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Chômage : les oubliés des statistiques

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Une large part des personnes sans travail restent hors statistiques, estime L'Expansion.

Saint-Dizier, Haute-Marne, 28 février 2007. Pour les «FBMA», comme ils s'appellent, il n'y a plus rien à faire. A la Fonderie Bragarde de Machinisme Agricole, le plan social vient d'être validé : ils sont 41 sur le carreau. Ouvriers, chefs d'équipe, la plupart se sont usés dans cette usine pendant une trentaine d'années à fabriquer des pièces détachées pour engins agricoles. Leur reclassement s'annonce d'autant plus ardu qu'ici, l'industrie va mal... Alors, le chômage pour horizon ? Officiellement non. Presque aucun de ces licenciés économiques n'est en effet venu gonfler les chiffres des demandeurs d'emploi. Miracle ? Non, illusion statistique. Certains sont en préretraite, les autres bénéficient d'un congé de conversion. Pendant cette période, ils ne sont pas tenus de s'inscrire à l'ANPE, qui ne les comptabilise donc pas.

Ils n'apparaissent pas non plus dans le chômage mesuré par l'INSEE, qui recense «les personnes disponibles et cherchant activement un emploi», selon la définition stricte du BIT (Bureau international du travail). Exit, donc, les chômeurs découragés dans leur recherche, en formation ou en attente d'en trouver une pour se reconvertir, comme la plupart des FBMA... Ceux-là, pour l'INSEE, ne sont pas des demandeurs d'emploi à part entière. Ils forment ce que les statisticiens appellent «le halo autour du chômage».

Jusqu'ici, ils étaient les grands oubliés des statistiques. Mais les polémiques qui font rage depuis un an autour des données hypersensibles du chômage ont eu au moins ce mérite : pousser l'INSEE à compléter ses indicateurs. A la mi-décembre, pour la première fois, ces 754.000 demandeurs d'emploi ont donc été sortis de l'ombre, venant s'ajouter aux 2,2 millions de chômeurs «officiels».
Ceux que l'on comptabilise, et les autres...

2.203.000 chômeurs au sens du BIT : Personnes qui ne travaillent pas, sont disponibles dans les deux semaines et recherchent activement un emploi (3e trimestre 2007)

754.000 chômeurs indisponibles ou découragés : Personnes non disponibles dans les deux semaines ou qui ne recherchent pas activement un emploi (3e trimestre 2007)

395.400 Dispensés de recherche d'emploi : Personnes inscrites à l'ANPE et non tenues de rechercher un emploi en raison de leur âge (fin octobre 2007)

1.277.750 Temps partiel subi : Personnes travaillant à temps partiel et souhaitant travailler plus (3e trimestre 2007) *

1.942.600 chômeurs officiels dans la principale catégorie de l'ANPE (fin octobre 2007)

715.838 Contrats aidés : Personnes sous contrat d'aide à l'emploi dans les secteurs marchands et non marchands (septembre 2007)

128.123 Préretraités : Personnes ayant bénéficié d'un dispositif de préretraite financé en partie ou en totalité par l'Etat (fin 2005)

Sources : INSEE, DARES, ANPE
* Sous-emploi hors contrats aidés, calculs de L'Expansion

Total : plus de 5,4 millions

Au chiffre correspondant à la définition du BIT publié par l'INSEE (qui recense également désormais les chômeurs découragés ou indisponibles et le temps partiel subi), il faut ajouter les préretraités, les personnes dispensées de recherche d'emploi et celles en contrat aidé. Sans oublier deux catégories non dénombrées : les précaires et les bénéficiaires d'une préretraite privée.

Est-ce suffisant pour clore le débat sur le nombre réel de personnes privées d'emploi et sur la véritable évolution du marché du travail ? Pas vraiment. La photo de la situation de l'emploi est peut-être plus nette, mais des zones de flou demeurent...

Premier problème : la confusion entretenue entre les données de l'INSEE et celles de l'ANPE. Principale responsable : Christine Lagarde. Fin septembre, l'Inspection générale des finances affirmait que les statistiques de l'agence ne pouvaient plus servir de baromètre officiel du chômage. Pourtant, fin novembre, la ministre s'est encore une fois précipitée sur la livraison mensuelle de l'ANPE. Prétextant une baisse du nombre d'inscrits dans la «catégorie 1» (- 29.000 sur 1,9 million de personnes), qui recense les personnes cherchant un CDI à temps plein, la patronne de Bercy s'est félicitée de la «bonne orientation du marché du travail». Seul hic : il est désormais établi que les mouvements de yo-yo de cet indicateur reflètent surtout… l'évolution des règles de gestion de l'agence. Exemple : entre fin 2004 et fin 2006, diverses mesures (dont la mise en place d'entretiens mensuels) ont fait artificiellement disparaître de 110.000 à 150.000 personnes des fichiers.

