Ce mouvement est général et coordonné. Dans ses "Perspectives de l’emploi 2006", l’OCDE avance sans fard les grandes lignes stratégiques qui forment selon elle l’«économie politique des réformes» entreprises depuis 1994 dont la partie la plus copieuse concerne les «stratégies d’activation des chômeurs». (...)
L’organisation de coopération et de développement économiques voudrait «s’intéresser davantage à l’ensemble des aspects de la protection sociale». Elle poursuit donc sans relâche son travail d’acclimatation de la doctrine du workfare (rendre le travail "payant") à l’ensemble des pays membres. Lesquels sont invités, sous couvert de «faciliter le passage de l’assistanat à l’activité professionnelle», à démêler l’écheveau des institutions protectrices du salariat, à commencer par les systèmes d’allocations-chômage.
Le cœur de la doctrine est plus que jamais réaffirmé : «Puisque beaucoup de personnes inactives en âge de travailler bénéficient d’allocations, il importe que celles-ci ne constituent pas des obstacles à l’emploi.» (...) Rien que dans le cas de la France, l’inventaire des «réformes» entreprises depuis une dizaine d’années sous la bannière du workfare suffirait à donner le tournis. Au nom de l’«encouragement au travail», les politiques de l’emploi et, plus largement, les politiques fiscales et sociales, ont été réorientées de façon à alterner le bâton et la carotte en direction des chômeurs.
(...) Les recommandations de l’OCDE en matière d’indemnisation du chômage constituent un des piliers des politiques de workfare, dont l’organisation a énoncé le postulat, lequel n’a pas varié depuis dix ans : «Les recommandations de la stratégie de 1994 pour l’emploi partaient du principe que l’octroi d’allocations de chômage élevées, pendant une période longue, risquait de perturber le fonctionnement du marché du travail.» Dans la doctrine économique dominante, le marché du travail, censé conduire spontanément au plein-emploi, ne doit donc pas être «perturbé».
La thèse du "chômage volontaire"
Or, au chapitre des perturbations, «les allocations-chômage peuvent aggraver le chômage de deux façons». La première renvoie à l’indolence et à la coquetterie des chômeurs : «En rendant les chômeurs moins empressés à chercher un emploi et à accepter ce qui se présente, l’indemnisation peut allonger la durée du chômage ou même amener certains allocataires à se retirer purement et simplement de la vie active.» La seconde raison est que l’indemnisation a tendance à enchérir le prix du travail. Non pas à cause du montant trop élevé des cotisations à l’assurance-chômage, mais du fait que les employeurs doivent payer davantage pour arracher les salariés aux délices de l’oisiveté, lorsque celle-ci se double d’un revenu de remplacement : «En abaissant le coût d’opportunité de l’inactivité, [les indemnités-chômage] sont susceptibles d’accentuer les revendications salariales des travailleurs et, en définitive, de diminuer la demande de main-d’œuvre [des entreprises].»
L’«armée de réserve du capital» — les chômeurs — qui était censée, selon Marx, faire pression à la baisse sur les salaires, se mettrait donc à fonctionner en sens inverse. Elle deviendrait la cause même de son propre chômage, en faisant monter les salaires ! En réalité, c’est exactement l’inverse qui s’est produit : le coût relatif du travail n’a cessé de baisser depuis vingt-cinq ans (la part des salaires dans la valeur ajoutée a régressé de plus de 4 points en moyenne dans l’ensemble des pays de l’OCDE), sous la pression du chômage, justement… Peu importe : à ceux qui pensaient, un peu naïvement, que le système d’assurance-chômage était là pour secourir les chômeurs, l’OCDE entend expliquer que c’est au contraire les allocations-chômage qui créent le chômage !
La théorie du workfare se dissout dès qu’on la trempe plus de cinq secondes dans la réalité : l’OCDE elle-même n’est pas avare de graphiques montrant que le «taux marginal d’imposition» d’un allocataire du chômage, au moment où il retrouve un emploi, se situe entre 80% et 100% (ce qui signifie que, sur le papier, l’essentiel de l’augmentation de ses revenus lorsqu’il retrouve du travail est contrebalancé par la diminution de ses allocations diverses et l’augmentation de ses impôts). L’appel au bon sens est évident : comment ne pas penser que les chômeurs sont "désincités" à reprendre un emploi quand on calcule avec eux le peu de gains financiers qu’ils pourraient en tirer?
Tout le problème est que cet appel au bon sens est asymétrique. La véritable curiosité consisterait en effet à se demander comment il se fait qu’en France, par exemple, 25% des salariés (insistons : un quart de la population salariée !) aient "fait le choix" de travailler pour un revenu mensuel moyen — ou ramené à une base mensuelle — inférieur à 1,14 fois le Smic... alors qu’ils n’auraient pratiquement rien à perdre à se mettre en roue libre pour toucher le jackpot de l’assistance ? Si la théorie du workfare opérait vraiment, il y aurait actuellement, en France, non pas 2 millions de chômeurs officiels mais 7 millions de chômeurs volontaires !
Lire tout l'article de Laurent Cordonnier pour Le Monde Diplomatique
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