Début juillet, Laurent Wauquiez a déclaré : «Après avoir mis en place les fondations de Pôle Emploi, […] nous devons prendre le temps de l'écoute. Nous allons donc lancer dès cet été une très large consultation, notamment sur internet, d'une ampleur inédite : 500.000 questionnaires seront envoyés à des demandeurs d'emploi, et des consultations auprès des employeurs et des agents de Pôle Emploi vont aussi être organisées». Objectif : «Améliorer le service rendu et les relations» qui, depuis la fusion et la crise, tournent au désastre.
Or, en "mettant en place les fondations de Pôle Emploi" sans avoir "pris le temps de l'écoute" — en clair : avoir imposé cette fusion à marche forcée —, le gouvernement a mis la charrue avant les bœufs. Une erreur monumentale, mais tellement typique du fonctionnement des entreprises et de notre société en général.
Parlons d'abord des agents Pôle Emploi, "consultés" après la bataille...
Avant d'être chômeuse de longue durée et animatrice de ce site, j'étais, moi aussi, salariée. Avant de me faire licencier pour «Désaccord et mésentente avec votre hiérarchie ne permettant pas de poursuivre notre collaboration», j'avais subi — à l'instar de nombre de mes collègues — une "fusion/restructuration" dont les modalités n'ont jamais été discutées avec nous tous, les premiers concernés.
Personnellement, alors que ma fonction nécessitait des aménagements spécifiques et une proximité avec mes principaux interlocuteurs, on ne m'a jamais demandé mon avis et j'ai été éloignée de tout. Ma tâche s'est considérablement compliquée/alourdie et des dysfonctionnements, liés à la désorganisation de nos structures, sont apparus, auxquels il a fallu faire face. Mon travail était non seulement épuisant, mais il avait perdu son sens. Au bout d'un an et demi, moi qui était solide, motivée, heureuse d'aller au boulot, je suis tombée en grave dépression. Et quand je suis revenue, on m'a lourdée.
Résultat : le mauvais travail s'est généralisé, et mon ex employeur a creusé sa tombe. Cette "fusion/restructuration" a échoué et nous a tous précipités dans un gouffre. Quelles souffrances endurées ! Quel gâchis !
Ce constat pitoyable est consécutif à deux choses : d'abord, la réelle méconnaissance des décideurs quant au travail effectué par leurs collaborateurs (assis dans leur Tour d'ivoire, ils méprisent ouvertement "ceux d'en bas"); enfin, la non consultation de ceux-ci alors qu'il s'agit, impérativement, de maintenir la qualité du travail à fournir ainsi que sa bonne marche (et, pour cela, il faut la participation organisée de tous).
Malheureusement, les salariés (comme les chômeurs…) sont systématiquement soupçonnés de vouloir tirer la couverture à eux pour en foutre le moins possible. Donc, on ne leur demande surtout pas leur avis. Ces considérations infondées et cette méfiance nuisent, à terme, à la bonne organisation de l'ensemble, car les salariés ne sont pas des fumistes et ce qu'ils savent est précieux. C'est eux qui font tourner la machine et qui la connaissent le mieux. Donc, si on veut éviter qu'ils deviennent vraiment des fumistes, si on veut qu'ils restent motivés et que les changements attendus s'effectuent avec succès, il faut les impliquer en leur donnant la place qu'ils méritent.
C'est avant la fusion qu'il aurait fallu "consulter" les agents de l'ANPE et de l'Assedic : ainsi, les dégâts auraient pu être limités. Ensuite, de nouvelles consultations auraient du avoir lieu 6 et/ou 12 mois après, afin de suivre au plus près l'évolution de cette métamorphose.
La «grande consultation» de M. Wauquiez arrive beaucoup trop tard, et le mal est fait. Si d'ores et déjà il était décidé de faire marche arrière sur de nombreux points, la tâche est devenue tellement immense qu'elle prendra, encore, des années. Pourtant, les choses auraient été tellement plus simples si elles avaient été détectées et corrigées au fur et à mesure ! Si l'importance de l'implication collective dans la réussite de cette fusion avait été mesurée dès le départ.
