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Les employeurs et la délation

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Chez Planet Sushi, on encourage les passants et les automobilistes à dénoncer la mauvaise conduite de leurs livreurs. Il s'agit, paraît-il, d'une «démarche citoyenne»...

Des livreurs confrontés en permanence aux dangers de la circulation, déjà sous pression (course au timing… et aux pourboires, car payés au lance-pierre et sans prime de risque). A l'arrière de leurs véhicules, cette pancarte :

sushiPeut-être inspirée par l'élection de Nicolas Sarkozy, la mesure a été initiée en 2007 : voir explications sur le site du groupe, qui s'en félicite.

Le blogueur Philippe Sage, ayant aperçu samedi l'un de ces scooters à un carrefour, en a bondi d'indignation => LIRE SON BILLET ICI...

Outre les filmer jusque dans les toilettes, certains employeurs n'hésitent pas à confier la surveillance de leurs salariés aux simples quidams. «Ainsi donc, voilà le monde dans lequel nous vivons ou — s’il n’est pas trop tard — l’on nous invite à vivre», déplore Philippe Sage à juste titre. Le concept du "bourreau victime" fait florès, au sein de l'entreprise comme dans ses méthodes de recrutement [1], et jusque dans la rue !

Les incitations à la délation, de triste mémoire, se répandent dans le monde du travail. On appelle cela de la dénonciation, voire de l’"alerte professionnelle" [2], qu'elle soit anonyme ou pas. Dernier exemple en date : l'entreprise Benoist-Girard, filiale du groupe américain Stryker qui vient d'être sanctionnée par le TGI de Caen (à noter que son système de "surveillance" via Internet avait été approuvé par la CNIL !). Mais sous couvert de principes moraux — ici, la lutte contre la corruption —, on en profite pour élargir le contrôle à des visées nettement moins louables.

Délation, ou civisme ?

Par curiosité, nous avons appelé le 01 42 04 05 87, qui est en fait le numéro du siège de Planet Sushi, sis à Puteaux (92). A l'instar de feue l'Assedic, il faut taper 1, taper 2, taper 3 etc… pour obtenir un correspondant. Comme personne ne répondait au service "exploitation" — c'est le cas de le dire, ha-ha —, j'ai tapé 4 pour obtenir le service communication où l'on m'a passé un responsable. Un jeune homme très aimable qui m'a confié n'être en poste que depuis un mois et demi.

Et depuis qu'il a pris ses fonctions, il n'a eu qu'un seul appel signalant le mauvais comportement d'un livreur. Comme quoi, dit-il, «ça marche» (dans le sens où ça les «responsabilise»). C'est, selon lui, «un bon garde fou».

Cette "Ligne Sécurité" a deux objectifs : d'abord la rentabilité (préserver de la casse les produits à livrer), le civisme (contribuer à la sécurité routière en général) arrivant après. Selon ses dires, les écologistes approuvent le système — ils ont bon dos, les écolos… —, et il a même reçu des appels de gens qui les félicitent de cette «démarche citoyenne» !!! Voilà comment, par le biais d'une idéologie fumeuse, l'employeur minimise sa propre responsabilité quant à la sécurité de ses collaborateurs tandis que son but premier demeure la compétitivité.

Bien sûr, il y a eu quelques appels contre la délation que cela peut induire, «inquiétude qui est bien légitime»... Par contre, il a assuré que le procédé est légal.

Notre interlocuteur a été incapable de me donner le délai de livraison maximal imposé. Quant à connaître l'impact de cette pression supplémentaire sur le personnel en deux roues, il n'a pas su se prononcer... à cause du puissant TURN-OVER qui règne dans la profession, évidemment. Donc, chez Planet-Sushi, pas besoin de soumettre un "questionnaire" aux livreurs afin de mesurer les bienfaits de cette initiative : ceux qui ne sont pas contents se tirent d'office !

J'ai aussi tenté d'avoir l'avis de l'Inspection du Travail de Nanterre. Hélas, personne n'a répondu aux deux numéros disponibles que j'ai composés [3] !!! Les salariés ont vraiment du sushi à se faire...

SH

[1] Dans le documentaire de Jean-Robert Viallet sur «La mise à mort du travail» diffusé récemment sur France 3, on voit un candidat chômeur, lors d'une session de recrutement chez Carglass, jouer lui-même le rôle du délateur en désignant un autre chômeur comme "maillon faible". Grâce à des gens comme lui, les DRH en herbe n'ont même plus besoin de faire leur boulot de sélectionneurs !

[2] Le Sarbanes Oxley Act, loi adoptée en juillet 2002 aux Etats-Unis, oblige les groupes cotés sur une place financière américaine à se doter d'un dispositif d'alerte désigné en anglais par l'expression whistleblowing, qui signifie "donner un coup de sifflet", censé apporter une réponse aux scandales qui éclaboussèrent les groupes Enron ou Worldcom. Sont donc concernées les filiales étrangères de sociétés américaines (comme Benoist-Girard) mais aussi les entreprises étrangères cotées aux Etats-Unis (comme Dassault Systèmes). Avec toutes les dérives que cela suppose.
RAPPEL : Le Sarbanes Oxley Act exige aussi que, pour toute entreprise dans le monde détenant plus de 20% de capitaux d'origine US, les bénéfices de ses actionnaires s'élèvent à 10 ou 15% par an, même si le taux de croissance global est largement inférieur. En France, cette loi concerne plus de la moitié des entreprises du CAC 40. Elle oblige aux compressions de coûts, aux délocalisations de la chaîne de valeur des entreprises et aux externalisations (appel à la sous-traitance).

[3] Le combat, on le sait, est parfaitement inégal, la France ne comptant que 1.400 inspecteurs et contrôleurs du Travail pour quelque 2,5 millions d'employeurs.
Mis à jour ( Jeudi, 12 Novembre 2009 21:52 )  

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