Tous les intervenants en droit du travail, à commencer par les salariés eux-mêmes, peuvent aujourd’hui constater qu’il n’existe aucune possibilité de recueillir ni d’assembler les différentes condamnations en matière de respect du droit du travail. Au mieux, il est possible, en s’adressant à chaque tribunal de Prud’hommes, d’obtenir une copie des jugements, mais uniquement de son ressort et sur les une ou deux dernières années.
Il est ainsi curieux de constater que toutes les lois pénales et civiles se sont durcies, qu’on a créé de nombreux fichiers sur les individus — il suffit par exemple d’être témoin dans une affaire ou se battre pour son emploi pour qu’on recueille votre ADN —… sauf en droit du travail. La France couvre ses routes de radars et archive le moindre point de permis de conduire perdu et, dans le même temps, ignore les infractions et délits quotidiens lorsqu’ils sont le fait de personnes (pas toujours) morales. Pourtant, en 2009, 228.901 affaires ont été traitées par les conseils de Prud’hommes alors que dans le même temps, les conduites en état d’ivresse on donnée lieu à 126.800 condamnations.
Tout est fait pour sécuriser les délinquants
Pire, et le dernier «accord» signé par trois organisations syndicales et le Medef l’atteste, tout est fait pour abaisser le niveau des sanctions encourues, pour dissuader, voire empêcher le recours aux juridictions compétentes en la matière ; bref, pour sécuriser juridiquement les éventuels délinquants qui risquent ainsi de moins en moins d’être punis pour des pratiques qui frisent parfois le banditisme.
Interrogeons-nous sur ce qui se passe pour un salarié à qui on n’a pas versé son salaire et dont l’employeur fait une faillite frauduleuse pour comprendre mon propos. Voici comment ça se passe pour lui (je suis conseiller du salarié, et je vois ça régulièrement) :
• le salarié paie 35 euros de timbre fiscal pour assigner son employeur ;
• il devra attendre quelques semaines qu’une décision prise en référé intervienne ;
• ensuite il devra la faire exécuter, éventuellement par un huissier (coût variable en fonction de la somme, mais en tout état de cause, il lui faudra avancer au moins 150 euros).
Pendant ce temps, l’employeur organise son insolvabilité et se trouve en faillite. Rien ne l’empêchera cependant de recommencer le même manège dans un autre département sous un autre nom, et le salarié volé ne recouvrira probablement jamais sa créance.
Pour un fichier des entreprises fraudeuses
Le Medef nous l’assure à longueur d’ondes et de pages : l’énorme majorité des entreprises ne fraude pas et respecte parfaitement le droit du travail. L’infime minorité qui y contrevient est une exception.
Alors disons chiche ! S’il est vrai que les délinquants sont vraiment une infime minorité, il ne devrait pas y avoir d’opposition à la création d’un fichier national de ces derniers. Pas une voix ne devrait manquer pour soutenir une telle proposition, ni la présidente du Medef Laurence Parisot qui nous jure ses grands dieux que les employeurs sont proches de la sainteté, ni les syndicats de salariés, ni nos députés de gauche, puisqu’ils sont de gauche, ni nos députés de droite toujours prompts à vouloir punir les actes délictueux. Voilà une proposition qui pourrait faire l’objet d’un accord unanime de nos édiles, et qui pourrait donc être rapidement transcrite dans la loi sans que personne ne s’y oppose.
Les fraudes répétées et organisées à grande échelle pourraient ainsi être facilement repérées. Par exemple, lorsque qu’une entreprise pratique le «travail dissimulé» en utilisant des «sans-papiers» en-dehors de toute législation sociale. Car aujourd’hui, on ne peut que très difficilement croiser les informations sur des chantiers du bâtiment de la même entreprise. Pour peu qu’ils se trouvent dans différents départements, ces chantiers sont traités par des inspecteurs du travail différents et font l’objet de différentes sanctions sans que personne puisse faire de recoupement entre les différentes affaires.
Une note de «bon citoyen» aux entreprises
Afin que les choses soient encore plus claires, le ministère du Travail pourra attribuer une note de «bon citoyen» à chaque entreprise. Cette note serait le produit de la division du nombre de procès prud’homaux perdus par le nombre moyen de salariés sur les trois dernières années (c’est le seuil retenu par le législateur pour retrouver l’ensemble de ses points au permis de conduire).
Ainsi, et à l’instar de tout citoyen, l’entreprise récidiviste pourra se voir appliquer des peines aggravées en fonction de ce critère. Tant qu’à modifier le code du travail par le biais d’un accord, il faut y introduire cette procédure qui est un réel besoin.
(Source : Rue89)
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