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Accueil Mobilisations, luttes et solidarités Procès pour «entrave à un CE» : Relaxez Gérard Filoche !

Procès pour «entrave à un CE» : Relaxez Gérard Filoche !

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Après sept années de procédure, l'inspecteur du travail Gérard Filoche doit passer en première audience ce mercredi 6 juillet 2011 devant la 31e chambre correctionnelle du Palais de justice de Paris à 13h30. Voici son communiqué :

Chères amies, chers amis,

Je vous écris à la veille de mon procès parce que vous faites partie des 38.650 signataires de la pétition pour me soutenir — cf. site dédié www.solidarite-filoche.fr — et aussi, pour un certain nombre, vous avez généreusement contribué à me soutenir financièrement. 1.660 d’entre vous m’ont aussi laissé des messages chaleureux sur le site. Les petites rivières font de grands fleuves, même si de l’argent est encore nécessaire. Ça m’a vraiment fait chaud au cœur de constater, venue de toute la France, cette sympathie concrète, incarnée y compris financièrement. Je ne m’y attendais pas à ce point. J’en ai été très ému.

Ce soutien magnifique, divers, pluraliste m’a permis de tenir pendant ces dernières années. Je vous le dis avec reconnaissance à la veille du jugement. Ce n’est pas seulement moi qui suis en cause, mais au-delà de ma personne l’exercice indépendant des missions de l’Inspection du Travail dans la défense des droits des salariés, et, en l’occurrence des femmes de retour de congé maternité.

Après sept années de procédure, je vais passer en première audience le mercredi 6 juillet 2011 devant la 31e chambre correctionnelle du Palais de justice de Paris (M° Cité) à 13h30. Il y aura une conférence de presse unitaire en face du Palais de justice à partir de midi.

Vous y êtes conviés de même qu’au procès. Votre présence m’encouragera. Il faut venir tôt, muni d’une carte d’identité, afin de passer le filtrage, de traverser le Palais et d’accéder à la 31e.

Je suis accusé «d’entrave au Comité d’établissement» du CE de l’entreprise Guindé Mary Cor, 1 rue de la Paix, 75002 Paris. J’encours un emprisonnement d’un an et une amende de 3.750 euros (article L.2328-1 du code du travail).

Je vous communique ici l’essentiel de ce que sera ma défense.


Les faits qui me sont prétendument reprochés auraient été commis, dans l’exercice de mes missions en tant qu’inspecteur du travail, le 23 juillet 2004 alors que je me rendais dans l’entreprise Guinot pour tenter de mettre fin à la discrimination et à l’entrave que les employeurs exerçaient depuis des mois à l’encontre d’une femme de retour de congé maternité, Mme Nasséra F. Ils ne voulaient pas la réintégrer dans son poste après son accouchement et lui faisaient des difficultés pour lui permettre d’allaiter son enfant.

Ce n’est malheureusement pas un cas isolé. Il est prévu que les femmes retrouvent un poste «identique» ou «similaire» dans ces cas-là. Mais de plus en plus, la dureté du «management» en vogue et la dégradation des rapports sociaux dans les entreprises aboutit à ce que ce soit de plus en plus difficile pour les femmes de retour de maternité de retrouver dignement leurs postes, fonctions, carrières, et rémunérations. Sur ce point, notre société a reculé, c’est un devenu un combat plus fréquent et plus âpre. C’est parce que les femmes ont des enfants qu’il n’y a que 7% de femmes parmi les cadres supérieurs.

Il faudrait supprimer le mot «similaire», garantir aux femmes de retrouver un poste «identique» et assurer leur protection face au licenciement pendant une période de 18 mois après leur retour afin qu’elles ne puissent être licenciées sans autorisation préalable de l’Inspection, tout comme des élus ou délégués du personnel.

