Paris, qui ne fait pas partie des villes les plus pauvres de France et se targue d'être socialiste, n'échappe pas à la règle : selon les établissements, on refuse ou on limite la fréquentation des cantines et des garderies aux enfants dont les parents - et particulièrement la mère - ne travaillent pas.
Que les parents qui travaillent soient prioritaires, rien de plus normal. Que la cantine dite "de confort" soit restreinte dans le cas du parent qui a choisi de rester au foyer car le conjoint subvient aux besoins de la famille, soit. Mais que des parents privés d'emploi et surtout des femmes seules, qui n'ont pas choisi cette situation, subissent le même traitement sous prétexte que leur recherche ne les monopolise pas tous les jours, est une mesure discriminatoire.
Pas assez de personnel ! Tel est le motif invoqué par les directeurs ou directrices d'écoles dans la gestion de leur cantine. C'est un comble : Paris n'est pourtant pas une ville pauvre - elle dispose d'un budget annuel de quelque 6 milliards d'euros, l'équivalent de celui de la Justice - et la volonté d'offrir un service public pour tous équivaut donc à un choix politique.
Si, comme tout le monde, Paris se satisfait de la baisse de son taux de chômage officiel, il reste supérieur au taux national (9,2%). Pourtant, c'est bien ce "manque de personnel" entretenu partout et invoqué comme excuse qui nourrit le chômage, et dont pâtissent doublement les exclus de l'emploi devenus "non prioritaires", voire usagers de seconde zone. Absurdité et iniquité sont le brillant résultat de ces décisions économiques.
Autre motif en cause : la capacité d'accueil, insuffisante. Comme si, depuis des années, ces choses-là étaient impossibles à prévoir !?! Et à Paris, où les dépenses de prestige prévalent parfois sur les questions sociales, on continue à manquer de crèches, de halte-garderies et de places de cantines...
Question de budget. La restauration scolaire à Paris, c'est environ 115.000 enfants qui déjeunent tous les midis dans les écoles publiques, et 8.000 agents qui préparent les repas ou accompagnent les élèves sur le temps du déjeuner. La Ville de Paris finance les Caisses des écoles à hauteur de 55% (soit 46 millions d'euros par an), le reste étant assumé par les parents selon des critères de tarification sociale progressive.
A Drancy et au Bourget, la gratuité totale accordée aux 3.080 enfants de 6 à 16 ans (la mesure, on se demande pourquoi, n'inclut pas les petits en maternelle…) leur coûtera 1,1 million d'euros par an. C'est une initiative que l'UNICEF a salué, rappelant qu’en moyenne 2 à 3 enfants par école sont exclus de la cantine pour des raisons financières, soit environ 140.000 enfants en France qui, de surcroît, "ne mangent pas ou mal quand ils rentrent chez eux".
Discrimination. L'UNICEF estime que la restauration scolaire offre la garantie d’un repas complet dans la journée, et qu'assurer la cantine scolaire fait partie du droit à la santé et à la nutrition tels que définis par la Convention internationale des droits de l’enfant. Pourtant, l'accès sans discrimination à la cantine n’est toujours pas garanti par la loi française : juridiquement, ce service public n’est pas considéré comme obligatoire par les communes. La réforme de la décentralisation ayant pour conséquence le désengagement financier croissant de l'Etat, certaines d'entre elles n'hésitent pas à réduire leurs coûts y compris de ce côté.
Ainsi, l'UNICEF milite pour une loi qui garantisse le libre accès à la cantine à tous les enfants scolarisés en maternelle et en primaire. Et la jurisprudence va clairement dans ce sens : plusieurs tribunaux administratifs appelés à se prononcer sur ces limitations les ont jugées illégales (Grenoble en juin 2002, Marseille en novembre 1996).
La galère de la mère célibataire parisienne. On le sait, les places en crèches sont cruellement rares : quoiqu'en promette Dominique de Villepin avec ses soi-disant quotas, une maman sans emploi ne peut que difficilement retrouver le chemin du travail puisque ces portes lui sont déjà fermées, n'étant bien évidemment "pas prioritaire". Le coût d'une nourrice agréée est communément supérieur à 500 € par mois : quand on décroche un job au Smic, ne vaut-il pas mieux rester à l'API (allocation de parent isolé) et attendre, finalement, que son enfant rentre à l'école maternelle ? Que nenni ! L'échéance approchant, le cauchemar se poursuit quand la directrice vous annonce : "Madame, vous ne travaillez pas. Votre enfant n'est pas prioritaire pour la cantine." Il faudra donc couper sa journée de 11h20 à 15 heures, fin de la sieste, pour revenir à 16h20. Bien sûr, on vous proposera un arrangement d'une ou deux journées de prise en charge par semaine, dont vous vous contenterez.
Ce rejet systématique est épuisant pour la mère, et désociabilisant pour l'enfant. De la même façon que les salaires trop bas, conjugués aux effets de seuil liés aux conditions d'accès de notre système de solidarité, tendent à maintenir les chômeurs dans leur situation, l'accueil déplorable des enfants pour les mamans sans emploi ne les incite pas non plus à sortir du chômage.
Faites des gosses, qu'ils disent… La France se glorifie d'avoir le meilleur taux de natalité européen. C'est formidable : notre renouvellement des générations est à nouveau assuré ! Mais il est facile de se réjouir des 86.000 naissances de 2006 quand on sait que les places en crèche, dans les cantines et les garderies publiques sont insuffisantes, qu'on dégraisse à l'Education nationale, et que la discrimination faite aux femmes dans les entreprises continue de sévir. Même si nos politiques natalistes semblent meilleures que d'autres, continuer à rogner sur ces quelques millions qui permettraient d'assurer à tous les enfants (et à leurs parents) de mieux vivre dans un pays qui leur accorde une place, c'est faire preuve de mépris pour l'avenir et pour les individus en général.
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