Au moment où le Haut conseil du financement de la protection sociale est intronisé et où l’on attend le rapport Gallois sur la compétitivité, il est intéressant de se replonger dans les classiques de l’économie pour savoir ce que nos ancêtres pensaient du sujet. Prenez Adam Smith, par exemple...
C’est, bien entendu, le père de la science économique et de la réflexion sur l’efficacité universelle des mécanismes de marché ? En fait, pas vraiment ! Chez lui, l’économie est encastrée dans les rapports de force politiques : les patrons se liguent contre leurs employés, s’entendent pour faire monter les prix au détriment des clients, essaient de faire passer des lois au nom de l’intérêt général pour servir leurs intérêts privés. Chez lui, l’Etat a un rôle à jouer en matière de défense et de sécurité mais aussi d’investissements publics, d’éducation, de fiscalité, etc. Chez lui, l’impôt doit être progressif, etc. Pas vraiment l’image du Smith qu’ont voulu nous léguer les économistes !
Au détour de La Richesse des nations, on trouve même cet extrait qui nous interpelle au plus au point puisqu’il s’intéresse à la meilleure façon d’accroître la compétitivité des entreprises. Réclame-t-il de baisser les coûts salariaux ? Pas vraiment... Le mieux est de le lire :
«Dans le fait, des profits élevés tendent, beaucoup plus que des salaires élevés, à faire monter le prix de l’ouvrage. Si, par exemple, dans la fabrique des toiles, les salaires des divers ouvriers, tels que les séranceurs du lin, les fileuses, les tisserands, etc., venaient tous à hausser de deux deniers par journée, il deviendrait nécessaire d’élever le prix d’une pièce de toile, seulement d’autant de fois deux deniers qu’il y aurait eu d’ouvriers employés à la confectionner, en multipliant le nombre des ouvriers par le nombre des journées pendant lesquelles ils auraient été ainsi employés. Dans chacun des différents degrés de main-d’œuvre que subirait la marchandise, cette partie de son prix, qui se résout en salaires, hausserait seulement dans la proportion arithmétique de cette hausse des salaires.
Mais si les profits de tous les différents maîtres qui emploient ces ouvriers venaient à monter de 5%, cette partie du prix de la marchandise qui se résout en profits, s’élèverait dans chacun des différents degrés de la main-d’œuvre, en raison progressive de cette hausse du taux des profits ou en proportion géométrique. Le maître des séranceurs demanderait, en vendant son lin, un surcroît de 5% sur la valeur totale de la matière et des salaires par lui avancés à ses ouvriers. Le maître des fileuses demanderait un profit additionnel de 5%, tant sur le prix du lin sérancé dont il aurait fait l’avance, que sur le montant du salaire des fileuses. Et enfin le maître des tisserands demanderait aussi 5%, tant sur le prix par lui avancé du fil de lin, que sur les salaires de ses tisserands.
La hausse des salaires opère sur le prix d’une marchandise, comme l’intérêt simple dans l’accumulation d’une dette. La hausse des profits opère comme l’intérêt composé. Nos marchands et nos maîtres manufacturiers se plaignent beaucoup des mauvais effets des hauts salaires, en ce que l’élévation des salaires renchérit leurs marchandises et par là en diminue le débit, tant à l’intérieur qu’à l’étranger : ils ne parlent pas des mauvais effets des hauts profits; ils gardent le silence sur les conséquences fâcheuses de leurs propres gains; ils ne se plaignent que de celles du gain des autres.» (Livre I chapitre 9)
Et oui, pour Smith, ce qui plombe la compétitivité des entreprises, ce n’est pas le coût du travail mais la course aux profits élevés et de court terme !
On n’a pas fini d’être surpris en lisant Adam Smith. Et si les milliers de pages de La Richesse des nations vous paraissent trop lourdes à digérer, voici un petit livre qui va vous intéresser : Vive l’Etat ! par Adam Smith
(Source : Alternatives Economiques)
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