Cette femme, Nassera F., avait 6 ans d’ancienneté chez Guinot. Pourtant, dans l’entreprise, elle était d’origine arabe, elle parlait arabe et était cadre commerciale, expérimentée, pour tout le Moyen-Orient. À sa reprise, ils l’ont affecté à l’Amérique latine et au Pacifique, compliquant énormément et délibérément les conditions d’exercice de sa profession.

Elle a dû se syndiquer, être déléguée syndicale et demander des élections pour la mise en place d’institutions représentatives du personnel (DP, CE, CHSCT) qui n’avaient jamais existé, depuis trente ans, dans le siège de cette entreprise de 175 salariés. C’est une entreprise difficile pour ses employés où les cadres font 41 heures par semaine, payées 35 heures. Ils les appellent des «heures philanthropiques» : toute résistance à cet abus de droit à été matée.

Le syndicat a eu bien des difficultés pour imposer des élections du CE, et il a fallu que je l’appuie fortement en menaçant, sinon, de faire un procès-verbal d’entrave. Les employeurs se sont arrangés pour que le CE n’ait qu’un petit nombre de membres et que ceux qui soient élus, les suivent et soient opposés à Nasséra F. Pour ce faire, ils ne m’ont pas demandé, comme cela se fait dans ce genre de cas, à modifier la composition des collèges et comme la majorité écrasante des salariés n’est ni employée, ni ouvrière, un petit nombre seulement de place «cadres» ont été remplies par celles et ceux que la direction souhaitait voir élus. Nassera F. n’a été élue que déléguée du personnel, mais elle pouvait assister au CE en tant que déléguée syndicale, comme vous le savez sans doute.

Parce qu’elle a ainsi voulu faire valoir ses droits, ils ont entrepris de me demander à trois reprises l’autorisation de licencier Nasséra F. : en vertu de son statut de salariée protégée, c’était à moi de prendre une décision.

J’ai refusé la première fois sur le fond, en raison de la discrimination vécue lors de son retour de maternité. Ma hiérarchie a cassé ce motif en le jugeant insuffisamment étayé, mais elle a quand même refusé le licenciement parce que le CE n’avait pas été consulté. Il faut savoir que l’avis du CE en pareil cas est une «formalité substantielle» et si elle n’est pas respectée, cela suffit au refus de la demande d’autorisation de licenciement. Précisons qu’il s’agit bien de la formalité de la consultation du CE, pas du contenu de l’avis du CE : en effet, que celui-ci donne un avis favorable ou défavorable, ce n’est qu’un avis consultatif qui n’engage pas sur le fond l’avis de l’inspecteur du travail.

Si l’employeur n’avait pas consulté le CE alors qu’il lui était acquis, c’était par négligence, et il s’empressa de refaire la demande d’autorisation après avoir accompli ladite formalité. Le CE, par deux voix pour, vota sans surprise un avis favorable au licenciement de Nasséra F. Je fus donc saisi d’une deuxième demande d’autorisation de licenciement. J’avais les mêmes raisons de refuser, hélas non comprises par ma hiérarchie, visiblement peu sensible au cas des femmes de retour de congé maternité.

C’est alors que l’employeur impatient demanda une troisième demande d’autorisation. C’était devenu un «challenge» pour les patrons de Guinot — je le sus par d’autres salariés — que de parvenir à mettre à la porte Nassera F.

Le prétexte choisi fut une véritable provocation. Nassera F. avait droit à une semaine de congés d’hiver, qu’elle demanda à la mi-mars par mail. Nous en avons la preuve. Avant de les prendre du 14 au 18 juin, elle rappela le 10 juin qu’elle prenait ce congé à son service également par mail. Nous en avons la preuve. Ce congé n’était nullement contesté et ne gênait en rien le service. Aucune opposition n’y fut faite. Mais la direction choisira de reprocher à Nassera F. de n’avoir pas eu l’autorisation écrite sur un formulaire maison, de la main de son chef de service, David L. C’était une pure formalité mais à partir d’elle, la provocation fut bâtie : le patron exigea l’autorisation par écrit en LRAR dès le 16 juin, alors qu’elle était chez elle. Nasséra F. ayant bel et bien reçu l’autorisation signée, répondit aussitôt pour le signaler. Il lui fut alors reproché que la signature était fausse, et sur la base d’une expertise d’un graphologue choisi par l’employeur, elle fut accusée de l’avoir imitée. Dés son retour, les 24 et 25 juin, elle fut convoquée à des entretiens, accusée de «faute lourde» et mise à pied de façon conservatoire.