«N'oublions pas non plus qu'il y a au total 4,5 millions de demandeurs d'emploi sur les listes de l'ANPE, sans compter les chômeurs qui ne s'inscrivent pas. Se focaliser sur une seule catégorie n'a pas de sens», martèle l'économiste Pierre Concialdi. Mieux vaut donc se fier aux chiffres de l'INSEE… tout en gardant à l'esprit qu'ils ne sont pas parfaits non plus. Non que nos statisticiens puissent être soupçonnés de bidouillages. Mais, premier souci, leur instrument de mesure, une enquête auprès de 75.000 personnes, est imprécis. Dans tous les grands pays européens, cet «échantillon représentatif» est deux fois plus important. Résultat : le taux de chômage est estimé à plus ou moins 0,4 point - quand il est affiché à 7,9%, il faut comprendre qu'il se situe quelque part entre 7,5 et 8,3%. Sylvie Lagarde, chef du département emploi et revenus d'activité, se veut toutefois rassurante : «D'ici à 2011, nous doublerons l'échantillon afin de réduire la marge d'erreur.»
Autre difficulté, l'INSEE a restreint sa définition du chômage : conformément à une règle européenne, le fait d'être inscrit à l'ANPE n'est plus considéré comme une «démarche active de recherche d'emploi». Environ 190.000 personnes ont donc été sorties des statistiques du chômage «au sens du BIT». Chiffre auquel il faut ajouter les demandeurs d'emploi vivant dans les foyers, les hôpitaux ou les prisons, qui n'entrent plus (provisoirement, assure l'INSEE) dans le champ de l'enquête...

Sans ces changements, le taux de chômage serait aujourd'hui de 8,9% (soit 2,4 millions de personnes) au lieu de 7,9%. «Ces restrictions rendaient d'autant plus nécessaires la publication d'un indicateur sur le halo autour du chômage», relevait récemment l'inspecteur des finances Jean-Baptiste de Foucauld. Mais il faudra aller plus loin. C'est justement l'objectif d'un groupe de travail présidé par cet expert, qui fera des propositions au printemps. Et il y a de quoi faire ! Pour des raisons diverses, les chômeurs «dispensés de recherche d'emploi», comme Patrice Duprat, les préretraités et les personnes en contrat aidé, comme Christine, n'apparaissent toujours pas dans les statistiques de l'INSEE. «Plus ennuyeux encore, la précarité, le sous-emploi ou le déclassement professionnel restent très mal évalués», souligne Pierre Concialdi.

Certes, l'INSEE publie désormais tous les trois mois un indicateur du sous-emploi, mais il dénombre uniquement «les personnes à temps partiel souhaitant travailler plus». Un peu court, selon certains : «Il arrive que des gens ne veuillent pas travailler plus car ils ne le peuvent pas, faute de moyens de transport ou de solution pour garder leur enfant», remarque Jacques Freyssinet, le président du conseil scientifique du Centre d'études de l'emploi.
Ce chiffre ne dit rien non plus de tous ceux qui travaillent à temps complet, mais seulement quelques semaines ou quelques mois par an, en intérim ou en contrat à durée déterminée. «Selon leur situation au moment de l'enquête emploi, ils sont comptés soit comme chômeurs, soit comme travailleurs», reconnaît Sylvie Lagarde. Ce qui, dans ce dernier cas, ne reflète en rien leurs difficultés. Fabrice, ingénieur assistant dans un organisme public de recherche, peut en témoigner. Depuis la fin de ses études, en 2003, il rêve d'un CDI mais alterne contrats précaires et chômage. «Au lieu d'être titularisé, comme je l'espérais, mon CDD a été renouvelé, et pour une durée plus courte que prévu», soupire-t-il.

Les statisticiens n'ont qu'une certitude : le «vrai» chiffre du chômage n'existe pas. Entre la définition la plus restrictive et la plus large, le nombre de privés d'emploi varie aujourd'hui de 2,2 à près de 6 millions... Un casse-tête, mais qui a le mérite de refléter la réalité du marché du travail un peu mieux que la mauvaise caricature offerte par le sacro-saint chiffre mensuel du chômage.

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Mis à jour ( Lundi, 14 Janvier 2008 14:51 )  

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