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La vérité sur la fermeture de la Samaritaine

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C’est pour son immobilier que le grand magasin avait été acheté. Alors, pour LVMH, le fermer six ans n’est pas si gênant.

Pour le commun des Parisiens, c’est incompréhensible. Comment un grand magasin, ouvert entre la rue de Rivoli et le Pont-Neuf depuis plus d’un siècle, peut-il fermer du jour au lendemain ? Et pourquoi faut-il six ans de travaux, rideaux baissés, pour le réhabiliter ? Ces questions de base, direction et syndicats de la Samaritaine vont, une fois de plus, les tourner et les retourner au cours du comité d’entreprise extraordinaire convoqué le 8 septembre. Mais, autour de la table, personne n’osera résumer cette incompréhensible affaire, comme nous le faisons en trois phrases : au départ, un formidable coup de poker immobilier ; il y a un an, une énorme bourde pour faire des économies ; et, aujourd’hui, une profonde angoisse… très opportune.

C’est donc la perspective d’une belle affaire immobilière qui fait entrer, en 2001, la Samaritaine au sein du groupe LVMH. Son PDG, Bernard Arnault, a appris par Yves Carcelle, le patron de Vuitton, qu’il pouvait mettre la main sur cet extraordinaire ensemble de quatre bâtiments, dont une partie est classée aux Monuments historiques. Carcelle connaît par cœur les bâtiments : tout gamin, il habitait déjà le quartier ; bien plus tard, à la tête de Vuitton, c’est lui qui a été séduit par l’idée de transporter le siège du maroquinier à côté du Pont-Neuf ; et, au sein de LVMH, il est celui qui conjugue à merveille les talents de distributeur et de promoteur d’immobilier commercial.
Au moment de l’acquisition, le plan est assez sommaire. La Samaritaine sera recentrée sur un seul bâtiment, avec un positionnement bobo branché type le Bon Marché, le grand magasin phare du groupe LVMH. Et le reste fera l’objet de projets immobiliers, un peu sur le modèle du bâtiment 3, loué à Etam depuis 1998. Evoque-t-on à cette époque l’idée de construire un hôtel dans un des plus beaux endroits de Paris, ou est-ce pur fantasme ? Impossible à déterminer. Mais trois choses sont sûres : le prix payé (230 millions d’euros) pour une enseigne en perte de vitesse témoigne à lui seul qu’il n’y avait pas un dessein seulement commercial pour ces 48.000 mètres carrés ; l’état-major de LVMH savait dès cette époque que le magasin était en mauvais état ; enfin, Yves Carcelle, alors en charge de LVMH Fashion Group, une entité aujourd’hui disparue dans la multinationale, se voyait bien à l’époque promoteur d’une forme de cité du luxe avec Vuitton, Kenzo, Céline… en face du Pont-Neuf. D’ailleurs, les premiers travaux vont dans cette voie. Kenzo se voit gratifié d’un magasin emblème sur trois étages du bâtiment n°1, à côté des bureaux de son siège administratif. Puis deux restaurants trendies (Kong, décoré par Philippe Starck, et Lo Sushi, par Andrée Putman) s’installent au sommet et au sous-sol de cet immeuble très kitchement baptisée «la Pelle à tarte», en raison de sa forme particulière. Et Yves Carcelle, expert en montages immobiliers, rentabilise au mieux les 14 millions d’euros investis dans les travaux pour le bâtiment en signant un bail inespéré avec Zara, à la recherche d’une belle surface rue de Rivoli.

Bourde sécuritaire
C’est à peu près la situation que trouve Philippe de Beauvoir, le patron du Bon Marché, quand il hérite du projet. Le plan de réduction d’un tiers des surfaces commerciales de la Samaritaine est mis en action, entraînant immédiatement une chute proportionnelle du chiffre d’affaires et une dégradation de la rentabilité (résultat d’exploitation de - 5 % en 2004). Mais la transformation du bâtiment n°4 loué sur le modèle vertueux de «la Pelle à tarte» devait assurer un équilibre d’exploitation à partir de 2006. Quant aux travaux de sécurité du grand magasin, urgents mais encore mineurs, ils font déjà l’objet d’un imbroglio kafkaïen entre la direction de la Samaritaine et la préfecture de police.
Tout cet assemblage, assez imprécis et opportuniste, dérape en 2004 à cause d’une monumentale bévue. Par souci d’économie, l’entrepôt de Marne-la-Vallée, qui alimentait la Samaritaine tous les matins, est fermé : trop grand, «il ne se justifiait plus» , assure-t-on aujourd’hui. Les stocks sont alors transférés rue de Rivoli, entreposés partout où il y a de la place, à tous les étages. Mais les réserves nouvellement créées n’ont pas de système de sécurité adéquats, ni de désenfumage. Pis : elles bloquent les accès pompiers. Quand la commission de sécurité, mandatée par la préfecture de police, fait son habituelle inspection, en janvier 2005, elle s’étrangle. C’est, en effet, dans les réserves que démarrent les incendies les plus redoutés. Un rapport sévère est rédigé, pointant onze anomalies graves : la plupart concernent ces milliers de mètres carrés de réserve créés dans l’année. «En faisant ces modifications importantes dans le dos de la préfecture, sans dépôt de dossier, la Samaritaine s’est mise tout le monde à dos», s’étonne un architecte expert dans les grands magasins. Un de ses confrères, lié aux Monuments historiques, confirme : «Chacun sait que les structures de ce type de bâtiments anciens sont très difficiles à mettre complètement aux normes. Il faut donc être nickel sur d’autres systèmes de sécurité : désenfumage, alarme, charge au feu, évacuation. Or le rapport souligne qu’il n’y a pas de désenfumage, pas d’alarme, trop de réserves et pas d’évacuation !» De la part de professionnels qui gèrent déjà le Bon Marché, cela frise l’inconscience… ou la provocation.

Retards orchestrés ?
Inconscience ? Bien sûr la direction le conteste, témoignant au contraire de sa réaction immédiate après le rapport de janvier 2005. Philippe de Beauvoir, le PDG de la Samaritaine et du Bon Marché, garde le souvenir horrifié d’un incendie meurtrier dans un grand magasin de Bruxelles, le 22 mai 1967, alors qu’il débutait dans le métier. Les photos publiées par Paris Match à l’époque – et distribuées par l’agence de communication de LVMH aujourd’hui – font, il est vrai, froid dans le dos : 322 personnes mortes dans d’atroces conditions. Bernard Arnault n’est pas homme à prendre ce genre de risques. Ces travaux, il les veut : il a fait une augmentation de capital dans ce but dès l’achat de la Samaritaine, et ce sont les Monuments historiques qui n’ont pas autorisé qu’un permis de construire soit accordé, sans cependant le notifier.
Provocation ? On se pose la question, tant il était facile de déplacer les réserves dans le bâtiment n°4, aux trois quarts vide. Le rapport comminatoire apparaît bien opportunément pour justifier de fermer longuement. Le temps de remettre le magasin aux normes. Mais le temps aussi de se donner du temps, comme le dit un élu : «Tout allait mal : les résultats, le repositionnement branché, la sécurité… Ils se sont dit : on s’est plantés. On ferme, on fait ces travaux et on verra plus tard.» Rendez-vous dans six ans, ou avant, si Philippe de Beauvoir, le PDG inventif, ou Yves Carcelle, l’habitant du quartier, trouvaient la géniale idée.

(Source : Challenges)

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Mis à jour ( Samedi, 10 Septembre 2005 04:16 )  

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