Le temps passa. Informé, je dus demander à ce que, cette fois, ils respectent rapidement les procédures et notamment consultent le CE. Cela traîna, début juillet, ils se décidèrent enfin à convoquer par écrit le 12 juillet le CE tardivement pour le 23. Le délai de 10 jours prévu en cas de mise à pied conservatoire était dépassé. Mais nous étions à la veille du départ en vacances : si j’attendais le déroulé de toute la procédure, Nassera F. mise à pied, n’aurait pas de salaire ni en juillet ni en août mais seulement en septembre lorsque j’aurais pris une décision dans les formes juridiques prévues. Non seulement c’était un grave problème pour Nasséra F. mais celle-ci, convoquée, et selon ses propos écrits «ayant peur d’être lynchée» au CE, me demanda d’y venir. Ce que je fis, visant, ce matin du 23 juillet, à réunir, en me rendant dans l’entreprise, tous les éléments pour prendre une décision avant de partir en vacances et rétablir la salariée discriminée et entravée dans ses droits.

Lorsque j’arrive, à 10 heures, on m’introduit dans le bureau du directeur, et j’explique ma démarche aux présents : je proteste contre cette troisième demande consécutive d’autorisation de licenciement, je dis que j’y vois une entrave au mandat de Nassera F. et une discrimination à son égard, qui dure depuis son retour de congé maternité. Les choses sont clairement dites et le directeur présent, ses assistants, les membres du CE qui lui sont acquis, savent à quoi s’en tenir. Nous ne sommes pas dans le CE, je conduis mon enquête, nous serons jusqu’à neuf dans le bureau du directeur : lui-même, une de ses assistantes, une de mes collègues contrôleuse du travail en formation qui m’accompagne, Nassera F., les deux membres titulaires du CE et une suppléante, le chef de service David L. et une autre salariée, Estelle C.

Contrairement à ce qui a été prétendu, je n’élève pas la voix, je parle tout à fait normalement, je fais mon travail d’inspecteur chargé de rétablir l’ordre public social qui a été foulé aux pieds. Je ne fais du «chantage» à personne sauf à appeler «chantage» la menace d’un procès-verbal à l’employeur «pour entrave».

Je comprends que les participants vivent mal cette situation car les uns, le directeur et son adjointe, sont en train de monter une provocation pour licencier Nasséra F. et les autres, membres du CE et chef de service que je vais faire venir, s’apprêtent à approuver cette manœuvre. Personne ne s’oppose à ma démarche, à ma présence, ne fait objection à mon enquête.

Je demande à voir le chef de service, David L. et je l’interroge sur la signature du formulaire de congé. Il me répond qu’il «ne se souvient absolument pas s’il a signé ou non ce formulaire». Je lui répète la question en lui montrant sa signature. «Est-ce la vôtre ?» Il répond exactement devant tout le monde, en tenant le papier à la main : «Cela pourrait être ma signature comme cela pourrait ne pas être ma signature».

Je demande à faire venir une autre salariée qui a pris une semaine de congé en juin, je lui demande si elle a eu besoin d’un «formulaire» écrit signé de la main de son chef de service pour prendre ce congé. Elle répond «non». Je lui demande si on le lui a reproché, elle répond encore «non». J’estime avoir recueilli les éléments prouvant la discrimination, et je le dis.

