Le 7 septembre, Actuchomage était dans la rue. L'occasion de ressentir de l'espoir, mais aussi de mesurer le chemin qu'il reste à parcourir.
La scène se passe sur le boulevard Voltaire, au niveau de la Mairie du XIe. En surchauffe, le camion de la CGT-Chômeurs se met à fumer. Le cortège est stoppé quelques minutes afin de permettre aux camarades de le garer sur le bord du trottoir, puis repart.
Un manifestant, bardé d'autocollants CGT, s'approche de notre groupe pour s'enquérir de l'incident. L'une de nous lui répond. Oui, nous sommes des chômeurs. Oui, c'est le camion du Comité CGT des Privés d'emploi et Précaires qui est tombé en panne, quelle guigne ! Dans le bruit, la communication est difficile. Il s'avère qu'il est salarié et syndicaliste. A la fin de l'échange, il déclare : «A chacun son métier : Vous, vous êtes des chômeurs professionnels» puis il s'en va rattraper ses collègues dans le défilé, laissant notre amie bouche bée...
Si c'était de l'humour, on peut dire qu'il est mal placé. S'il le pensait vraiment — ce qui est fort probable —, cela mérite qu'on s'y penche un instant. Car ce cas isolé, qui n'en est certainement pas un, est révélateur.
«A chacun son métier»...
Ce syndicaliste, salarié et peut-être "protégé" du fait de son activité de délégué du personnel ou de membre du CE, par exemple, estime donc que les privés d'emploi qui militent dans une association ou un syndicat — en l'occurrence la CGT, qui est le seul à avoir en son sein des comités de chômeurs — se "professionnalisent" dans le chômage, c'est-à-dire qu'ils s'y vautrent; ce qui, comme on le sait, revêt le sceau de l'infamie.
De surcroît, implicitement, il suggère que seuls les salariés — qui évoluent, eux, dans un contexte «professionnel» véritable — auraient la légitimité d'exercer une activité syndicale de longue haleine, voire d'en faire un «métier». Comment réagirait cet imbécile si on l'accusait, dans ce cas, d'être un «gréviste professionnel» ? Mal, on l'imagine.
Les «chômeurs professionnels»
Il est vrai que l'essentiel des privés d'emploi qui osent aller taper à la porte des organisations qui les défendent et s'impliquent dans la lutte sont des chômeurs de longue durée. Ceci est parfaitement logique.
En effet, quand on perd son emploi — ce qui, on le rappelle, n'est pas volontaire. Sauf très rares exceptions, personne n'ambitionne d'être chômeur, encore moins de le rester ! —, on espère rebondir en déployant toute son énergie pour retrouver du boulot. Le temps passe, vite, très vite et malgré vos efforts, le marché du travail continue de vous fermer ses portes parce que vous être "trop vieux" ou "trop cher" ou "surdimensionné", ou parce que vous n'avez pas "le profil" : que faire ? La plupart subit et se morfond. Mais certains (ils ne sont pas assez nombreux, hélas…) ont mis à profit leur "retraite forcée" pour réfléchir et comprendre pourquoi on les rejette, puis se sont décidés à passer à l'action.
Dans les associations (AC!, MNCP, APEIS), on trouve aussi des jeunes retraités qui furent, longtemps, des "chômeurs âgés" avant de pouvoir enfin changer de statut. Mais ils n'oublient pas ce qu'ils ont vécu et continuent de se battre pour leurs semblables. Oui, ils se sont "professionnalisés" dans une lutte bénévole. Ironie du sort : notre cégétiste salarié qui, comme nous, manifestait contre la réforme des retraites imposée par ce gouvernement, semble négliger que les seniors resteront plus longtemps chômeurs à cause du report de l'âge légal à 62 ans et celui du taux plein à 67 ans, l'imbécile !
Peur, préjugés et mépris
Oui : le chômage, ça fout les jetons. Comme on évite de regarder les SDF dans la rue ou dans le métro — saisi d'angoisse car on sait au fond de soi que cela peut nous arriver aussi; puis on se dit : mais non, ça ne m'arrivera pas à moi, je suis le meilleur; s'il en est arrivé là, ce type, c'est parce qu'il a tout fait pour ! —, on évite de regarder les chômeurs. Dans une société où le travail l'emploi demeure un pilier alors que le chômage et la précarité sont voulus et planifiés, les laissés pour compte du système renvoient à ceux qui sont toujours en place une image effrayante. Une fois éprouvé le sentiment de compassion, pour atténuer ses craintes, on se protège dans le déni. On préjuge pour se rassurer et se valoriser. Les plus cons (en fait, les plus trouillards) vont, eux, jusqu'à se réfugier dans le mépris.
A l'instar de la dépression, ceux qui n'ont pas vécu le chômage ne peuvent pas imaginer ce que c'est. La plupart des salariés en poste et dont les emplois ne sont pas menacés ne peuvent pas comprendre qu'on se retrouve pris au piège du chômage de longue durée (ils sont pourtant 1,436 million dans cette situation). C'est trop suspect. Parce que du boulot, il y en a : c'est écrit dans le journal, hein. Suffit de vouloir, etc, etc...
Et ce n'est pas parce qu'on est syndicaliste qu'on est plus intelligent que la masse.
Heureusement qu'à la CGT-Chômeurs, au siège de Montreuil, on ne semble pas souffrir de cette condescendance. Des rumeurs ont couru : il paraît qu'elles sont fausses et que les cégétistes salariés qui côtoient les cégétistes privés d'emploi agissent de concert, sans mépris ni discrimination. Tant mieux !
SH
Pour aller plus loin sur ce vaste sujet, voyez notre dossier VIVRE LE CHÔMAGE
Egalement, pour comprendre pourquoi le travail l'emploi est (à tort) aussi central dans notre société et le chômage tellement mal vu, lire cet entretien avec le philosophe André Gorz.
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