Mais non. Ce que les crânes d'œufs (grassement payés) qui nous dirigent ne pigent pas, c'est que «la démocratie ne se localise pas au sommet». Ainsi, en se déconnectant de la base, perdent-ils tous bon sens et génèrent-il le chaos.
Ce que savent les salariés — et les chômeurs — est une composante indispensable au rééquilibrage qui fait cruellement défaut à la création de Pôle Emploi dans ce contexte de crise. Mais, à Pôle Emploi comme partout ailleurs, c'est le mépris, l'autisme et la suffisance des décideurs qui priment. Déjà toute relative d'un point de vue citoyen, la démocratie s'arrête, hélas, nettement aux portes de l'entreprise.
Moralité : à force de prendre les gens pour des cons, on fait des conneries encore plus grosses. Et ces erreurs sont, parfois, difficilement rattrapables sinon irréversibles. Mais c'est, peut-être, le but (inavoué) ?
Parlons maintenant des demandeurs d'emploi...
Mieux vaut tard que jamais, nous dira-t-on ! Certes, il est usuel de ne jamais demander aux chômeurs ce qu'ils pensent et ce dont ils ont besoin : on les considère déjà comme fautifs, responsables de leur situation, de surcroît "assistés", et fraudeurs en puissance. Relégués au bas de l'échelle sociale, ils doivent juste se plier et se taire.
On peut alors avancer que l'initiative, même tardive, de M. Wauquiez est une bonne chose. Mais qu'en fera-t-il vraiment ?
Il faut d'abord rappeler que la cause de la démission du premier Médiateur de Pôle Emploi, Benoît Genuini, est l'indifférence générale affichée envers sa mission (il avait à traiter plus de 900 réclamations par mois) et son premier rapport d'activité (rendu le 12 mars dernier, puis renvoyé aux calendes grecques…). Ce rapport, quoique consensuel, était déjà accablant. Epuisé, écœuré, à l'instar de millions de bonnes volontés usées par ce système kafkaïen que pilotent des autistes incompétents, il a jeté l'éponge.
Un an auparavant (le 19 mars 2009), on rappelle également qu'un colloque avait eu lieu à Bercy au sujet de «La participation organisée des demandeurs d’emploi à Pôle Emploi». Nous y étions. Messieurs Wauquiez, Genuini, Charpy et Hirsch étaient présents, face aux associations de chômeurs & précaires. A quoi ce colloque — où beaucoup de choses importantes ont été dites — a-t-il servi ? Visiblement à rien !
Nous sommes donc en droit d'émettre de sérieux doutes sur le "volontarisme" de M. Wauquiez.
Enfin, cerise sur le gâteau, depuis des lustres les privés d'emploi ne sont même pas représentés là où l'on décide de leur sort, c'est-à-dire à l'Unedic. Les syndicats, qui méconnaissent leur situation et les méprisent, refusent la présence de représentants d'associations de chômeurs et signent sans sourciller des accords qui les lèsent, convention après convention. C'est ça, l'idée de la démocratie selon nos "partenaires sociaux" : elle ne vaut pas mieux que celle des dirigeants d'entreprise et des politiques !
Voilà pourquoi nous pensons que l'initiative de M. Wauquiez, telle la montagne qui va accoucher d'une souris, n'est qu'un effet d'annonce.
Et si, par miracle, cette consultation servira à quelque chose — enfin, auraient-ils décidé de brancher leurs sonotones ? —, alors nous déplorons qu'il ait fallu attendre aussi longtemps, et nous nous interrogeons sur la compétence de M. Wauquiez et ses pairs, si bien rémunérés pour effectuer un si mauvais travail.
Sophie Hancart
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