Par ordre d’entrée en scène, d'abord Christine Lagarde. La ministre de l'Economie et de l'Emploi a annoncé mardi que 600 millions d'euros seraient mobilisés dès le début février pour relancer l'emploi des seniors, et que des mesures "incitatives" devraient permettre aux quinquas (et plus) au chômage de retrouver plus facilement un travail.
Le site de son ministère annonce effectivement : «En 2008, le plan d’action concerté pour l’emploi des seniors est poursuivi et renforcé.» Trois axes sont décrits :
1) Taxation des cessations anticipées d’activité «afin de renforcer le maintien dans l’emploi des seniors» ;
2) Reprise de la communication gouvernementale sur l’emploi des seniors, essentiellement à destination des entreprises : chroniques radio, insertion dans la presse professionnelle…
3) Renforcement de «l’offre de service du service public de l’emploi à destination des seniors» (triplement du nombre de seniors bénéficiaires du contrat initiative emploi, élargissement à certains seniors de l’accompagnement réalisé dans le cadre du contrat de transition professionnelle dans 7 bassins d’emploi).
Ceux qui attendaient un plus large déploiement de mesures (incitatives ou coercitives) impliquant les employeurs en seront pour leur frais ! Existe-t-il seulement des échanges de vues entre Madame la Ministre et les syndicats patronaux ? Nous ne le saurons pas.
Mercredi est venu le tour de Jacques Attali, qui présentait le rapport de la «Commission pour la libération de la croissance française». Nicolas Sarkozy s’est, à cette occasion, montré très intéressé par la partie traitant de l’emploi des seniors ; il a même témoigné d’une volonté de lutter contre leur exclusion avec une détermination qu’on ne lui connaissait pas sur ce sujet…
Quelles sont donc ces recommandations si enthousiasmantes ? Au plan du diagnostic, la commission Attali semble vouloir poser le problème à son juste niveau («Les jeunes, les femmes, les seniors trouvent particulièrement mal leur place dans l’économie», «La France doit mieux gérer l’ensemble de ses ressources humaines, en particulier les laissés-pour-compte d’aujourd’hui : les jeunes et les seniors»). Or, passant au constat chiffré, on découvre qu’elle a choisi un indicateur qui se voudrait alarmiste alors qu’il est loin d’être le plus inquiétant : «Le taux d’activité des personnes de plus de 55 ans en France est le plus faible de tous les pays de l’OCDE : ainsi, en 2003, le taux d’activité des 55-59 ans s’élève à 54%.» Certes, 54%, c’est peu ; mais le taux d’emploi des plus de 50 ans est bien pire encore : 37% à peine ! Considérer le taux d’activité (qui regroupe les salariés et les non-salariés), c’est choisir délibérément de minimiser la gravité de la situation !
Au plan des recommandations (que la commission nomme «décisions» avec beaucoup de… volontarisme), on ne trouve hélas rien de bien nouveau :
1) «Permettre à chacun de retarder, s’il le désire, son départ à la retraite» ;
2) «Lever toutes les interdictions de cumul emploi-retraite» ;
3) «Limiter la possibilité de recours aux dispositifs de préretraite aux seules restructurations économiques»…
Jusque-là, la commission développe donc un hors-sujet complet par rapport au chômage des seniors.
Quelques propositions existent toutefois, plus en rapport avec le sujet (mais pourquoi diantre ont-elles été regroupées dans la "décision 133" sur le départ à la retraite ?) :
• «Réduire le coût du travail des seniors en abaissant de 65 à 55 l’âge au-delà duquel l’entreprise et le salarié sont exonérés de cotisation d’assurance chômage et en favorisant une flexibilité accrue dans la gestion des rémunérations» (mais que signifie «flexibilité accrue» ?)
• «Inciter les entreprises à équilibrer les montants consacrés à la formation sur l’ensemble des tranches d’âges»
• «Structurer et renforcer les services dédiés aux 55-65 ans au sein des structures publiques de placement (type ANPE ou APEC), afin de faciliter la recherche d’emplois pour les seniors et de promouvoir leur valeur ajoutée»
• «Favoriser les initiatives d’acteurs privés, d’agences d’intérim, cabinets de recrutement ou d’associations visant à mettre en relation seniors et employeurs»
• «Aider les seniors à créer des entreprises et à s’insérer dans associations et les ONG qui peuvent bénéficier massivement leurs compétences»
• «Investir les régions d’une responsabilité particulière dans l’application de ces dispositifs»…
Toutes ces récentes (?) propositions sont finalement bien peu innovantes et leur mise en œuvre ne produirait sans doute que peu d’effets. Qu’on n’en soit pas surpris : il n’existera jamais de solutions efficaces à partir d’un diagnostic… bâclé !
