Révélant "un paradoxe opposé à 2004", l'année 2005 enregistre en effet un très net recul de l'ensemble des violences et menaces à caractère raciste et antisémite (974 actes ou menaces recensés contre 1.574 en 2004, soit une baisse de 38%, Le Monde du 20 janvier 2006). La baisse est même plus sensible encore pour les seuls actes antisémites (504 contre 974 soit – 48%). Mais ce recul des actes avérés de racisme et d'antisémitisme masque une évolution de l'opinion, jugé "particulièrement inquiétante" par la CNCDH.
"LA LEVÉE D'UN TABOU"
Le sondage réalisé par l'institut CSA (sur un échantillon représentatif de 1.011 personnes interrogées en face à face du 17 au 22 novembre 2005) montre une banalisation du racisme. Un Français sur trois se déclare raciste, ce qui marque une augmentation de 8% par rapport à 2004. Et, sans doute plus inquiétant encore, 63% estiment personnellement que "certains comportements peuvent justifier des réactions racistes". En 2005, on assiste "incontestablement à la levée d'un tabou", s'alarme la CNCDH.
La banalisation du racisme se reflète aussi dans une "démobilisation sensible" des individus dans la lutte contre le racisme. Ils ne sont notamment plus que 32% (- 18 points) à se dire prêt à signaler un comportement raciste à la police. On assiste à "une vraie tendance au repli sur soi, à une indifférence croissante face aux manifestations de racisme, dans lesquelles viennent se combiner des peurs (tendance anxiogène) et des craintes d'une communautarisation ", relève le rapport qui note un doublement des personnes citant les "Français" comme victime du racisme.
Aussi cette banalisation du racisme va-t-elle de pair, sur fond d'un malaise économique et social croissant, avec une progression des préjugés xénophobes. Une majorité de Français (56% soit + 18% par rapport à 2004) estiment ainsi que le nombre d'étrangers est trop important. La radicalisation s'exprime tout autant en ce qui concerne le nombre d'immigrés, jugés à 55% (+9 points) trop important.
Aussi observe-t-on, un net recul (-11 points) de ceux qui considèrent que les travailleurs immigrés "sont en France chez eux puisqu'ils contribuent à l'économie française". Et plus encore de ceux qui soutiennent que "la présence d'immigrés est nécessaire pour assurer certaines professions". Les avis sur cette question n'ont d'ailleurs jamais été aussi partagés (48% contre 49%).
Alors qu'en 2004, dans un contexte marqué par de nombreuses agressions racistes et antisémites, l'attitude était plutôt à l'indignation, au soutien aux victimes des violences et des discriminations, et à la demande de sanctions accrues contre les auteurs de ces actes, en 2005, ce sont les immigrés qui sont perçus comme une menace. "Le racisme et la xénophobie sont corrélés sinon confondus. L'étranger est très nettement assimilé à l'immigré, à l'Arabe, au Maghrébin, ou à l'Africain", relève la CNCDH qui note que l'image du "bouc émissaire" apparaît dans de nombreux discours de rejet et/ou de peur.
ANGOISSE ÉCONOMIQUE
De plus en plus nombreux sont ceux qui considèrent que les musulmans constituent un groupe à part (63%, + 6 points), tandis que le sentiment que "les Français musulmans sont des Français comme les autres" recule très nettement (66%, – 11 points).
Le rapport de la CNCDH s'attache à rappeler que le sondage a été effectué "dans un contexte de violences urbaines et de réactions sécuritaires immédiates" à prendre en compte dans l'analyse des chiffres. Reste que la justification des opinions xénophobes par ceux qui les professent semble avant tout liée à une montée de l'angoisse économique.
De fait, l'emploi apparaît nettement comme le principal domaine dans lequel le nombre d'immigrés pose problème : 66% (+ 14 points) de ceux qui jugent le nombre d'immigrés excessif considèrent que cela pose un problème dans le domaine de l'emploi et du niveau de chômage en France. Un record depuis 2002. Et, malgré le contexte de violences urbaines, le nombre d'immigrés pose un problème de sécurité pour seulement 14% des personnes interrogées.
Pour Michel Tubiana, vice-président de la Ligue des droits de l'homme, cette nette progression des attitudes ethnocentriques à laquelle on assiste est certes le résultat des émeutes urbaines, mais "aussi et surtout la conséquence directe des discours gouvernementaux qui multiplient les propos provocateurs à l'égard des étrangers". Une remarque reprise, de façon à peine plus nuancée, par le rapport de la CNCDH qui met en garde le gouvernement contre le fait que, "dans un contexte de malaise économique et social fortement ressenti, les étrangers et les immigrés sont souvent sinon dénoncés, du moins stigmatisés de façon flagrante".
Laetitia Van Eeckhout pour Le Monde
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