A savourer ici => Prime de Noël, une inégalité majeure qui n'a pas l’air de choquer
Ainsi, les bénéficiaires de cette prime — allocataires du RMI, de l'API, de l'ASS, de l'AER, de l'AI et de l'ACCRE — sont des «privilégiés», puisque d'autres populations pauvres ayant des revenus approchants mais qui ne rentrent pas dans le cadre de ces prestations, n'y ont pas droit (ce qui est vrai, hélas). En gros, «les enfants des RMistes pourront passer un relativement bon Noël [tandis] que les autres pourront continuer à danser devant le buffet», écrit l'auteure... Un raisonnement à l'emporte-pièce qui ne tient absolument pas compte des réalités puisque cette prime sert, bien souvent, plus à régler des arriérés de factures ou à se racheter une paire de chaussures qu'à s'offrir des futilités. Et de trancher dans le vif sans subtilité aucune : de la même façon qu'on ose verser des allocations familiales sans condition de ressources à des riches (ce qui est vrai aussi), cet intolérable privilège qu'est la prime de Noël des RMIstes, au nom de «l'égalité entre citoyens», doit donc être aboli !
Quand la pauvreté se met à envier la misère
Un discours populiste et simpliste, bien implanté parmi les Français qui préfèrent râler en succombant à la facilité, tant il est plus simple de jeter la pierre aux plus démunis, accusés de profiter de leur situation et de «défendre leur bout de gras» (rétorque l'auteure en commentaire), que d'avoir le courage de se battre pour défendre leurs acquis et leurs droits chaque jour rognés (on rappelle que la prime de Noël a été obtenue par des luttes de chômeurs en 1997) et, surtout, de songer à dénoncer les vrais privilèges dont bénéficient, en toute discrétion, les classes très aisées.
La députée Martine Billard résumait fort bien cet état d'esprit quand elle disait : «Dans les cités, celui qui se lève à 5 heures du matin pour gagner son Smic observe la famille RMIste voisine, et la pauvreté se met à envier la misère. La caissière qui fait tous les jours le trajet en RER banlieue-Paris, lorsqu'elle est fatiguée, jalouse la femme seule qui touche un minima social. Les tensions liées au travail peuvent dresser les catégories les unes contre les autres».
«Aurons-nous une chance que vous évoquiez cette égalité de traitement qui consisterait à dénoncer sans faille que les richesses (le gâteau, pas les miettes) sont accaparées par un petit nombre de gens qui ne tiennent pas à les partager, ou votre égalité est à minima et ne consiste seulement qu'à jalouser le voisin qui a eu une poignée de miettes un peu plus grosses ?» s'interroge à juste titre un commentateur. «Battons-nous pour les miettes et amusons les riches qui, eux, ne se voient jamais reprocher de s'accaparer tout le gâteau», ironise-t-il.
Qui s'accapare le gâteau ?
L'auteure passe totalement à côté des deux points cruciaux qui génèrent de la pauvreté dans nos pays riches : la dégradation de l'emploi et la mauvaise répartition des richesses. Si elle ne semble pas remettre en question le chômage de masse qui exclut des millions de personnes du marché du travail et les maintient dans la précarité et la pauvreté, elle ignore que la répartition des richesses s'est considérablement dégradée à cause de deux facteurs : le déséquilibre croissant entre les revenus du travail et ceux du capital, et une injustice fiscale sciemment entretenue par la droite.
Entre 1980 en 2006, la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée des entreprises est tombée de 67% à 57% en moyenne dans les quinze pays les plus riches de l’OCDE. Une chute de 10 points mesurée en France, en Allemagne, en Italie, au Japon, en Finlande, en Grèce, aux Pays-Bas, en Espagne et en Suède, un peu moindre en Autriche et en Belgique. Dix points de PIB, cela représente en France 160 milliards d’€ issus des salaires et de la protection sociale (santé, famille, chômage, retraite), qui ont été siphonnés par le grand Capital. Voilà où est passé notre «pouvoir d'achat».
Quant à notre système fiscal, il a fait l'objet de dérives et de réformes bénéficiant nettement aux classes aisées. L'Observatoire des Inégalités a mesuré qu'actuellement, «les 100 contribuables qui gagnent le plus obtiennent une diminution d'impôt supérieure à 1 million d'euros». Ainsi, les niches fiscales ont privé l'Etat de 73 milliards d’€ de recettes en 2007, et la dernière réforme du barème de l'impôt sur le revenu a fait croître le nombre de contribuables très riches et… non-imposables : en 2007, on comptait 7.076 foyers ayant déclaré plus de 97.500 € de revenus mais qui n'ont pas payé le moindre centime au fisc (ils étaient 3.500 en 2005, 5.100 en 2006…). Sans oublier le nouveau «bouclier», qui protège les nantis de la solidarité nationale en leur permettant de ne pas être taxés au-delà de 50% de leurs revenus, alors que le taux de prélèvement global des Smicards, lui, est supérieur à 50%... Une véritable «égalité entre citoyens» ne se conçoit pas d'abord sans équité fiscale.
Diviser pour mieux régner
Enfin, l'auteure oublie que si le Smic, conformément à la loi, a été revalorisé de 2,3% en mai puis de 0,9% en juillet à cause de l'inflation, les minima sociaux sont restés toute l'année sur une misérable augmentation annuelle de 1,6% au 1er janvier 2008. En revalorisant «exceptionnellement» la prime de Noël afin de «compenser le retard» sur l'inflation, Nicolas Sarkozy joue double jeu : il achète avec des miettes (380 petits millions…) un semblant de paix sociale et, annonçant en grande pompe ce geste faussement généreux envers «les plus démunis», il en profite pour semer la division entre les Français les plus ignorants, qui considèrent cette «faveur» comme illégitime.
Nicolas Sarkozy a été élu sur le thème de la «rupture», un mot qui signifie d'une part «casse sociale» et, d'autre part, «zizanie». Surfant sur la bêtise ordinaire, il a réussi à liguer les Smicards contre les RMIstes, les salariés contre les chômeurs, les vieux contre les jeunes, les Français contre les «étrangers»... 53% des votants sont ainsi tombés dans le panneau. Et ça continue : l'article ci-dessus déniché (et qui n'en est même pas un) reflète bien la mesquinerie dans laquelle se vautrent toujours certains de nos concitoyens. «Lorsque le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt.» (Confucius)
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