Confusion, ou malveillance ?
Difficile d’espérer une amélioration sur le front du chômage des seniors tant que politiques et médias ne sortiront pas des confusions, glissements et autres hors-sujets.
«Un quinquagénaire, c’est jeune !» plaisantait mercredi Nicolas Sarkozy en commentant les propositions de la commission Attali. Bel exemple de hors-sujet : la question n’est pas, en effet, d’entretenir l’idée d’une quelconque jeunesse – n’en déplaise au Président, quinquagénaire lui-même. Les salariés expérimentés ne sont pas plus jeunes qu’ils ne sont «vieux» : ils sont expérimentés, point. Avec de la distance, de la sagesse, de la fougue - aussi.
«Aidons les seniors à retrouver un emploi !» déclarent les politiques… «Les seniors devront se résoudre à travailler plus s'ils souhaitent, eux aussi, gagner davantage», traduisent sans vergogne Les Echos ! Qu’elle est lourde, cette tendance - assez récente - qui voudrait inverser les rôles en reprochant aux «seniors» de déserter le monde du travail alors que ce sont les employeurs qui les rejettent !
Presque aussi lourde que celle - beaucoup plus ancienne - qui assimile les «dispensés de recherche d’emploi» à des préretraités (ignorant totalement que les conditions de ressources sont radicalement différentes). Les Echos, dans le même article, vont même jusqu’à voir dans l’annonce de Mme Lagarde une volonté d’«inciter les chômeurs de plus de 50 ans à retrouver un travail malgré la dispense qui leur est faite, à partir de 55 ou 57,5 ans, de rechercher un emploi».
Quand prendra-t-on la vraie mesure de l’exclusion des seniors ?
Pour – simplement – VOIR l’exclusion qui frappe ceux qu’on nomme «seniors» (première ambigüité, dès le titre !), il suffit de s’en donner les moyens. Des moyens trop rares bien que, pourtant, gratuits : ceux de l’ouverture d’esprit et de l’honnêteté intellectuelle.
L’ouverture d’esprit consisterait d’abord à se saisir du sujet dans sa globalité ; par exemple, qui se soucie de la dimension psychologique dans les motivations - les réflexes ? - des employeurs ? Autre exemple : accepter de mettre à plat une par une les raisons invoquées par les employeurs pour rejeter les seniors.
L’ouverture d’esprit, ce pourrait être de regarder cette situation autrement qu’à travers le prisme - réducteur - du régime de retraite ; autrement qu’en se tournant toujours du côté des chômeurs, démarche forcément faussée, quelle qu’en puisse être l’intention. Demander enfin clairement aux employeurs : «Voici où nous en sommes au niveau national ; concrètement, dans votre entreprise, où en êtes-vous et que faites vous ?»
L’honnêteté intellectuelle, se serait d’accepter de regarder les choses en face. Par exemple, on sait par de trop nombreux témoignages que l’exclusion frappe dès la quarantaine. Or, pour éviter de constater que la fièvre est trop forte, on s’obstine à utiliser le mauvais thermomètre : les statistiques de l’emploi ne concernent que les tranches «moins de 25 ans», «25-49 ans» et «plus de 50 ans». Pas de risque, dans ces conditions, de s’inquiéter de ce qu’on ne mesure pas pour les quadragénaires !
L’honnêteté intellectuelle, se serait aussi de refuser les mensonges. Lorsqu’on parle de recourir à l’immigration pour pallier un prétendu manque de main d’œuvre, on insulte les centaines de milliers de travailleurs expérimentés, mais dont les employeurs ne veulent plus. Comment accepter de voir dans un JT un chef d’entreprise du secteur de l’informatique se plaindre de ne pas trouver de candidats «malgré la meilleure bonne volonté» alors que tous les salariés qui l’entourent ne dépassent pas la - petite - trentaine ?
Gérard PLUMIER, auteur de L'Abécédaire de l'indifférence (toujours - hélas - d'actualité !)
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