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Accueil La revue de presse La rigueur, c’est bon pour les pauvres !

La rigueur, c’est bon pour les pauvres !

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Dans sa livraison de lundi, le chroniqueur économique du Figaro, Yves de Kerdrel, connu pour être un taliban du néolibéralisme, lance une sévère mise en garde : «On ne transige pas avec la rigueur !»

Du haut de sa stature d’homme de principe, le chroniqueur sachant chroniquer la pensée unique écrit : «La rigueur n’est pas un mot à double sens. La rigueur ne se négocie pas. La rigueur ne se discute pas. La rigueur n’a pas d’autre choix que d’être rigoureuse». Et d’ajouter, au cas où des esprits demeurés n’auraient pas compris la teneur du message : «Pour nos créanciers, pour les contribuables, pour les générations futures, il est temps de pratiquer une vraie politique de rigueur».

Il est d’autant plus temps que, selon ce même Yves de Kerdrel qui doit fréquenter les milieux populaires comme Marie-Antoinette fréquentait les sans-culottes, «les Français sont décidément un peuple habitué à une certaine aisance». C’est le drame de ce pays : les citoyens y vivent comme des nababs et ne s’en rendent même pas compte !

Par un hasard du calendrier, le numéro du Figaro où figure ce rappel à l’ordre salarial est accompagné d’un supplément joliment titré «Luxe pluriel». Il s’agit de fournir quelques idées d’achats à la veille de Noël. C’est très instructif.

Ainsi, on trouve une pochette en cuir et veau velours à 1.040 €, des sandales en chaînes or pâle à 3.350 €, une pochette en lézard ornée d’oiseaux en strass et plumes à 3.200 €, une minaudière en argent vieilli à 5.500 €, un sac en alligator à 8.990 €, et même une montre trois tours en or rose et diamants à 24.000 €. Où l’on voit que chez les riches, fort heureusement, la rigueur n’est pas à l’ordre du jour.

Fort heureusement, elle l’est chez les pauvres, ce qui rassurera les agences de notation, les experts et les marchés (c’est l’essentiel). Pour la cinquième année consécutive, en effet, le Smic ne bénéficiera d’aucun coup de pouce particulier. On lui appliquera la seule augmentation technique prévue par la loi, fixée sur l’évolution de l’inflation et du salaire ouvrier de base, soit environ +1,6%.

Le salaire minimum va donc augmenter de 17 € par mois et passer à 1.073 € net. Avec un tel revenu, on peut s’offrir la pochette cuir et veau velours proposée par Le Figaro pour le prix de 1.040 €. Il restera 33 € pour les autres dépenses du mois. Oui, bon, ce n’est pas grand chose. Mais comme dirait Yves de Kerdrel, il faut penser aux générations futures et faire un effort. Et puis si le luxe était à la portée de tout le monde, ce ne serait plus du luxe. A quoi sert la rigueur si les smicards veulent dépenser plus sans toucher plus ?

L’essentiel, c’est que la morale des marchés est sauve. La France reste un pays de bas salaires, ce qui permet d’assurer une forme de dumping salarial intérieur dont bénéficient allègrement les grandes familles du CAC 40, celles qui apprécient les démonstrations d’Yves de Kerdrel et qui peuvent s’offrir les petits cadeaux proposés par Le Figaro.

Un autre journal fort apprécié par la haute société, Les Echos, titrait récemment : «Les entreprises du CAC 40 sont assises sur un confortable matelas de "cash"». Pour les uns, le matelas est toujours confortable, alors que d’autres doivent dormir à la dure. Sans doute est-ce la loi de la rigueur appliquée à la vie nocturne. En l’occurrence, le matelas estampillé CAC 40 est évalué à 145 milliards d’euros. Cela prouve que la ceinture imposée aux smicards, et globalement à la plupart des salariés, et même aux petits patrons, souvent payés comme des cadres, aura permis à certains de soigner leur santé. La plupart des géants concernés, qu’il s’agisse de Total, de GDF-Suez, de Vinci ou d’autres, ne paient pratiquement pas d’impôts sur les sociétés, grâce à un système qui transforme la France en paradis fiscal. De la sorte, ils peuvent investir à l’étranger, dans ces pays où la notion même de Smic est considérée comme un appel à la subversion (suivez mon regard).

Bref, tout va bien. Comme disait Alphonse Allais, qui maîtrisait parfaitement la logique du marché : «Il faut prendre l’argent là où il se trouve, c’est-à-dire chez les pauvres. Bon d’accord, ils n’ont pas beaucoup d’argent, mais il y a beaucoup de pauvres». En revanche, il faut leur déconseiller la lecture du Figaro afin de leur éviter des cauchemars.

(Source : Marianne)

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Mis à jour ( Jeudi, 28 Avril 2011 01:57 )  

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