Non seulement je «n’entrave» en rien le CE, mais je veille alors à ce que ses deux membres titulaires et la suppléante sortent du bureau du directeur (ce CE qui ne fonctionne pas, par ailleurs, n’a pas de locaux comme cela se devrait), aillent délibérer dans une autre pièce, se prononcent, je le leur précise, à bulletins secrets, et donnent un avis sur la demande d’autorisation de licenciement de Nassera F., et reviennent nous le dire pour qu’on l’enregistre dans le dossier que je constitue.

Il faut dire qu’il n’y a pour moi aucun enjeu d’aucune sorte dans cette consultation du CE. Il n’y a qu’un point à l’ordre du jour de sa réunion extraordinaire de ce jour-là : donner un avis pour ou contre le licenciement de Nassera F.

Ce CE s’est déjà prononcé lors de la deuxième demande, donnant un avis favorable à l’autorisation de licenciement de Nassera F. Ils sortent. Ils votent. Ils reviennent. Ils redonnent un deuxième avis favorable au licenciement de Nassera F. C’est sans surprise.

Pourquoi, en quoi «entraverais-je» ce CE ? Son avis ne s’impose pas à moi, je le connais d’avance, il n’est qu’une «formalité substantielle» qui doit être remplie. Je m’assure seulement qu’elle l’est.

Mon enquête, ce matin-là, avait une autre ambition : recueillir tous les éléments pour décider avant fin juillet, avant mon départ en vacances, de refuser la troisième demande de licenciement de Nassera F. Ce que je fais rapidement dès le lendemain, contre la discrimination dont elle est victime. Ma décision rapide, anticipée de refus met fin à sa mise à pied et lui restitue tout son salaire pour fin juillet et fin août : elle ne l’aurait pas reçu sans ma diligence. J’estime avoir fait ce matin-là le travail d’un inspecteur chargé de faire respecter l’état de droit dans cette entreprise-là.

Ma décision sera cassée fin 2004 par le Directeur général du Travail Jean-Denis Combrexelle, avec lequel je suis opposé à titre professionnel et politique pour beaucoup d’autres raisons, par ailleurs.

La salariée Nassera F sera donc licenciée.

L’employeur charge Maître Alexandre Varaut de porter plainte conte moi pour «chantage envers le CE» et de se porter partie civile. Dès que sa plainte est rendue publique, Me Varaut déclare dans Le Parisien : «M. Filoche, qui fait la leçon depuis 30 ans aux petits patrons parisiens, se trouve aujourd’hui dans une situation moins glorieuse». Le but est clair.

Au passage, le CE n’est pas consulté dans cette démarche alors qu’il est une entité juridique et que ce serait à lui, éventuellement, de le faire. C’est l’employeur qui le fait à sa place.

Il faudra beaucoup de temps pour que la procédure avance. Je suis convoqué comme «témoin assisté» par le juge d’instruction Yves Madre, le 10 mars 2007, juste au moment où je revenais de Périgueux où s’était tenu le procès de l’exploitant agricole assassin le 2 septembre 2004, à Saussignac, en Dordogne, de nos deux collègues, Sylvie Trémouille et Daniel Buffières. Je subis cinq heures d’interrogatoire. Au terme de ces cinq heures, le Juge d’instruction comprend que la décision du CE n’est qu’indicative, qu’elle n’engage pas ma décision, que je n’ai aucun intérêt à avoir fait du chantage envers cette instance, et me laisse repartir sans me mettre en examen.

Tous les syndicats de l’Inspection du travail, unis, protestent contre le fait que la justice, qui n’a pas de moyens pour suivre nos procès-verbaux et les classe sans suite dans 4 cas sur 5, ait trouvé le temps de me poursuivre. Mais nous croyons et je crois l’affaire classée.

