Pour une raison encore inconnue à l'heure où s'élabore une "réforme du service public de l'emploi" ayant pour objectif un taux de chômage à 5% [1], le CAS s'est penché sur ces gens que l'on qualifie poliment d’"éloignés de l'emploi" ou même d’"exclus" : chômeurs de longue ou de très longue durée, RMIstes et autres minima sociaux qui, en fonction de leur situation personnelle ou de leur parcours professionnel, restent coincés en marge du monde du travail. Un monde devenu marché : aussi réducteur que réduit, il n'a bien évidemment pas de place à offrir à des individus qu'il discrimine du fait de leurs profils (âge, expérience, qualification, diplômes…) ou de leurs conditions de vie (handicapés, parents isolés…). D'où ces "difficultés structurelles" pudiquement évoquées à leur endroit.
Pour tenter de les quantifier, le CAS s'est appuyé sur deux sources statistiques : l'enquête communautaire sur les forces de travail au sens du Bureau international du travail (BIT) et différentes données administratives (ANPE, CAF…). Son étude en a délimité trois niveaux.
1 à 3,5 millions de "cas désespérés" ?
Le premier comprend les demandeurs d'emploi inscrits à l'ANPE et les bénéficiaires du RMI inscrits dans le dispositif depuis plus de deux ans : en fin de mois, ils forment un "noyau dur" de 1 à 1,4 million de personnes - soit 4% à 5,6% de la population en âge de travailler.
Toujours en fin de mois et élargi aux demandeurs d'emploi inscrits à l'ANPE ainsi qu'aux bénéficiaires du RMI inscrits depuis plus d'un an, le deuxième niveau monte à 2,3 millions de personnes. Elargi à l'ensemble des cinq catégories administratives recensant les personnes considérées comme "en difficulté", le troisième niveau s'élève à 3,5 millions d'individus. Soit plus de 13% de la population active. Les sources statistiques du CAS étant ce qu'elles sont, comme pour les chiffres du chômage, il est à parier que ce résultat est sous-évalué.
A "difficultés structurelles", chômage structurel
Bien que «le chômage baisse», il n'y a toujours pas assez d'emplois décents pour tous : cette poche de grande exclusion en atteste. Rappelons aussi qu'après le "retournement conjoncturel 2001-2003" qui a piégé durablement un bon nombre de chômeurs, la création d'emplois a timidement repris en 2004 et qu'à ce jour, malgré l'enthousiasme gouvernemental, elle demeure insuffisante et se compose à 80% de jobs précaires.
Longuement recalés par des employeurs de plus en plus exigeants qui n'ont que l'embarras du choix et lorgnent vers des moutons à cinq pattes qu'ils vont rémunérer au Smic, la plupart de ces individus, considérés comme "inemployables" et découragés à force d'être rejetés, croupissent dans la misère : leur nombre est, d'ailleurs, à rapprocher des 12% de personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Outre les "inadéquations" que les employeurs leur trouvent, leur niveau de vie ne leur permet plus de rester compétitifs dans leur recherche. Et, bien que l'assurance-chômage n'utilise que la moitié de son budget, on ne leur propose aucune formation revalorisante : les 7% de chômeurs qui réussissent à en décrocher une font partie des mieux lotis (diplômes, âge, indemnisation).
Alors, que faire de ces millions d'actifs mis au rebut ? Faudra-t-il les euthanasier d'ici 2012 ?
[1] Vanté comme un "retour au plein emploi", le taux de 5% semble visiblement incompressible. Mais ce qui est inquiétant, c'est que le nombre d'inscrits à l'ANPE est supérieur à 4,3 millions alors que nos 8% de chômeurs officiels ne sont que 1,9 million... Comment le gouvernement compte-t-il s'y prendre ? Adepte du modèle britannique, finira-t-il par copier sur le Royaume-Uni où 2,5 millions de personnes, considérées comme "invalides" et escamotées des statistiques du chômage, perçoivent au final une "allocation d'incapacité" au travail ?
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Commentaires
« Il y a cent quarante ans, la province était ravagée par un mal subtil et insaisissable. Le travail semblait manquer de toutes parts. Sur dix hommes valides, il en était toujours un ou deux qui, bien que cherchant à se faire employer, n’y parvenaient point. Le découragement était général.
Fort préoccupé par la chose, le gouverneur de Laputa décida d’y mettre terme. Après longue réflexion, il ordonna que soit puni de mort quiconque resterait oisif et sans métier. Mais la sentence, ajoutait bizarrement le gouverneur, ne commencerait d’être exécutée qu’au terme de douze mois (1).
Cet ordre brutal causa, on l’imagine, un très grand émoi. Nombre de gens de qualité pressèrent le gouverneur de reprendre son geste. Le peuple s’agita. Rien n’y fit.
Dans les premiers mois qui suivirent cette décision, et si l’on excepte les mouvements qu’on vient de relater, rien ne se produisit. Comme avant, les propriétaires se séparaient de leurs ouvriers lorsque l’ouvrage manquait, et les maîtres de leurs domestiques, quand ils en étaient fâchés. Et ceux qui avaient ainsi reçu leur congé s’efforçaient, par leurs propres moyens, de retrouver une situation.
