Il existe en France 38 formes de contrats de travail différents, 27 régimes dérogatoires et une dizaine d'organisations du temps de travail. Ajoutez-y un nombre infini de clauses juridiques et trente ans de gestion sociale du chômage… «Il y a autant de manières d'embaucher que de façons de travailler», affirme Alain Dupays, rédacteur en chef aux éditions Lamy. En France, chaque cas est particulier et considéré comme tel. Voilà, pour certains, le secret de notre flexibilité. Pour d'autres, l'outil est à double tranchant : les règles complexes sont aussi, parfois, illisibles.
Prenez le CDD, par exemple. Il n'y en a pas un, mais 12 : du contrat pour «surcroît d'activité» à celui de «remplacement», en passant par le «contrat de vendanges». Chacun est spécifique. Tous ne sont pas limités à dix-huit mois. Une entreprise française soumise à une «commande exceptionnelle» d'un client étranger peut signer un contrat temporaire de vingt-quatre mois. Mieux : les contrats de remplacement, saisonniers ou encore «d'usage» - réservés à certaines catégories de personnel, dont les acteurs, les mannequins, les sportifs ou encore les déménageurs - peuvent être reconduits sans limites tant que la situation le justifie. Des milliers de Français travaillent ainsi en CDD depuis plus de dix ans… en toute légalité ! «Tous les contrats temporaires ne se valent pas», souligne la spécialiste Marie Hautefort, des éditions Lamy.
De même, tous les contrats à durée indéterminée ne bénéficient pas des mêmes garanties. Dans le bâtiment, un ouvrier peut être remercié une fois les travaux achevés : le contrat de chantier est pourtant un CDI. En revanche, des salariés du spectacle en contrat «intermittent» peuvent être payés douze mois sur douze et ne travailler que la moitié de l'année. Autre exemple : un cadre envoyé à l'étranger n'aura pas les mêmes droits s'il est «expatrié» ou «détaché» - dans le premier cas, il peut en effet être soumis aux conditions de travail locales. La différence est importante. De même qu'il ne faut pas confondre le statut d'employé à domicile et celui de télétravailleur… Chacun est soumis à des règles bien distinctes.
Les patrons eux-mêmes sont noyés. A la tête de The Phone House, Geoffroy Roux de Bézieux emploie plus de 2.500 personnes en France et 14.000 dans le monde. «Les quatre premières années, on a signé 400 embauches à un rythme effréné… et dans l'illégalité constante», dit-il. Les inspecteurs du travail lui ont laissé le temps de rectifier le tir - les irrégularités bénignes sont leurs affaires courantes. Ailleurs, pourtant, «la complexité du système engendre de véritables perversions», témoigne Stéphanie Stein, avocate associée du cabinet Eversheds. Salaires payés en droits d'auteur, travail au noir, abus du régime d'assurance-chômage par les employeurs d'intermittents du spectacle, consultants bidon, notes de frais gonflées et faux sous-traitants, «dans certaines entreprises, tout est bon pour contourner le Code du travail».
«Historiquement, ce sont les patrons qui ont inventé le CDI pour stabiliser leurs effectifs. Les salariés n'en voulaient pas !» observe en souriant Jacques Le Goff, professeur de droit public à l'université de Brest (1). Les temps changent : aujourd'hui, près de 90% des actifs sont en CDI, les jeunes ne rêvent que de cela et, paradoxalement, «jamais le sentiment d'insécurité sociale n'a été aussi fort», observe le chercheur. Le fait que 70% des embauches se fassent en CDD y est pour beaucoup. L'imbroglio de notre droit du travail, également.
Car la liste des cas particuliers s'allonge d'année en année. Tout le monde se souvient des emplois-jeunes, créés sous le gouvernement Jospin. Sachez qu'ils existent encore, au moins jusqu'en 2009. En attendant cette échéance, deux nouveaux contrats peuvent être utilisés par les jeunes en difficulté : le contrat d'avenir et le contrat d'accompagnement dans l'emploi. On ne supprime jamais, on empile. Après l'abolition du service militaire, en 1997, les coopérants du service national en entreprise, très appréciés des employeurs, étaient condamnés à disparaître : ils ont été remplacés par des volontaires internationaux en entreprise. De même, depuis 2004 et la création du revenu minimum d'activité (RMA), les contrats d'insertion ne sont plus étiquetés contrat d'insertion «par l'économie» (CIE) mais CIRMA. C'est que les simplifications sont rares. Récemment, les contrats de qualification, d'orientation et d'adaptation ont été fondus dans un seul et même contrat de «professionnalisation», mais l'apprentissage, lui, a été étendu aux jeunes de 14 ans, créant de nouvelles obligations pour l'employeur.
Les allégements de charges sont une autre particularité de notre politique de l'emploi. Elles ajoutent à la complexité. Les salaires payés au Smic sont aujourd'hui quasi dispensés de charges patronales. Certains traitements de faveur sont plus ciblés. L'hôtellerie et les transports profitent ainsi depuis longtemps d'un régime préférentiel dans le calcul de leurs cotisations sociales. De plus, en 2004, les hôtels, cafés et restaurants ont par ailleurs reçu 1,5 milliard d'euros d'allégements supplémentaires en attendant une hypothétique baisse de leur TVA. Dans les zones urbaines sensibles, les entreprises sont, elles, exonérées d'une partie de leurs charges sociales pour encourager les créations d'emplois, quel que soit le niveau des salaires. Même mécanisme dans les départements d'outre-mer, avec un bonus réservé à certains secteurs (bâtiment, transport et tourisme, notamment).
Et encore, tout cela ne concerne que le droit commun ! Non contente de détenir le record européen du nombre de contrats de travail, la France compte en effet près de 30 catégories particulières de salariés, chacune bénéficiant d'un régime juridique dérogatoire. Les marins sont ainsi soumis à leur propre Code du travail. Les taxis sont considérés à la fois comme des artisans et des salariés. Les sociétaires de la Comédie-Française, le personnel de l'Opéra de Paris, les auteurs, les journalistes, les artistes, les cadres dirigeants, les concierges ou encore les assistantes maternelles bénéficient chacun de régimes juridiques spécifiques. Auxquels s'ajoutent les agents EDF et ceux de la SNCF (du moins aujourd'hui) ou encore les fonctionnaires de France Télécom et de La Poste : ces salariés profitent de certains avantages du statut de la fonction publique. Lequel statut ne s'applique d'ailleurs pas aux agents contractuels de l'Etat… Pourquoi faire simple?
(1) Ancien inspecteur du travail et auteur de "Du silence à la parole. Une histoire du droit du travail des années 1830 à nos jours" - Presses universitaires de Rennes, 2004.
(Source : L'Express)
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