Le juge interroge alors Jean-Denis Combrexelle, le «DGT» (Directeur général du travail, le plus haut fonctionnaire du ministère) et lui demande si un inspecteur peut se rendre à un CE. La lettre du DGT (datée du 10 décembre 2007), sans me nommer, sans nommer Guinot, sans m’avoir rencontré, écouté, sans s’être informé des faits (ma hiérarchie ne me contacte pas à ce sujet), est une violente charge contre un inspecteur qui irait assister à un CE. Ce seraient des «pratiques totalement contraires aux conditions dans lesquelles doivent être exercées les fonctions d’inspecteur du travail et révèlent, si elles sont avérées, un comportement professionnel aberrant, un positionnement contraire à la déontologie de nature à altérer l’image du corps de fonctionnaire auquel appartient leur auteur. Elles constituent sans doute une faute personnelle et injustifiée, quelles que soient les pratiques sociales de l’entreprise dans laquelle il est intervenu dans les conditions que vous retrace». M. Combrexelle ajoute : «Je considère que la participation de l’inspecteur à la réunion et sa prise de parole avant le vote sont de nature à troubler les opérations de vote et vicier la procédure. Le délit d’entrave au fonctionnement du comité d’établissement pourrait être évoqué en fonction des circonstances».

Il faut le dire : Jean-Denis Combrexelle est le principal responsable de la «recodification» du Code du Travail. Je l’ai affronté sur ce point durant quatre ans. Y compris par un article direct, public de deux pages dans Le Monde diplomatique de mars 2008 qui se terminait par : «“Le code du travail n’est pas un code comme les autres car il est chargé de passions”, confesse le maître d’œuvre de l’opération M. Jean-Denis Combrexelle, directeur des relations du Travail au ministère de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale. Tout dépend des passions qu’on a : pour l’actionnariat ou pour le salariat.»

Le journal Liaisons sociales révélait qu’il dînait, à ce moment-là, chaque mois avec Denis Gauthier-Sauvagnac, l’homme de la caisse noire de l’UIMM. J’ai dénoncé par écrit à l’époque cette collusion.

JD Combrexelle participe de la mise en œuvre active et féroce des changements effectués depuis 2002 en défaveur des salariés. Tous les syndicats de l’Inspection du travail ont maintes fois dénoncé sa politique opposée à nos missions. JD Combrexelle me convoquera dans son bureau le 9 avril 2008, par-dessus toute la hiérarchie, afin de me menacer parce que je m’exprimais dans les médias. Il me dira : «Des millions de Français voient l’Inspection du travail à travers vous, hélas». J’y perdrais seulement toutes mes parts de prime.

Je répondrais que nous sommes des fonctionnaires indépendants mais pas «neutres». L’OIT, dans sa convention n°81 signée par la France, nous donne comme «mission» «d’alerter les gouvernements en place sur le sort qui est fait aux salariés». De 1906 à 1912, un inspecteur du travail, Pierre Hamp, racontait chaque jour dans le journal L’Humanité, alors dirigé par Jean Jaurès, ce qu’il voyait dans les entreprises : pourquoi ce qui était possible entre 1906 et 1912 serait devenu impossible entre 2006 et 2012 ?

En vérité, la lettre de JD Combrexelle au juge est une «charge» mêlant du prétendu «droit» et des attaques violentes, sous-entendues, mais non explicites, non étayées par aucun fait liée à l’affaire Guinot. On y sent une rage sourde, impulsive, déplacée, qui ne sied pas à un directeur général d’une administration de ce niveau. Il ne prend pas contact avec le subordonné que je suis, ne cherche pas à savoir «les circonstances» mais il condamne abstraitement, unilatéralement, brutalement et sans fondement.

Or RIEN dans le Code du Travail n’interdit à un inspecteur de se rendre à un CE. Il peut même convoquer un CE et le présider s’il juge que ce CE ne fonctionne pas. Il peut y être invité, soit par le CE, soit par l’employeur, ce qui arrive. Les compte-rendus de CE doivent être envoyés à l’inspecteur à sa demande. Si bien que dans les états de visite mensuels des inspecteurs, il existe une croix à cocher en face de la question : «À combien de CE/CCE vous êtes vous rendu ce mois ?»

