C’est l’eurodéputé français Francis Wurtz, président du groupe de la Gauche unitaire (GUE), qui a lancé un pavé dans la mare, hier à Strasbourg, dans l’hémicycle du Parlement européen. L’orateur a interrogé José Manuel Barroso sur une réunion, tenue le 23 octobre dernier, du collège des commissaires qui ont débattu d’une proposition extrêmement lourde de conséquences que leur a présentée Peter Mandelson. Celle-ci consisterait à exempter les entreprises européennes qui ont délocalisé leur production dans des pays tiers à bas coût, des droits antidumping applicables aux produits exportés vers l’Union à des prix inférieurs à ceux normalement pratiqués en Europe.
Jusqu’à hier, l’affaire n’avait été entourée d’aucune publicité tapageuse, pour le moins. C’est un journal inconnu du grand public, mais bien informé des conciliabules bruxellois, European Voice, qui s’en est fait l’écho dans son édition du 31 octobre. Lorraine Malinder y rapporte que Mandelson a reçu le soutien de ses collègues de la Commission. Les conditions fixées par le commissaire aux sociétés pour bénéficier des largesses promises sont extrêmement floues. Il leur serait simplement demandé de «démontrer qu’elles ont des liens forts avec l’Union européenne, à travers des ventes, des volumes de production et par d’autres critères».
Selon un document interne, mentionné par la journaliste, le changement de la règle est justifié par les besoins de la mondialisation. Le journal informe d’une première réaction de plusieurs États membres à bas salaires, qui redoutent la concurrence des pays à bas coûts hors UE. La Grèce, la Bulgarie, la Lituanie, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Hongrie et la Slovaquie ont demandé une rencontre le 21 novembre. Comme quoi la mise en concurrence des salariés tire toujours vers le bas.
D’autres pays - European Voice cite la France, l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne - seraient également défavorables au projet Mandelson. Aussi, afin d’éviter d’avoir à affronter un vote à la majorité qualifiée, Peter Mandelson envisagerait de recourir à une manœuvre de contournement en optant pour la forme de «lignes directrices», a indiqué Francis Wurtz, après que la Commission aura pris une décision formelle le 5 décembre. Le porte-parole de la Gauche unitaire a reproché vivement au président Barroso de n’avoir pas fait mention dans son discours de ce projet, absent de toute référence également dans la communication de la Commission sur son programme législatif pour 2008. Il s’agit pourtant, a fait observer Francis Wurtz, «d’un projet qui renvoie à des enjeux politiques majeurs, tels que la promotion de l’emploi dans l’Union, la politique industrielle, et plus généralement la conception de l’intérêt communautaire à l’heure de la mondialisation».
José Manuel Barroso n’a pu que confirmer en termes vagues les révélations de l’eurodéputé, se bornant à indiquer que des mesures seraient effectivement prises en décembre sur le chapitre de la protection commerciale, sans en préciser le contenu. Proche cependant de l’aveu, il s’est défendu de vouloir donner des primes aux entreprises qui délocalisent, mais a déclaré qu’il n’y aurait pas non plus de sanctions à l’encontre des sociétés «les plus globales et les plus compétitives».
La concurrence libre et non faussée reste bien la norme à la Commission européenne. Il faut cependant s’attendre à de fortes turbulences, a averti Francis Wurtz, ironisant pour l’occasion : «Si vous avez aimé la mobilisation contre la directive Bolkestein, vous pourriez adorer la levée de boucliers contre le règlement Mandelson !»
(Source : L'Humanité)
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