Le Conseil économique et social évoquait 800.000 stages en 2005. Nous devrions aujourd'hui être proche du million. Le Medef parlait, lui, de 15 millions de semaines travaillées par an, soit l'équivalent temps plein de 310.000 emplois.
Ami salarié, ne t'inquiète pas : le gouvernement pense aussi à toi car, en rendant obligatoires les stages à l'université, c'est environ 1,2 million d'étudiants et de jeunes actifs qui seront en compétition avec toi pour moins du tiers de ton salaire !!! Voilà la nouvelle forme de la «rupture» : la consécration du dumping social au sein même de son pays... C'est tout de même plus simple que d'aller en Europe de l'Est !
Ce qui est sûr, c'est que mon patron n'a pas attendu nos ministres pour adopter ce raisonnement. Lundi dernier, en discutant en réunion des effectifs nécessaires sur mon chantier, nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait embaucher un secrétaire technique «Qualité sécurité environnement» (QSE) à plein-temps en CDD de 6 mois. Je cite sa réaction : «On pourrait prendre un stagiaire pour faire le QSE, ça va être la saison des Travaux de fin d'étude (TFE)». Avec 300 € brut par mois contre 1.300 € brut par mois pour un salarié qualifié, l'obligation de résultats tue la conscience. Mais mon patron et le secteur du BTP ne sont pas les seuls à abuser, loin de là.
Des soldes toute l'année
Savez vous que, rien que pour le Festival d'Avignon, près d'un millier de stagiaires travaillent gratuitement plusieurs mois chaque année dans les myriades d'associations, entreprises, administrations qui gravitent autour ? Sur un CV, ça vaut de l'or : alors pourquoi ne pas manger un peu de pain sec pendant quelques mois ? Mais, Cathy pourra en témoigner, après plusieurs années de ce travail saisonnier déguisé, on commence à avoir faim d'un Smic ! De son côté, Nicolas s'était vu promettre un stage de consultant marketing à 300 € la journée. Il a bien touché cette somme, mais pour un mois complet de travail, sans encadrement pédagogique. Il est parti, d'autres stagiaires l'ont remplacé... Dans la boîte de droit où travaille Nathan, forte de 300 employés, il y a 120 stagiaires. Dans son seul service, il y avait 58 stagiaires pour 48 salariés : 58 étudiants avec un niveau de qualification de bac +2 à +5 pour le prix de quinze Smic. Et devinez combien il y a eu d'embauches la même année dans ce service ? Zéro.
Prenons, pour finir, l'exemple d'une grosse entreprise «stagiophage» comme la célèbre Société Générale (puisqu'il faut bien commencer quelque part mais le tour viendra des Total, BNP, Renault, PSA et Cie). D'après son "bilan social" 2006, la Société Générale a accueilli, en 2005, 13.112 stagiaires - sur 38.000 salariés - et embauché seulement 1.500 CDI de moins de 25 ans. Phénomène qui va croissant en 2006 et 2007. La Société Générale forme-t-elle chaque année plus de 11.500 stagiaires par pure charité chrétienne ? N'assistons-nous pas plutôt à une nouvelle conscription, économique cette fois, de notre jeunesse pour la guerre du bénéfice ?
Des propositions indécentes
Face à ces réalités, l'indécence des propositions du Comité des stages sur l'application de la loi de 2006 sur l'égalité des chances semble sans bornes :
• Indécence d'une rémunération à 29,6% du Smic, inférieure au RMI et deux fois plus faible que le seuil de pauvreté, quand nous demandons une rémunération minimale de 50% du Smic, progressive jusqu'à 120% du Smic en fonction de la durée du stage et du niveau d'étude.
• Indécence d'un travail sans cotisations, sans congés, sans défense syndicale ni juridique, sans Code du travail, et sans limitation de durée…
• Indécence, enfin, quand ces maigres propositions ne s'appliquent pas aux stages de moins de 3 mois alors même que toutes les formations vont multiplier les obligations de stages courts en licence.
• Quid de l'encadrement ? Du quota maximum de stagiaire dans une entreprise ? De l'inscription au Registre unique du personnel (RUP) ? De l'interdiction des stages de plus de 6 mois ? Bref, quid des propositions portées par Génération Précaire depuis deux ans, et soutenues par l'ensemble des syndicats salariés et étudiants et associations de parents d'élève ?
Ami salarié, entends-nous ! Car notre génération est précaire : nous sommes moins chers, plus jeunes, sans droits, disponibles presque dix ans et jetables une fois utilisés. Et nous ne cotisons toujours pas pour TA retraite… N'oublie pas, cher aîné, que ton destin est lié au nôtre et que notre faim risque de provoquer la tienne.
(Source : Résistance Inventerre)
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