Au cours d’une visite d’entreprise, l’inspecteur peut entrer dans les locaux du CE, quand bien même celui-ci se réunirait. Une «entrave au CE», c’est au moins l’empêcher de fonctionner : cela est le cas d’employeurs, mais JAMAIS il n’a été évoqué, depuis 65 ans qu’il y a des CE, que ce soit le cas d’un inspecteur du travail. Une «entrave», c’est un délit : il y faut une «intention», un «intérêt à agir». De façon générale, les procureurs classent sans suite les «délits d’entrave» au point que les procès-verbaux sur ce thème sont devenus rares, puisqu’ils vont à la corbeille.

Il existe aussi, tous les inspecteurs du travail et les syndicalistes le savent, des CE «papier» ou «pro-patronaux». Sans doute entre 20 et 30% des CE sont dans ce cas. L’employeur s’arrange pour faire désigner, sous couvert d’élections «rapides», des «salariés à lui» afin d’éviter des salariés «indépendants» ou syndicalistes.

Toujours est-il qu’à la suite de la lettre du DGT l’appliquant à l’affaire Guinot, qui n’y est pourtant pas mentionnée explicitement, le procureur a émis un «réquisitoire supplétif» dans lequel il classe sans suite la plainte pour «chantage envers le CE» déposé par l’employeur. Et il décide de me poursuivre, moi, l’inspecteur du travail, selon le conseil implicite de la lettre de JD Combrexelle, pour «entrave au CE».

Je suis mis en examen le 21 novembre 2008 et renvoyé en audience correctionnelle le 21 novembre 2010 pour «entrave au CE» par le procureur lui-même, qui «remplace» le patron, toujours sans que ledit CE ne se soit réuni à ce sujet, ni ne se soit plaint en tant qu’entité juridique. C’est seulement après que nous l’avons fait observer, en cours de procédure, qu’il aurait délibéré, nous a-t-on dit, le 9 mars 2009 et aurait appuyé la démarche de l’employeur, cinq ans après les faits.

Il faut dire que ledit CE ne se réunit pas, n’use pas de ses budgets, ni de ses droits ni de ses délégations, n’exerce pas ses pouvoirs. Aucun compte-rendu de ses réunions ne parvient à l’inspection en dépit des demandes. Nous n’avons pas pu savoir s’il a été réélu depuis 2003.

Je répondrais en juillet 2008 à une convocation pour un CHSCT chez Guinot et m’y rendrai… Pour constater qu’il ne se réunit même pas et que son secrétaire, aussi secrétaire du CE, le même depuis ce fameux 23 juillet 2004, n’est même pas dans les locaux. Le CHSCT est aussi un CHSCT «papier».

Une fois que la salariée Nassera F. a été licenciée et que l’inspecteur du travail est mis en examen, c’en est fini d’une présence syndicale et de tout fonctionnement des IRP (institutions représentatives du personnel) dans l’établissement Guinot. De ce point de vue, l’employeur a gagné. La victime, la salariée est condamnée à défendre ses droits de procès en procès depuis sept ans et c’est l’inspecteur du travail qui est traîné en correctionnelle, sept ans après, alors même qu’il est en retraite, et pas l’employeur.

Pourtant la justice, depuis 2004, a tranché dans 12 procédures sur 12 en faveur de la salariée et en faveur de mes décisions de 2003 :

1) L’employeur est allé en pénal contre la salariée pour «faux en écriture » : il a perdu définitivement en appel au TGI. Le chef de service David L. qui est hors de l’entreprise, depuis, a reconnu qu’il avait donné son accord pour le fameux congé de Nassera F. du 14 au 18 juin 2004. Le tribunal a contesté les graphologues et a innocenté la salariée de cette accusation. Il a condamné l’employeur à des dommages et intérêts et aux dépens.

