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Suicide : les chômeurs, une population à risque

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Bernard avait perdu son emploi et passait ses journées dehors. Son chômage, il n'avait pas été capable d'en parler à ses enfants. "Trop douloureux", disait-il. Lorsque ses beaux-parents ont commencé à aider financièrement sa femme, ce fut le moment de crise. Une seule idée devenait envahissante : celle de se suicider.

Bernard est venu consulter au Centre Popincourt, à Paris. "D'avoir pu dire les choses lui a permis ensuite d'en parler à sa famille", raconte Vincent Lapierre, l'un des psychologues de ce centre thérapeutique spécialisé dans la lutte contre l'isolement et la prévention du suicide. Des hommes et des femmes cassés par le chômage, cette structure en reçoit régulièrement depuis la mise en place d'un partenariat avec l'ANPE (1). "Les conseillers de l'agence nous adressent des personnes en recherche d'emploi lorsqu'ils ont le sentiment qu'elles vont très mal", explique M. Lapierre. Elles sont suivies pendant six mois.

Selon les derniers chiffres de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), 10.798 personnes se sont tuées en France en 2004 (dont 6.248 âgées de 30 à 59 ans) et près de 150.000 ont tenté de le faire. Si le suicide a diminué de 36% depuis 1993 chez les 15-24 ans et de 18% chez les plus de 60 ans, il continue d'augmenter parmi les 30-59 ans (+ 6% depuis 2001) et touche surtout les hommes.

"Populations à risque"

Les 11es Journées nationales pour la prévention du suicide, qui ont débuté lundi 5 février, mettent l'accent sur cette problématique du suicide des adultes. "Personne ne s'y intéresse, rien n'est fait pour tenter de savoir qui ils sont", s'emporte le professeur Michel Debout, président de l'Union nationale pour la prévention du suicide (UNPS), à l'initiative de ces journées.
Multifactoriel, profondément intime, le suicide ne peut se résumer à des profils types. Néanmoins, certains événements (chômage, divorce, surendettement, deuil, violence conjugale…) peuvent entraîner des situations de grande détresse et de grande souffrance, notamment chez ceux qui ont déjà vécu des traumatismes au cours de leur vie. Pour tenter d'aller à la rencontre de "populations à risque", l'UNPS milite en faveur d'actions communes avec des structures telles que les maisons pour l'emploi, les commissions de surendettement, etc. "Nous avons écrit à la Banque de France et nous n'avons toujours pas de réponse", pointe le professeur Debout. Il regrette aussi que l'expertise collective de l'INSERM, publiée en 2005, sur l'intérêt de l'autopsie psychologique dans le dépistage des facteurs de risque du suicide soit restée lettre morte. Pratiquée dans les pays anglo-saxons et en Finlande, cette technique consiste à interroger l'entourage de la personne qui s'est donné la mort afin de reconstituer les circonstances psychologiques, sociales et médicales entourant le décès.

"La dépression reste la cause la plus fréquente du suicide, rappelle Jean-Louis Terra, professeur de psychiatrie. La personne, usée par sa dépression, ne veut pas mourir mais arrêter de souffrir. Le suicide est vécu comme une morphine psychologique." Chef de service à l'hôpital psychiatrique du Vinatier à Bron (Rhône), M. Terra a mis en place une formation de sensibilisation des médecins généralistes, "acteurs essentiels" dans le repérage de la crise suicidaire. Car il n'est pas rare qu'avant de passer à l'acte, le dépressif suicidaire consulte un médecin. Il apparaît essentiel que la volonté d'en finir puisse être formulée.

"Bon nombre de nos patients sont en dépression, confirme M. Lapierre. Ils évoquent une grande tristesse, une grande fatigue, sont découragés, n'ont ni désir ni plaisir." Au Centre Popincourt, ils viennent raconter leur quotidien et évoquer leurs idées suicidaires. Issus de tous les milieux sociaux, ils ont en commun un sentiment de solitude et d'isolement. Ils poussent la porte de ce centre souvent comme ultime recours et parce qu'ils n'ont personne à qui en parler.
"La prévention du suicide passe par le rétablissement du lien social, mais un lien «acceptant», précise M. Lapierre. Nous sommes dans une société qui n'aime pas les faibles et qui ne supporte plus ce qui sort de l'ordinaire. On finit par ne vouloir que du lisse, à ne plus accepter, par exemple, le moindre temps mort sur un curriculum vitae." L'UNPS dresse un constat similaire en parlant de "lutte contre la "dépressivité sociale"".

Environ 75% d'hommes

Trois décès par suicide sur quatre concernent des hommes. Ces derniers utilisent des moyens plus violents (pendaison, arme à feu) que les femmes pour mourir. Et ils sont "relativement incompétents à parler de leur détresse et à demander de l'aide", résume le professeur Terra. A l'opposé de l'homme "droit dans ses bottes mais faible à l'intérieur", la femme anticipe davantage son mal-être en recourant plus souvent aux soins.
La crise suicidaire "dure de six à huit semaines". Ce "couloir de la mort", comme l'appelle M. Terra, comporte plusieurs stades. L'idée du suicide, parce qu'elle s'intensifie, cède progressivement la place à l'intention : "Je ne pense plus qu'à cela, je devrais le faire." Puis surviennent les questions du "comment" (ne pas se rater, ne pas rester handicapé), du "où" et enfin du "quand" le faire.

"Souvent, lorsque la personne a décidé de sa date, elle va mieux parce que sa souffrance passe d'une durée indéterminée à une durée déterminée", explique le psychiatre. C'est pourquoi toute amélioration spectaculaire et inexplicable chez un dépressif doit être un signe d'alerte. Comme le souligne le professeur Terra, "on entend trop souvent des proches de suicidés dire "la veille de sa mort, on ne l'avait pas vu aussi en forme depuis longtemps"".

(Source : Le Monde)

(1) NDLR : il s'agit là d'un partenariat très exceptionnel, car en pratique la notion d'accompagnement psychologique du chômeur n'existe pas => lire en commentaire.

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