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Accueil Mobilisations, luttes et solidarités L'Inspection du Travail au bord de l'implosion

L'Inspection du Travail au bord de l'implosion

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Alors que la fraude sociale des entreprises est cinq fois supérieure à celle des particuliers, le gouvernement, qui préfère ficher «les allocataires sociaux», méprise ce corps de contrôle chargé de traquer, notamment, le travail dissimulé. Face aux difficultés qu'ils rencontrent au quotidien, les inspecteurs du travail se sentent de plus en plus démunis.

«Qu'est-ce que c'est que ce con qui vient nous emmerder chez nous ?» Expression courante signifiant : «Bonjour, monsieur l'inspecteur, vous êtes le bienvenu dans mon entreprise».

Le 9 février dernier, à Bourges, un contrôleur et un inspecteur ont été outragés par un garagiste. Le 26 juillet, un contrôleur du Maine-et-Loire se présente dans une exploitation agricole pour une enquête d'usage destinée à établir une dérogation dont le gérant lui-même avait fait la demande : séquestré et menacé d'un «grand couteau», l'agent de contrôle ne sera libéré par les gendarmes que plus d'une demi-heure plus tard. Puis le 28 juillet, deux agents de contrôle se font insulter et menacer dans une fonderie des Ardennes : de retour à leur véhicule, ils constatent que les rétroviseurs ont été arrachés et les pneus crevés. Un malheureux hasard ?

Attitudes agressives, manque de moyens matériels et humains, manque de reconnaissance, réorganisations importantes de leur corps de métier... Les fonctionnaires affirment que mener à bien leur travail quotidien est de plus en plus difficile et soulignent un grave déficit de leur image. En témoignent les régulières grèves et manifestations, dont la dernière en date, le 28 juin.

«Les accrochages verbaux ne sont pas rares»

L'histoire récente de ce corps est ponctuée de drames. Les deux derniers incidents font inévitablement écho à l'assassinat, le 2 septembre 2004, de deux agents de contrôle à Saussignac, en Dordogne. Ils ont été abattus à coups de fusil, dont l'un dans le dos alors qu'il tentait de fuir.

«Les agressions physiques sont marginales. Mais les accrochages verbaux ne sont pas rares, et il y a d'autres formes d'agression qui sont très stressantes : les plaintes adressées à la hiérarchie, donner un document et nous le reprendre des mains plusieurs fois de suite. Certains oublient subitement où ils rangent leurs documents et d'autres, très calmes, s'emportent d'un seul coup.» Philippe Levoivenel est agent de contrôle et il préside l'association de défense et de promotion de l'Inspection du travail. L'agression, il n'y pense pas tellement, sauf quand l'entreprise en question est connue pour son attitude rétive. Mais il y a des fois où malgré tout, la crainte ressurgit : «Sur place, tout seul, on se retrouve assez vite isolé. Sur des chantiers, il y a des cas où je me suis dit “on va essayer de ne pas trop s'approcher des ouvertures”, je n'avais pas envie de prendre un coup de pelle».

Un «contexte qui fait que»

Cela ne fait que huit ans que Philippe Levoivenel occupe ce poste et pourtant, il a vu son quotidien se dégrader : «Il y a eu un changement progressif, un contexte qui fait que l'agressivité s'est renforcée et qu'on a vu notre légitimité, la légitimité du droit du travail, se détériorer».

Ce «contexte qui fait que», ce sont les attaques symboliques dont fait l'objet le droit du travail depuis quelques années : le débat autour des 35 heures, des délocalisations, de la rupture conventionnelle, ou encore du CPE... Sans oublier les sorties fracassantes de Laurence Parisot, la présidente du Medef, qui estime par exemple que «la liberté d'entreprendre s'arrête là où commence le code du travail…»

Pour les syndicats d'agents de contrôle, ces mots récurrents portent dans l'inconscient et créent un contexte hostile. Pierre Joanny, de Sud-Travail, le ressent : «On répète sans cesse que les inspecteurs sont des emmerdeurs… Or, quand un agent est agressé, le retour politique n'est pas à la hauteur».

Ce qui est significatif, pour Philippe Levoivenel, c'est qu'il y a quelques années, un simple courrier suffisait souvent à rétablir le droit. Aujourd'hui, les employeurs préfèrent encourir la sanction pénale. Pourquoi une telle défiance ? Trop peu de procès-verbaux sont suivis de poursuites.

