour ce montant augmentera (un peu, au moins).
J’organise un petit repas avec ma compagne et nos deux meilleurs amis. On rit beaucoup, on parle de l’avenir, des projets, des enfants qui ne sont pas encore là, des boulots que pour certains d’entre nous on se cherche encore, ou bien de politique.
La sonnette vient rompre ce bel élan d’amitié. Tout va s’enchaîner très vite. Une jeune femme d’environ 35 ans sonne à notre porte, affolée que son frère (notre voisin de palier) ne réponde plus depuis 24 heures. Elle va aller zieuter sur notre balcon pour voir si c’est bien allumé chez lui.
«Depuis quand ne l’avez-vous pas vu ?»
Tout est éteint. La nuit est froide, ses volets claquent sous l’effet soutenu du vent et de la pluie. Elle pleure. Elle appelle les pompiers. Ils arriveront bien vite (nous habitons en face de la caserne), bélier, grande échelle, tambourin à la porte. Il ne répond pas. M. «X» ne répond pas.
«Depuis quand ne l’avez-vous pas vu ?» nous demande-t-elle. Pour ma part, la dernière fois que j’ai croisé son regard, c’était il y a six jours dans l’escalier. Je revenais d’une séance sportive tandis que lui parcourait l’escalier à toute berzingue, en me gratifiant d’un bonjour souriant.
Les heures s’égrènent, le Samu arrive, tout se déroule sur notre palier. On entend le fameux bruit du défibrillateur automatique. «Reculez-vous», d’une voix de stentor. On regarde par le judas, on n’ose ouvrir la porte.
Ce face-à-face avec la mort, chacun de mes compagnons du soir le connaît de près ou de loin. Mon meilleur ami est un ancien militaire, sa femme est interne en médecine, ma compagne est archéo-anthropologue et moi, je suis transplanté. Les joyeux lurons de la faucheuse.
Diplômé, il ne pouvait plus payer ses factures
Nous comprenons bien vite que tout est terminé. Les pompiers n’osent croiser le regard de la sœur. Les policiers arrivent, font une enquête de voisinage, sonnent chez nous. C’est bel et bien fini. On ouvre mes cadeaux. Le cœur n’y est plus.
Il est 1 heure du matin, notre appartement est silencieux. Pèse encore une lourde atmosphère glauque. Les thanatopracteurs arrivent. Sortent le corps dans un plastique blanc.
Nous apprendrons au cours de la soirée que notre jeune voisin (35 ans) vivait seul, n’arrivait plus à s’en sortir financièrement entre RSA et recherche active de boulot. Il était diplômé et ne pouvait plus payer ses factures.
Je n’arrive pas à fermer l’œil de la nuit. Je vous écris, le jour va se lever. Delpech a chanté un vers qui restera à jamais comme gravé dans la pierre après cette soirée : «Il était 5 heures du matin, au fond de moi je me sentais un peu coupable.»
(Source : Rue89)
Il s'appelait Jean-Louis Cuscusa...
Chômage, dépression, suicide : désastre sanitaire en vue
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