2) La salariée est allée en pénal pour «entrave à l’exercice de son mandat de déléguée syndicale» : elle a gagné par jugement définitif en appel, et l’employeur a été condamné.

3) La salariée est allée devant le tribunal administratif pour contester les décisions du ministre rédigées et contresignées par JD Combrexelle : elle a gagné devant la Cour d’appel du Tribunal administratif en mars 2010.

La Cour reconnaît qu’il n’y a pas matière à grief de la part de l’employeur à propos de toutes les conditions du congé de juin 2004 et que la salariée est bel et bien victime de «discrimination» dans toute cette affaire, dans son activité professionnelle comme dans ses fonctions de déléguée syndicale. La Cour a condamné l’employeur sur toute la ligne, avec amendes et dépens. Toutes les décisions de JD Combrexelle cassant mes propres décisions d’inspecteur… sont toutes cassées par la Cour, ce qui valide a contrario ma démarche de l’époque.

La salariée est réputée réintégrée en mars 2010, six ans après son licenciement. Après avoir menacé d’aller en Conseil d’état, l’employeur, perdant, y a renoncé et a fini par transiger avec elle.

Donc, je me présente devant le tribunal avec l’affaire jugée sur le fond : ce matin du 23 juillet 2004, j’intervenais bel et bien pour rétablir l’ordre public social face à une discrimination et une entrave. Non seulement le délit n’était pas de mon côté, mais il a été jugé de façon définitive qu’il était doublement du côté de l’employeur de chez Guinot.

On se demande pourquoi il y a eu acharnement au point de me convoquer à cette audience du 6 juillet 2011.

Pour avoir les éléments de réponse, il faut chercher ailleurs dans la situation politique et les problèmes rencontrés par les services de l’Inspection du travail dans leurs missions. Nous sommes dans un pays où la dirigeante très écoutée du Medef affirme publiquement que «la liberté de penser s’arrête là où commence le code du travail». Or, l’état de droit est de plus en plus mis à mal dans les entreprises. Les droits fondamentaux du travail sont rognés en permanence : tous les syndicats de l’inspection du travail en sont d’accord :

• La justice est extrêmement laxiste en matière de droit du travail,
• les employeurs qui ne respectent pas le Code du travail restent largement impunis.

Trois procès-verbaux sur quatre de l’Inspection du travail sont classés sans suite par le Parquet. Les patrons sont impunis, et voilà les inspecteurs du travail poursuivis, tel est le drame actuel avec des conséquences lourdes pour 18,3 millions de salariés du privé.

La protection fonctionnelle

Il reste un point important : JD Combrexelle a refusé personnellement que l’administration prenne en charge mes frais de justice. Il a refusé ce qu’on appelle «la protection fonctionnelle» due aux fonctionnaires dans l’exercice de leurs missions. JD Combrexelle s’acharne alors personnellement contre moi et nous en avons une preuve extraordinaire, jusqu’à me refuser la «protection fonctionnelle» pour les frais de justice que sa lettre m’imposera (voir ci-dessous).

La «protection fonctionnelle», c’est un principe : un fonctionnaire mis en cause dans l’exercice de ses fonctions, dans le cadre de sa défense juridique, est normalement pris en charge par l’administration. Sauf dans le cas d’une «faute détachable du service». En l’occurrence, ce n’est évidemment pas le cas, c’est totalement dans le cadre de mon action comme inspecteur si le patron de l’entreprise Guinot a essayé de me mettre en cause.

Jean-Denis Combrexelle le sait : c’est lui personnellement qui a donné ordre de ne pas répondre à ma première demande de «protection fonctionnelle» en mars 2007 lorsque je fus entendu comme «témoin assisté». Il n’a pas davantage répondu à la seconde demande après le 21 Novembre 2008 lorsque le juge a opté pour une «mise en examen».