«On a le vécu affectif d'un lâchage»

Suite aux agressions de juillet dernier, le ministre du travail Xavier Bertrand a envoyé un courrier à chaque Direction du travail pour les assurer de son soutien. Pourtant, les agents interrogés regrettent qu'il n'y ait pas eu de déclaration publique. Ils considèrent que c'est devant tout le monde qu'il faut montrer de la solidarité, et pas de manière confidentielle. Quand des policiers ou des gendarmes se font insulter, agresser ou séquestrer dans le cadre de leur fonction et qu'on s'en prend à leur véhicule, le ministère de l'Intérieur réagit aussitôt par des déclarations prônant des sanctions dures et immédiates.

Martine Noulin est présidente de l'Unsa-Itefa : «Ça a toujours été un métier à risque mais le fonctionnaire est devenu un bouc-émissaire. Depuis 2004 [le drame de Saussignac, ndlr], on a le vécu affectif d'un lâchage de la part de notre ministère».

«On s'épuise complètement, on est face à un mur»

Ce manque de reconnaissance trouve un écho dans la piètre qualité du dialogue social au ministère du Travail. Lise Rueslin fait partie du secrétariat national du Snutefi-FSU : «Dans les instances paritaires, nos remarques ne sont pas prises en compte et on a l'impression qu'on s'épuise complètement, qu'on est face à un mur».

Un mur, Luc Béal-Rainaldy, ancien secrétaire national de ce syndicat, en a franchi un le 4 mai dernier en se jetant dans la cage d'escaliers, du haut du 5e étage, dans les locaux de sa permanence. Il est toujours très hasardeux d'affirmer avec certitude la cause d'un suicide, d'autant plus que l'enquête est toujours en cours et n'a pas livré ses conclusions. Cependant, un suicide exécuté précisément sur le lieu de travail est tout sauf un geste anodin. A l'Inspection, on le sait bien.

Submergés de demandes

Selon le ministère du travail, le Plan de modernisation et de développement de l'inspection du travail (PMDIT) aurait permis la création de 700 nouveaux postes mais selon Jean-Michel Bonnet, le secrétaire de la section Rhône de la CGT-Union des affaires sociales, le chiffre est biaisé car il procède pour beaucoup de réaffectations.

Sans oublier l'impact de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), cette fameuse réforme de l'administration qui organise le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Philippe Levoivenel vit ces économies au quotidien : «On est submergés de travail, entre les demandes qui nous arrivent et les directives du ministère. On est obligé d'écarter des cas où l'infraction est pourtant évidente parce qu'on n'a pas le temps. Résultat, on a mauvaise conscience».

C'est ce que certains agents appellent «l'effet miroir» : des travailleurs en difficulté qui parlent à d'autres travailleurs en difficulté, ou l'étrange ironie du cordonnier mal chaussé.

32% d'arrêts maladie de plus en un an

La santé des agents est sujet d'inquiétude. Le nombre de tentatives de suicide dans la profession est de 11 depuis 2010, pour 11.000 agents dans le ministère. Ce n'est pas le chiffre le plus élevé de la fonction publique, mais il demeure inquiétant.

Plus significatif, le nombre d'arrêts maladie a explosé de 32% entre 2008 et 2009 pour les cadres de catégorie A, soit les inspecteurs qui se trouvent entre le marteau des directives et l'enclume de leur travail quotidien. L'ancien inspecteur du travail (et membre du conseil national du PS) Gérard Filoche, lui-même embourbé dans une procédure à son encontre, en a une interprétation sans concession, mais aussi très politique : «C'est une profession martyrisée par le gouvernement. Xavier Bertrand a une position complètement schizophrène, il est écartelé entre l'objectif annoncé de lutter contre la fraude et la volonté de servir les patrons».

Pour la plupart des syndicats contactés, la prochaine étape à franchir sera celle de la reconnaissance retrouvée, ce capital symbolique qui a des répercussions pourtant si concrètes. Le ministère du Travail promet, quant à lui, de perpétuer une solidarité sans faille...

(Source : Eco89)

RAPPEL
• L'Inspection du travail, c'est 767 inspecteurs et 1.423 contrôleurs, soit un agent pour 8.345 salariés (rapport DGT 2009).
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Mis à jour ( Mercredi, 25 Janvier 2012 17:52 )  

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