La meilleure défense, c'est l'attaque. Sentant une indignation peu coutumière monter sur ce projet alors qu'il y a six mois le discours anti-chômeurs serait passé comme une lettre à la poste, le nouveau secrétaire d'Etat se veut virulent. En bon petit soldat, il a déclaré mardi sur LCI que le gouvernement «ne lâchera pas» sur les principes de «droits et devoirs» qu'il souhaite mettre en œuvre pour les demandeurs d'emploi : «Sur les modalités, on va en discuter [à partir de jeudi] avec les syndicats, mais sur le principe on ne lâchera pas parce que je pense que c'est une question de justice sur notre politique de l'emploi», a-t-il osé avancer.
Une question de justice ? Voilà un argument qui ne tient pas la route ! «Une bonne politique de l'emploi», c'est d'abord une politique intelligente qui inclut une vision globale de tous ses acteurs, de la main d'œuvre disponible aux pourvoyeurs de postes - donc, les entreprises -, en passant par les intermédiaires : ANPE ou Apec, recruteurs, organismes de formation professionnelle... Or ici, pour faire valoir un projet scélérat qui ne vise qu'à institutionnaliser la dégringolade salariale et la précarisation de l'emploi en écrasant les plus vulnérables, le gouvernement stigmatise ceux qu'on a spoliés de leur travail et qu'il considère comme les seuls grands responsables du phénomène : l’inique à travers l’unique, un parfait laboratoire social où s'expérimentent les coups bas qu'on réserve ensuite au salariat tout entier.
Attardons-nous un instant sur les intermédiaires qui, bien qu'ils servent eux aussi régulièrement de boucs émissaires, font ce qu'ils peuvent avec ce qu'ils ont... L’ANPE est la plus critiquée alors qu'elle n'est qu'un brave poissonnier qui, ayant fort peu de poisson à disposer sur ses étals (surtout du menu fretin), justifie son existence par la distribution de livres de recettes à base… de fruits de mer : appelons-les «suivi personnalisé», «ateliers» et autres «prestations» 100% occupationnelles. Bien que l'ANPE n'a pas le pouvoir de créer les emplois dont on aurait tant besoin pour réduire véritablement le chômage, on l'accuse de la plupart des maux. Elle est impuissante, donc incompétente. Restructuration ou non, on la voit mal être miraculeusement capable de proposer enfin «deux offres raisonnables» à chaque chômeur indemnisé !
Les organismes de formation, eux, sont à la merci des moyens qu'on leur alloue et des directives qu'on leur assigne : on sait qu'en 2007, l'Unedic n'a dépensé que la moitié de son budget et que seuls 5% des chômeurs ont bénéficié de ses «modules», de plus en plus courts et de moins en moins qualifiants. Mettre le paquet sur la formation professionnelle de ceux qui en ont le plus besoin pour rebondir devrait être la priorité de toute «bonne politique de l'emploi» qui se respecte : pourtant, il n'en est rien !
Novice, Laurent Wauquiez semble fermer les yeux sur «l’instabilité chronique» de toutes ces politiques empilées les unes sur les autres depuis des années, et récemment pointées dans un rapport de la commission des Finances de l'Assemblée nationale... A chaque nouveau gouvernement, chacun y va de son nouveau dispositif (comme les chiens dans la rue qui s'évertuent à pisser en dernier sur un poteau pour y laisser leur trace), sans vérifier si ce qui a été fait auparavant fonctionne. Franchement, les chômeurs sont-ils responsables de cette virile gabegie ? Bien sûr que non.
La «justice» voudrait qu'on se penche aussi sur les «devoirs» des entreprises, qui sont à l'autre bout de la chaîne et dont le rôle est primordial, puisque ce sont elles qui fournissent LA MATIÈRE PREMIÈRE. Or, il n'en est rien : elles ont même tous les droits !!! Deux exemples flagrants (entre autres…) :
• Les employeurs n'ont aucune obligation de répondre à toutes les candidatures qu'on leur adresse, alors que le demandeur d'emploi est sommé de fournir toutes ses preuves de recherche «réelle et sérieuse» face à un contrôleur chargé de lui couper les vivres. Le silence méprisant du recruteur n'est sujet à aucun «devoir» ni à aucune indignation quand le chômeur risque, lui, de perdre ses droits (car ce sont des DROITS : il a cotisé pour cela, ne l'oublions pas) !