Toutefois, aux approches des jours où devaient tomber les premières victimes de cette ordonnance monstrueuse, un mouvement se fit qui gagna bientôt l’île tout entière. Saisis par la crainte de voir ces malheureux subir un sort aussi injuste, ceux qui, dans un premier geste, voulaient se séparer d’un employé, retenaient leur passion et remettaient à plus tard. Et chacun s’animait d’un esprit entreprenant pour ceux qui restaient sans travail. Celui-ci proposait chez lui la garde d’une mère impotente. Tel autre affirmait que son moulin pouvait occuper une personne de plus. Tel autre encore suggérait de partager, tout ensemble, son travail d’artisan et le profit qu’il en pouvait tirer. Ainsi, déclarait-il, on travaillera plus et nous gagnerons plus. Si bien qu’aux douze mois écoulés, ainsi qu’à chaque mois qui suivit, le gouverneur ne trouva nul motif de mettre son ordonnance à exécution. »
(1) Justement, de nos jours, c'est à partir de 12 mois que l'on devient «chômeur de longue durée». Et à partir de 24 mois, on est «chômeur de très longue durée».
Explication de texte. Le "Voyage à Laputa" décrit un monde où les hommes perdent tout sens commun. Ce chapitre épingle notamment les "brillants" scientifiques - comparables à nos actuels technocrates, économistes ou politiques… - qui veulent faire "profiter" (contre leur gré s'il le faut) les peuples de leurs grandes innovations/idées sans voir que, bien souvent, elles conduisent à la ruine. Visionnaire, Jonathan Swift brossait là une satire du monde moderne.
Notons que l'auteur utilise les termes "victimes" ou "malheureux" pour parler de ces exclus sacrifiés et non les mots "assistés", "profiteurs", "fainéants" ou "déresponsabilis és" dont nous abreuvent certains, surtout à droite. L'auteur nous rappelle aussi que ces élans de solidarité dont nous sommes capables nous distinguent de l'animal.
C'est du bon sens : pour éradiquer le chômage, il faut créer des emplois ; tout le reste n'est que poudre aux yeux. Le texte de Swift démontre que la cause essentielle du chômage est liée à l'irresponsabilit é (l'égoïsme, la pingrerie ?) des employeurs, dont le rôle est aussi de participer à la cohésion sociale en faisant l'effort de fournir du travail. "Ainsi, on travaillera plus et nous gagnerons plus"…
Mais ce n'est pas demain la veille que ceux-ci s'inquièteront du sort de leurs salariés et s'arrêteront de licencier. Ce n'est pas demain la veille qu'ils cesseront de discriminer à l'embauche, de déclasser, de sous-payer ou de précariser les chômeurs qu'ils daignent recruter. Ce n'est pas demain la veille que les actionnaires accepteront de renoncer à une partie de leurs dividendes pour investir dans l'emploi au lieu de s'enrichir en le détruisant. Ce n'est pas demain la veille que, faute d'emplois pour tout le monde, le contrôle des chômeurs viendra à bout du chômage.
Et si, de nos jours, les chômeurs de longue durée ne sont pas tous voués à une mort effective, ils sont bel et bien voués à une lente mort sociale qui est physiquement invisible, donc "tolérable". Répondre | Répondre avec citation |
En premier lieu, cette enquête montrait que les RMIstes sont totalement insérés dans la vie civique, 87% ayant l'intention d'aller voter aux municipales malgré une forte défiance envers les politiques.
Ensuite, pour 39% d'entre eux, l'absence de proposition d'emploi est considérée comme l'obstacle majeur au retour à l'activité tandis que 15% travaillent, mais pas suffisamment pour sortir du RMI (contrats aidés). Seulement 10% ont un emploi et estiment qu'il va leur permettre d'en sortir bientôt, ce qui est peu.
Loin de l'idée reçue du RMIste refusant l'offre de travail ou "difficile à insérer", ce sondage montre que seuls 9% d'entre eux "ne pensent pas qu'ils retravailleront un jour", et 21% qu'ils ont "de nombreux problèmes à régler" avant de pouvoir travailler (logement, situation familiale, santé, etc…).
Interrogés sur les "freins" à l'emploi, 32% des RMIstes qui ne travaillent pas répondent qu'on ne leur propose rien, 27% que les emplois proposés ne leur conviennent pas (horaires, qualification…) . Viennent ensuite les problèmes de santé (8%), d'âge (6%) et seulement ensuite les problèmes de distance (moyens de transport), de handicap, ou les candidatures non retenues.
Ce sondage a été réalisé du 29 novembre au 5 décembre 2007 auprès d'un échantillon de 1.000 bénéficiaires du RMI représentatif de la population de l'ensemble des bénéficiaires du RMI depuis au moins un an. Répondre | Répondre avec citation |
35.700 formations ont été prescrites par l'ANPE à des allocataires du RMI en 2006 contre 41.000 en 2005, soit une baisse de 13%.
Ils en ont pourtant besoin : seuls 56% des RMIstes inscrits à l'ANPE (32% du total, soit environ 400.000 personnes) sont qualifiés, contre 73% des autres demandeurs d'emploi. Ce sont toujours les plus éloignés de l'emploi qui font les frais de politiques mal embouchées. Répondre | Répondre avec citation |