Le délai administratif pour répondre à ma demande était de deux mois. Au-delà, c’est ce qu’on appelle un «rejet implicite». Un tel rejet non motivé n’est pas glorieux, ni courageux. Sans doute est-ce ce que Jean-Denis Combrexelle redoutait car, juste avant la fin du délai, le 23 janvier à 0h12, il a donné l’ordre de rédiger une réponse en terme de «rejet explicite» donc motivé. La copie de cet ordre, donné par mail, nous est parvenue car, par mégarde, Combrexelle n’a pas enlevé la liste des destinataires à l’origine de la demande (elle avait été re-faite le 22 janvier à 16h20) : «La réponse explicite, qui est opportune, devrait à mon sens se fonder sur le fait qu’il s’agit d’une faute personnelle (car volontaire) détachable du service et donc non couverte par la protection fonctionnelle. JDC». Mail envoyé à Luc Allaire, de son cabinet, qui répond le lendemain matin 23 janvier à 9h27 : «Je fais préparer et fais viser par tes soins avant signature. Merci à toi. L.»

Mais deux mois se sont écoulés et… la réponse explicite n’a jamais été rédigée… ils ont du avoir du mal à trouver les termes juridiques adéquats… ce qui est un aveu évident qu’il n’y a pas de motif : ils l’ont cherché et ne l’ont pas trouvé…

D’où le recours que je re-fais le 18 mars 2009 avant un nouveau délai de 2 mois :

Expéditeur : Gérard Filoche
Inspecteur du travail, section 2 A Paris
À : Jean-Denis Combrexelle, Luc Allaire, S/C DDTEFP Paris
Objet : recours sur décision implicite protection fonctionnelle

Sauf mauvaise transmission de l’information, il m’apparaît que vous avez rejeté «implicitement» ma demande de “protection fonctionnelle” alors que je suis mis en cause dans l’exercice de mes fonctions par un employeur en situation délictuelle. Il s’agit de la plainte pour “chantage” (sic) déposé par le PDG de Guinot. Rien de ce qui s’est passé ce jour-là, 23 juillet 2004 n’est détachable de mon service. Et non seulement je n’ai commis aucune sorte de faute, mais je défendais l’ordre public social violé par l’employeur.
Je vous rappelle que le célèbre préfet Bonnet a bénéficié de la protection fonctionnelle bien qu’il ait fait brûler une paillote en Corse. Je n’ai fait brûler aucune paillote au 1 rue de la Paix, j’ai fait seulement mon devoir, en toute indépendance selon la convention 81 de l’OIT, mais conformément à la loi.
Je fais donc un recours auprès de vous pour que vous me donniez les raisons qui, selon vous, feraient de mon action légale, dans le cadre de mes missions, une “faute détachable”. Vous devez, comme vous le savez, expliciter votre décision avant un mois sinon votre décision devient illégale pour défaut de motivation.

Gérard Filoche, le 18 mars 2009


JD Combrexelle a maintenu son refus implicite.

L’ensemble de la procédure coûte très cher au total. C’est pourquoi nous avons dû et devons encore faire appel à vous. Il me reste, chères amies et amis, à vous remercier encore pour cette longue lecture qui, je l’espère, aidera à votre compréhension détaillée du procès et de ses enjeux qui me dépassent largement.

Que celles et ceux d’entre vous qui le peuvent, continuent jusqu’au bout le soutien qu’ils ont engagé pour une relaxe complète et définitive :
• par des chèques encore nécessaires à l’ordre de «solidarité Gérard Filoche»  adressés à : Gérard Filoche, 85 rue Rambuteau, 75001 Paris
• par leur présence au procès le 6 juillet à 12h en face du Palais de justice (M° Cité) et à 13h devant la 31e chambre
• en diffusant cette défense et les informations qu’elle contient auprès du maximum de personnes : il y va du droit du travail en général au-delà de l’affaire elle-même.

Consultez et alimentez le site dédié www.solidarite-filoche.fr

Cordialement à toutes et tous,
Gérard Filoche

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