• Il est rare que les entreprises travaillent à perte : d'ailleurs, même si elles sont bénéficiaires, elles n'hésitent pas à licencier du personnel afin d’«anticiper» sur leur rentabilité. En sont-elles sanctionnées pour autant, bien qu'elles aient pour la plupart bénéficié d'exonérations de cotisations voire d'aides publiques diverses et variées, tandis qu'elles se délestent sans état d'âme du poids de leurs décisions économiques, à la charge de la collectivité ? Or, on veut obliger les privés d'emploi qui, au bout de 6 mois, «tarderaient» à remettre le pied à l'étrier, à subir d'office une perte de salaire de 30% alors que leurs frais fixes, eux, n'ont pas baissé !!! Est-ce justice ?
Est-ce justice quand «le président du pouvoir d'achat» de la République, à peine installé, s'est octroyé une revalorisation de salaire de 172% ? Est-ce justice, alors que les députés bénéficient toujours d'un «régime spécial» qui les couvre 5 ans durant en cas de revers électoral ?
Mais, mais...
... En vérité, le chômage est la solution !
Ne cherchez pas : ce gouvernement - et ceux qui l'ont précédé - ne tient pas à lutter contre le chômage qui est l’ingrédient indispensable à la bonne marche du libéralisme économique.
Grâce à lui, les entreprises peuvent :
• revoir progressivement tous leurs salaires à la baisse (il y a longtemps qu'on s'est aperçus que les nouveaux emplois offrent des rémunérations largement inférieures aux allocations chômage des primo-demandeurs… En cela, le projet du gouvernement consiste à officialiser une réalité/fatalité qui devra être distillée dans l'esprit de tous, comme c'est déjà le cas en Grande-Bretagne),
• imposer des conditions de travail dégradées (grâce à la peur du chômage pour ceux qui sont en poste, ou la promesse d'un hypothétique CDI pour le nouvel arrivant),
• faire monter leurs actions (c'est typique : toute entreprise cotée en bourse et qui annonce un vaste plan social voit son cours grimper allègrement)...
Grâce à lui, les politiques peuvent :
• fragiliser la protection sociale (le déficit de cotisations est une aubaine pour imposer des «réformes» visant à la détruire et à la privatiser en tant que gigantesque manne financière qui échappe à toute spéculation)
• contenir la sacro-sainte inflation : cf le NAIRU, «taux de chômage non accélérateur d'inflation»…
• vanter les résultats de pays voisins où le taux de chômage est bas, mais où le taux de pauvreté défie toute concurrence (lire en commentaire) !
C'est pour ça qu'on lutte contre les chômeurs, pas contre le chômage. C'est pour ça qu'on ménage à ce point les employeurs : les pauvres, ils prennent des risquent tellement «mortels», dixit Laurence Parisot ! Comment peut-on concevoir qu’autant d'entreprises accordent des parachutes plus que dorés à leurs meilleurs «tueurs de coûts salariaux» ? On fait mine de s'en scandaliser mais c'est le but recherché : licencier, licencier, licencier, voilà qui est récompensé !
Le chômage baisse, et il devrait continuer de baisser. La création d'emploi a atteint des sommets en 2007. L'Unedic résorbe son déficit. Alors, pourquoi cette mascarade ??? Car, en vérité, le «plein emploi» est une menace qui rétablirait les rapports de force, ferait monter les salaires et donc l'inflation (le Japon a ce petit souci). Donc, le plein emploi promis par Nicolas Sarkozy ne dépassera pas le stade de la manipulation statistique, de la rétorsion anti-sociale et, ipso facto, de la fausse promesse.
Pour finir, «je rappelle qu'il y a 500.000 emplois non pourvus en France», nous a régurgité le docile Laurent Wauquiez. Outre le doute qui plane sur cette allégation, on peut lui répondre que même si ces 500.000 offres étaient pourvues, y compris à vil prix, il resterait encore 1,5 million de chômeurs officiels - et 3 autres millions de sans emploi officieux - à caser.
Face à cette monstrueuse escroquerie intellectuelle, les syndicats vont-ils s'insurger ? La gauche osera-t-elle peser ? Les chômeurs vont-ils - enfin - se mobiliser ? Nous en sommes à un virage politique assorti de mesures de plus en plus impopulaires, et Nicolas Sarkozy est devenu insupportable à une grande partie de ses électeurs : Ou ça passe, ou ça casse !
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