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Les chômeurs n’ont nul besoin d’«incitations au travail»

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«La majorité des érémistes n’attend qu’un emploi pour sortir de l’assistance», titrait Le Monde du 12 décembre à propos d’un sondage commandé par Martin Hirsch, le haut-commissaire aux solidarités actives.

Seulement voilà… Ce sondage ne va pas dans le sens des mesures actuellement proposées, dont le revenu de solidarité active (RSA) destiné à compléter les ressources des salariés pauvres à temps très partiel en faisant l’hypothèse que cela est essentiel pour «inciter» les chômeurs à accepter un job.

Premier problème. Lorsqu’on demande aux érémistes sans emploi quelle est la principale difficulté qu’ils rencontrent pour en trouver un, ils répondent très majoritairement que c’est parce qu’on ne leur en propose aucun, ou que leurs candidatures ne sont pas retenues (34%), ou parce que ceux qu’on leur propose ne conviennent pas (27%). Ce qui crée le chômage, c’est avant tout le manque d’emploi, pas le manque de volonté des chômeurs, on l’oublie parfois.

Deuxième problème. Parmi ceux qui déclarent que les emplois proposés ne conviennent pas, il y a un groupe très important (38%) qui concerne des emplois trop peu payés pour que le bénéficiaire du RMI soit sûr d’y gagner, ou des emplois impliquant des dépenses supplémentaires (transport, garde d’enfants) qui coûteraient autant que ce qu’on peut gagner. Ce sont donc des emplois dont on ne peut pas vivre décemment. Le RSA va encourager leur progression alors que cette progression est déjà impressionnante, comme l’indiquent deux faits parmi d’autres :

1. Les emplois à domicile de «services à la personne» ont connu une expansion spectaculaire. On arrive en 2006 à un total de 1,46 million, hors «assistantes maternelles». Un million d’emplois ajoutés en 12 ans !
Extraordinaire succès dans la lutte contre le chômage ? Pas vraiment. Car le chiffre clé de ces données est le suivant : 1,46 million ne représente que… 445.000 équivalents temps plein. En moyenne, les personnes employées dans ces activités, très majoritairement des femmes, travaillent 40 heures par mois, environ 10 heures par semaine, le plus souvent au Smic ou très près. Elles gagnent en moyenne 350 € par mois, moins que le RMI (440 € pour une personne seule). On ne peut pas parler d’emploi. Ce sont le plus souvent (il existe des exceptions) des petits boulots dont on ne peut pas vivre. Ce sont eux que le RSA va subventionner, en venant s’ajouter aux cadeaux fiscaux pour les ménages employeurs.

2. Le «sous-emploi», au sens de l’INSEE, correspond au cas de personnes qui ont un emploi à temps souvent très partiel, qui souhaiteraient travailler plus d’heures, et qui seraient prêtes à le faire : en tout 1,44 million de salariés en 2007, plus de 200.000 de plus qu’en 2003. Or, entre ces deux dates, selon les chiffres rectifiés par le collectif ACDC, le nombre de chômeurs a été réduit d’environ 280.000. La montée du sous-emploi équivaut à près des trois quarts de la réduction du chômage !

La perspective offerte aujourd’hui à la plupart des chômeurs est de tenter de passer du chômage, dont on vit mal, à un emploi dont on ne peut pas vivre. Faut-il que le travail leur importe pour qu’ils continuent activement à en chercher dans ces conditions, ce qu’ils font dans leur grande majorité.

Troisième problème : les incitations comptent peu. En réponse à la question «De quoi auriez-vous le plus besoin pour pouvoir travailler ?» assortie d’une liste d’une dizaine de motifs possibles, on trouve, en tête, le besoin de moyens de transport (20%), d’une formation (16%), d’un suivi médical (11%). Viennent ensuite, nettement derrière, le besoin de conseils et de relations personnelles (8%) et celui d’une incitation financière (8%). Une belle gifle pour les économistes libéraux qui expliquent le chômage par l’absence d’incitations financières conduisant à la formation de «trappes» où les gens se réfugient volontairement dans l’assistance.

Les érémistes et les chômeurs n’ont pas besoin d’«incitations au travail» : il faut créer de vrais emplois, correctement rémunérés. Si, en France, la durée effective moyenne de travail passait de 38 heures par semaine, chiffre actuel, à 33,7 heures comme en Norvège (Alternatives économiques, hors-série, 2e trim. 2007), avec une réduction des écarts entre ceux qui en font trop et ceux qui n’en ont pas assez, il existerait une marge de création d’emplois permettant d’aboutir à un quasi plein-emploi de bonne qualité.

On pourrait alors parler de «solidarité active». On nous propose exactement la voie inverse, en appelant ceux qui sont déjà à temps plein, parfois trop plein, à «travailler plus», et en subventionnant tous azimuts les petits boulots précaires et le sous-emploi, c’est-à-dire le «travailler très peu».

Jean GADREY, économiste et professeur à l’université de Lille, pour L'Humanité

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Mis à jour ( Dimanche, 23 Décembre 2007 20:35 )  

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