Henri Rouilleault, économiste à l'Insee et ancien directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT), est en train de finaliser une mission sur «L’emploi au sortir de la récession», confiée il y a quelques mois par le gouvernement, et s'apprête à lui remettre un rapport contenant 40 propositions dont Les Echos s'est procuré une ébauche. L'une d'entre elles, relevée par la journaliste Leïla de Comarmond, a particulièrement attiré notre attention :
“ Soulignant que la probabilité de s'inscrire au chômage en fin de mission d'intérim ou d'un CDD est environ 12 fois plus forte que pour le salarié en CDI, Henri Rouilleault propose de «créer une surcotisation employeur sur les contrats à durée déterminée et missions d'intérim, rétrocédée en cas de consolidation de l'emploi». De quoi alimenter les négociations qui vont s'ouvrir à l'automne sur l'assurance-chômage…”, écrit-elle.
L'emploi précaire est une plaie !
Aujourd'hui, il représente 90% des offres disponibles. Plus que jamais, il grève les finances de l'Unedic (qui, depuis la convention 2009, prend en charge les chômeurs totalisant 4 mois de travail au lieu de 6) dont le déficit cumulé devrait atteindre 10 milliards d'euros à la fin de l'année; 14 milliards fin 2011.
Pourtant, cette idée de taxation des CDD et de l'intérim, visant à augmenter les recettes de l'assurance-chômage et à désinciter les employeurs d'y recourir abusivement, ne date pas d'hier : c'est la CGT qui l'a émise il y a fort longtemps, suivie par FO et la CFTC. Nous avons retrouvé deux articles de novembre 2005 qui exposaient clairement la situation : celui de Muriel Grémillet pour Libération, et cette dépêche d'agence encore plus explicite que nous reproduisons ici :
“ L'emploi précaire (CDD, intérim…) sera au cœur des négociations qui s'ouvrent mardi, les syndicats demandant une surcotisation pour les employeurs qui y ont recours.
L'emploi précaire représente près des deux tiers des entrées à l'assurance-chômage. La moitié des personnes qui s'inscrivent aux Assedic sont en fin de CDD (contrat à durée déterminée) et 15% en fin de mission d'intérim, selon FO. Lorsque les chômeurs indemnisés retrouvent un emploi, c'est un CDD pour 46% d'entre eux, et un emploi intérimaire pour 21%.
Les syndicats s'appuient sur ces chiffres pour proposer l'instauration d'une surcotisation sur le travail précaire, à la charge de l'employeur. Le taux de cotisation des entreprises à l'assurance chômage, actuellement de 4%, serait ainsi modulé en fonction du contrat de travail.
La CGT a avancé des propositions chiffrées. Elle demande que la cotisation de l'employeur reste à 4% pour les CDI (contrats à durée indéterminée), et passe à 9% sur les CDD et 13% sur l'intérim et les CNE (contrats nouvelles embauches).
La CFTC propose, elle, de doubler la cotisation sur les contrats précaires, mais le versement ne serait effectué par l'employeur qu'en fin de contrat, si le salarié n'est pas embauché.
L'emploi précaire coûte cher à l'Unedic, souligne-t-on du côté syndical. Les CDD représentent près de 4% des contributions au régime d'assurance chômage, mais 22% des allocations versées. Les emplois intérimaires représentent près de 3% des contributions et 7% des allocations, selon FO, pour qui "une part importante du déficit de l'assurance-chômage est due à la précarité du travail".
Globalement, CDD et intérim représentent 1,71 milliard d'euros de contributions à l'Unedic, mais 8,2 milliards d'euros d'allocations.
CDD, intérim, apprentissage ou contrats aidés, la part de ces formes particulières d'emploi a doublé entre 1982 et 2002, selon le ministère du Travail, et parmi ces emplois, les CDD sont les plus nombreux. L'emploi intérimaire est aussi en augmentation. Il occupe 620.000 personnes (+0,8% entre juillet 2004 et juillet 2005), principalement dans l'industrie qui emploie 46,8% des intérimaires alors qu'il ne représente que 22,4% de l'emploi salarié. Quatre emplois ouvriers sur cinq sont des emplois intérimaires et même les cadres, dont la proportion dans l'intérim reste très faible (1,7%), sont de plus en plus embauchés sous ce type de contrat (10.000 cadres intérimaires au 1er semestre 2005, +12,4% sur un an).
Les très petites entreprises (TPE), jusqu'à 10 salariés, font davantage appel que les autres à des formes d'emploi à durée limitée, temps partiel ou contrats aidés. En 2003, seulement 56% des salariés des TPE étaient à temps complet sous CDI.
Les syndicats espèrent, en surcotisant le travail précaire, convaincre les employeurs d'y avoir moins recours.
De son côté, le patronat refuse toute proposition impliquant une augmentation du coût du travail. ”
Une renégociation "de crise"
Comme le rappelle Les Echos, les "partenaires sociaux" de l'Unedic doivent, ce mois-ci, se retrouver autour de la table du Medef (au sens propre comme au figuré, chaque convention étant renégociée en terrain patronal, avenue Bosquet…) afin de se pencher sur l'année prochaine. Car la dernière convention, accouchée aux forceps et qui devait couvrir la période 2009-2010-2011, fut exceptionnellement conclue pour deux ans — du 1er avril 2009 au 30 mars 2011 — au lieu de trois, "à cause de la crise" qui, on le sait, a bon dos pour les mauvais coups.
C'est donc avec attention que nous suivrons ses développements, en espérant que la proposition de "surcotisation employeur" sur les contrats précaires trouvera la résonance qu'elle mérite. Mais ne tirons pas de plans sur la comète : infinie est la complainte du Medef, et les arguments patronaux qui risquent de fuser seront, comme toujours, aussi prévisibles que répugnants.
SH
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